Individualiser les packages de rémunération : ce qu'il faut savoir

Sandrine Dorbes
Individualiser les packages de rémunération : ce qu'il faut savoir

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Individualiser les packages : ce que tout le monde veut… et que presque personne n’arrive à faire

Le mois dernier, dans Le Nerf de la REM, on parlait grilles de salaires. Cette fois, on passe à la vitesse supérieure avec un sujet qui fâche parfois, qui séduit souvent, et qui interroge toujours : l’individualisation des packages de rémunération.

Pourquoi est-ce si sensible ? Parce qu’aujourd’hui, chacun et chacune souhaite être reconnu pour ce qu’il ou elle apporte, pour ses besoins réels, pour la vie qu’il ou elle mène et pour les contraintes qu’il ou elle doit gérer. La rémunération n’échappe pas à cette attente, elle en devient même l’un des terrains d’expression privilégiés. Ajoutez à cela une revendication de plus en plus forte en faveur de la transparence salariale, et vous obtenez un mélange qui peut rapidement devenir… instable.

Dans cet épisode, on répond aux questions suivantes :

  • Pourquoi l'individualisation de la rémunération devient-elle centrale, ou est-ce juste une tendance ?
  • Concrètement, que signifie personnaliser la paie ?
  • L'individualisation est-elle bloquée par la loi (en France) ?
  • Quels sont les obstacles en interne à sa mise en place ?
  • Est-ce que c’est un frein à l’équité ?

Une tendance de fond (et pas une lubie RH)

Le monde du travail actuel manque de transparence au sujet des salaires, mais cela n’a pas toujours été le cas. Pendant plusieurs décennies, la rémunération était au contraire l’un des domaines les plus lisibles de la vie professionnelle.

  • Dans les années 60-70, les rémunérations étaient encore administrées via des grilles, comme dans la fonction publique : un poste, un niveau, un salaire. Pas de négociation individuelle, pas d’adaptation fine, pas de discussion. Le système n’était pas forcément plus juste, mais il avait le mérite d’être clair.
  • Puis les années 80 sont arrivés. Mondialisation, complexification des business, concurrence accrue pour attirer les bons profils. La gestion des ressources humaines s’est individualisée, et la rémunération a suivi le mouvement. Progressivement, on a glissé vers quelque chose de beaucoup plus souple, plus personnalisé … et plus opaque !
  • Aujourd’hui, on arrive à un point sensible : les gens veulent être traités comme des individus, et les entreprises doivent garantir un cadre collectif. C’est exactement là que ça coince.

Le mirage (réussi) du Nord : les Package Cafeteria

Pour concilier tout ça, plusieurs pays d’Europe du Nord ont développé un dispositif qui mérite qu’on s’y attarde : les Package Cafeteria. Le principe paraît simple, mais il repose sur une architecture très structurée.

L’entreprise définit d’abord une enveloppe globale attribuée à chaque personne. Cette enveloppe peut être utilisée pour composer un package de rémunération adapté à sa situation et à ses priorités. Certains et certaines privilégieront le temps (achat ou vente de jours de congé), d’autres la retraite, d’autres encore des services familiaux ou de la mobilité. L’entreprise fixe les catégories auxquelles le budget peut être alloué, les règles fiscales, les limites, les équivalences. Ensuite, chacun et chacune construit son package dans ce cadre clair.

Concrètement, un plan Cafeteria permet par exemple de :

  • convertir une partie de sa rémunération en jours de congé supplémentaires
  • renforcer sa cotisation retraite
  • financer du matériel ergonomique ou des équipements professionnels
  • allouer une part de l’enveloppe à la mobilité
  • accéder à des services familiaux ou d’accompagnement
  • moduler certains avantages selon ses besoins

Ce type de dispositif fonctionne parce qu’il s’inscrit dans un environnement fiscal et social bien compris des parties prenantes.

Selon les pays, le cadre, le budget et les modalités varient fortement, mais la logique reste la même : offrir un socle commun et une véritable possibilité de choix individuel à l’intérieur de ce socle.

En résumé, ce n’est pas un « buffet » sans règles. C’est un cadre solide qui permet une personnalisation réelle, sans perdre la cohérence collective.

Et en France… comment dire. C’est un peu plus corseté.

En France : ce qui est négociable… et ce qui ne le sera jamais

Chez nous, impossible de toucher à certains éléments. Le salaire fixe, la mutuelle, la prévoyance et le remboursement du transport ne sont pas des options : ce sont des obligations légales. Toutes les entreprises doivent les mettre en place, sans aucune possibilité de modulation individuelle. Le socle est commun, point.

