Ce matin-là, Michel prend un café avec Christine, une ancienne collègue du service commercial, dans l'espace détente de la COGIP. Pendant leur échange, Christine partage ses préoccupations : dans son équipe, le climat est tendu. Le business ralentit, ce qui crée de l’inquiétude. Et deux personnes, en particulier, ne s'entendent pas.
Christine raconte qu’elle a récemment mené l’entretien annuel de l’une des deux. Cette collaboratrice se plaint non seulement de la coopération difficile avec son collègue, mais aussi de son salaire. Elle affirme que ce collègue « n’en fiche pas une rame » tout en étant mieux rémunéré qu’elle, preuve à l’appui : il bénéficie d’un 13ᵉ mois, contrairement à elle.
Ce détail interpelle Michel. Dans leur entreprise, deux systèmes de rémunération coexistent : certains sont payés sur 12 mois, d'autres sur 13. Cette différence remonte à une fusion ancienne, lorsque la COGIP a intégré une autre société où les salariés étaient historiquement rémunérés sur 13 mois. Depuis, aucune harmonisation n’a été faite.
Une double résistance au changement suite à une fusion
Intrigué, Michel se tourne plus tard vers une collègue du service RH, qui travaillait déjà à la COGIP à l’époque de la fusion. Pourquoi n’a-t-on jamais uniformisé les salaires sur 12 mois ?
« Pour deux raisons principales, lui explique-t-elle. D’une part, les équipes elles-mêmes ne souhaitaient pas que cela change. Les salariés bénéficiant du 13ᵉ mois y étaient attachés, le percevant comme une sorte de "prime" que l’entreprise épargnait pour eux. Ce versement en fin d’année était très apprécié, plus qu’une répartition mensuelle. Et d’autre part, la direction RH de l’époque était réticente : les équipes issues de l’entreprise rachetée étaient déjà mieux payées que celles de la COGIP. Intégrer le 13ᵉ mois au salaire fixe aurait encore accentué cet écart, ce qui risquait d’attiser les tensions sociales. Et à l’époque, on n’avait vraiment pas besoin de ça. »
Tout s’explique.
Le dilemme des salaires sur 12 ou 13 mois
La décision de maintenir deux systèmes de rémunération, au lieu de tout harmoniser sur 12 mois, a probablement semblé pragmatique à l’époque. Mais elle illustre aussi un dilemme courant dans la gestion des fusions et acquisitions : faut-il uniformiser pour simplifier les processus et éviter des comparaisons inévitables, ou accepter des différences historiques pour préserver la paix sociale ?
Dans ce cas précis, la direction RH a choisi de préserver les habitudes salariales des équipes rachetées pour éviter des conflits. Cependant, ce choix a eu des conséquences à long terme. En laissant coexister deux systèmes distincts, l'entreprise a créé une source potentielle de tensions, comme celle que Christine rencontre aujourd’hui. À chaque fin d’année, ce "13ᵉ mois" devient visible, alimentant des perceptions d’injustice parmi ceux qui ne le perçoivent pas, même si leurs rémunérations globales sont équivalentes.
L’harmonisation aurait pu éviter ces comparaisons. Certes, elle aurait nécessité une communication claire et un travail d’accompagnement pour expliquer aux équipes concernées que le passage à 12 mois ne réduirait pas leur rémunération annuelle. Ce genre de transition demande du temps, mais c’est souvent un investissement payant sur le long terme, car il permet de prévenir des tensions inutiles et d’unifier la culture d’entreprise.
Un problème de management avant tout
Michel, lui, se dit qu’il apprécierait bien un 13ᵉ mois. Après tout, son mari en bénéficie dans son entreprise, et cette prime ponctuelle a un côté réjouissant, surtout en fin d’année quand on se projette sur les fêtes et les listes de cadeaux.
Toutefois, il comprend rapidement que ce n’est pas réellement la question. Les tensions dans l’équipe de Christine ne viennent pas du 13ᵉ mois en lui-même, mais d’un problème bien plus sérieux : un manque de pédagogie, mais surtout un problème de management. La salariée mécontente perçoit cette différence comme une injustice, alors qu’il s’agit simplement d’une contractualisation historique. Le 13ᵉ mois n’a rien à voir avec la performance et encore moins avec la capacité à travailler en équipe.
Michel se dit que Christine devra aller plus loin qu’une simple explication sur la rémunération. Ce genre de tensions ne peut pas être résolu uniquement par la pédagogie. C’est avant tout une question de management : recréer un dialogue entre les membres de l’équipe, clarifier les attentes en matière de coopération et de performance, et traiter les dysfonctionnements sous-jacents.
La rémunération : une affaire d’argent… et d’émotions
Ce type de réaction est très humain, ceci dit. Michel se souvient d’un post LinkedIn d’une consultante qui expliquait que la rémunération n’est pas qu’une question d’argent.
Bien sûr, définir des règles claires et justes dans la politique de rémunération est essentiel, mais il ne faut pas sous-estimer l’aspect émotionnel de la rémunération. On n’aime pas parler d’argent, mais quand quelque chose ne va pas, comme une brouille entre collègues ou un problème de management, le sujet arrive sur la table très vite.
Derrière chaque demande d’augmentation ou plainte liée au salaire, il y a un besoin souvent non exprimé : reconnaissance, justice, ou sentiment d’appartenance. Lorsque des tensions apparaissent dans une équipe, il est fréquent que les comparaisons salariales enflamment les discussions.
Dans le cas de Christine, la solution réside à la fois dans la pédagogie et dans une prise en charge managériale. Expliquer la logique derrière les éléments de rémunération est un premier pas, mais cela ne suffira pas. Réduire les tensions et rétablir une dynamique d’équipe saine demandera du temps, du dialogue et une vraie implication du management.
Parce que la rémunération ce n’est pas qu’une question d’argent.