À cela peuvent s’ajouter des avantages facultatifs — sport, culture, voyage, CESU, loisirs — mais là encore, la règle est la même : si l’entreprise choisit de les mettre en place, elle doit les appliquer à tout le monde. Même montant, mêmes droits, mêmes conditions d’accès. Aucune personnalisation possible en fonction des envies ou des priorités de chacun et chacune.

Résultat : impossible d’imaginer un plan Cafeteria « à la nordique » où Michel choisirait de renforcer sa retraite pendant que Juliette maximiserait son budget sport. Le cadre légal français ne permet pas ce type de personnalisation fine. Le socle obligatoire est identique pour toutes les personnes, et les avantages facultatifs doivent l’être aussi.

Mais impossible n’est pas français à ce qu’il parait (sauf quand il s’agit de voter un budget).

Plutôt que de renoncer, plusieurs entreprises ont trouvé un contournement intelligent : les plateformes d’avantages flexibles qui permettent de distinguer deux blocs bien séparés.

  • D’abord, le socle non-individualisable. Celui-là, personne n’y touche : mutuelle, prévoyance, remboursement du transport. C’est un package légalement obligatoire, identique pour toutes les personnes de l’entreprise, sans possibilité d’ajuster les montants, les niveaux de couverture ou les modalités selon les préférences individuelles. C’est la base, et elle est commune.
  • Ensuite, une enveloppe réellement flexible, que l’entreprise peut attribuer de manière uniforme (même montant pour tout le monde), mais que chacun et chacune peut utiliser différemment, selon ses besoins et ses priorités. C’est là que les plateformes deviennent intéressantes.

Concrètement, une enveloppe flexible peut être dépensée dans des catégories comme :

  • le sport : abonnements, équipements, activités
  • les loisirs : cinéma, spectacles, événements culturels
  • le bien-être et la santé mentale : psychologue, séances de sophrologie, coaching
  • les services du quotidien : CESU, garde d’enfants, ménage, soutien scolaire
  • la mobilité douce : vélo, trottinette, réparations, accessoires
  • les vacances : hébergements, transports, séjours, activités

Chaque salarié·e reçoit la même enveloppe, mais l’utilise comme il ou elle le souhaite, dans les limites prévues par l’entreprise. C’est une personnalisation au moment de l’usage, et non au moment de l’attribution. Un cadre identique, une liberté réelle à l’intérieur.

Des sociétés comme May, Worklife et L’Atout font très bien le job pour orchestrer cette flexibilité sans transformer la RH en administration XXL.

Je précise tout de suite : ceci n’est pas un publi-reportage. Je n’ai de parts dans aucune de ces structures, et personne ne m’a proposé un code promo « MICHEL20 » pour vous offrir une réduction ou un mug griffé.

L’anecdote qui résume tout

Lors d’une conférence sur les packages de rémunération du futur, un DRH m’a expliqué qu’il avait poussé l’individualisation très loin. Chez lui, on pouvait par exemple moduler ses congés, ses primes, ou choisir d’avoir un véhicule ou non.

Sauf qu’il a dû tout arrêter. Non pas parce que les salariés n’en voulaient plus… mais parce que ça coûtait trop cher à gérer. Il avait plusieurs personnes à temps plein uniquement pour entretenir cette individualisation extrême. Une réorganisation plus tard, tout a disparu.

C’est ce que beaucoup d’entreprises apprennent : l’individualisation à outrance, c’est séduisant… mais un peu lourd à gérer.

C’est pour cela que les plateformes changent vraiment la donne. Elles apportent une réponse réaliste sans usine à gaz, une personnalisation sans injustice, un budget maîtrisé grâce à une fiscalité allégée,  et une reconnaissance des besoins individuels.

C’est un compromis intelligent, qui permet d’individualiser là où c’est possible, sans sortir du cadre ni exploser l’organisation.

L’individualisation, oui, mais pas n’importe comment

La tendance est claire : les salariés veulent du sur-mesure, du choix, du flexible. Les entreprises, elles, doivent garder des règles collectives, de la cohérence et une charge administrative raisonnable.

Les plateformes d’avantages ne résolvent pas tout. Elles ne remplacent ni la réflexion stratégique, ni la cohérence interne, ni la politique de rémunération. Mais elles ouvrent un espace concret pour réconcilier ce qui semblait inconciliable : le besoin d’individualité des uns et les exigences de transparence des autres.

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Parler de rémunération autrement - Conférencière - Experte en stratégie de rémunération - Créatrice de « How Much » - Administratrice certifiée