C’est une journée qui commence mal pour Michel. Sa DRH débarque dans son bureau, visiblement contrariée. « Michel, les résultats de la dernière enquête interne sont tombés, et ils ne sont pas bons... surtout sur votre partie ! »
Michel est surpris : il n’était même pas au courant que cette enquête le concernait. Il est en poste depuis quelques mois seulement et on attaque déjà son bilan ? Il découvre rapidement qu’une des grandes frustrations des équipes porte sur l’évaluation de la performance. « Les salariés disent ne pas comprendre le lien entre leur évaluation et leur rémunération. Il faut absolument corriger cela pour la prochaine révision des salaires ! »
Michel encaisse. La prochaine révision de salaire débute dans quelques semaines à peine. Il vient tout juste de boucler ses budgets, mais il sent que ce n’est pas le moment de contredire sa DRH. Heureusement, une opportunité inattendue se présente : il doit assister à un séminaire professionnel dès le lendemain, l’occasion idéale de rencontrer ses pairs évoluant dans d’autres secteurs d’activité. Avec un peu de chance, il pourra y glaner des idées.
Comment les entreprises gérent-elles les évaluations annuelles et les augmentations ?
Des idées, entre chouquettes et café
Lorsqu’il arrive au séminaire, Michel adopte une stratégie bien rodée : il se poste près du buffet, juste entre le plateau de chouquettes et le thermos de café. Rapidement, les conversations s’enchaînent.
Le système officieux
Son premier interlocuteur est une directrice rémunération d’un grand groupe du CAC 40. « Chez nous, officiellement, les évaluations annuelles déterminent les augmentations. Mais officieusement, la révision salariale se fait les deux premières semaines de décembre, alors que les évaluations sont à peine entamées. Le plus gros des évaluations se fait en janvier, mais nous devons présenter les chiffres définitifs à notre direction générale le 15. »
Michel est surpris. « Donc, vous décidez des augmentations sans avoir toutes les évaluations ? » demande-t-il. La directrice sourit : « Les managers savent déjà qui ils veulent récompenser. Les évaluations viennent juste confirmer leurs impressions. »
En termes de rigueur et d’honnêteté intellectuelle, on a vu mieux. Michel pensait que les grandes entreprises avaient des processus plus rigoureux que ça. Il réalise que ce n’est pas toujours le cas. Une chose est sûre : ce système ne plairait pas à sa DRH. « Ce n’est pas comme ça qu’on va améliorer les chiffres de notre enquête interne », pense-t-il.
Le système très "data-driven"
Plus tard, Michel échange avec la DRH d’une entreprise tech. Elle décrit la culture de son entreprise très « data driven ». Il faut que les systèmes RH s’appuient sur des données et des raisonnements logiques très clairs.
Là-bas, les évaluations suivent un modèle hiérarchisé : les managers attribuent une note de 1 à 5 à chaque personne.
- 1 : « Il faut qu’on parle. »
- 2 : « Il faut se reprendre. »
- 3 : « Tu es aux attentes. »
- 4 : « Tu dépasses les attentes. »
- 5 : « Tu es une rock star. »
Chaque note est associée à une augmentation de salaire prédéterminée :
- 1 et 2 : Rien du tout.
- 3 : Une augmentation correspondant à l’inflation.
- 4 : +5 %.
- 5 : +10 %.
« L’idée, c’est de récompenser les Top Performers », explique la DRH. Michel s’interroge : « Mais comment pilotez-vous votre budget avec un système aussi rigide ? » Elle rigole : « C’est compliqué. On s’appuie sur les stats des années précédentes. Grosso modo, on estime que 60 % des évalués reçoivent la note 3, 20 % la note 4, et 10 % la note 5. Ce n’est pas précis, mais ça donne une idée à grosse maille. »
Le lien entre évaluation et rémunération est clair, mais Michel comprend vite que ce système très calculatoire ne conviendrait pas à son entreprise. De plus, il craint que sa directrice financière mette sa tête à prix s’il propose cette idée.
Le mystère du séminaire et le système où chaque collaborateur comprend son salaire et son évolution
Alors qu’il réfléchit à tout ce qu’il a entendu et se demande comment un tel système pourrait évoluer dans le temps, une voix derrière lui l’interpelle : « Vous savez, l’enjeu d’un système d’évaluation, ce n’est pas qu’il dure dans le temps, mais qu’il reste adapté aux besoins de l’entreprise. »
Michel se retourne. Une personne qu’il n’avait pas remarquée jusque-là se tient derrière lui. Pas de badge, une attitude discrète, et une mini chocolatine à la main.
« Un bon système d’évaluation doit évoluer avec les objectifs de l’entreprise. Les stratégies changent. Les besoins évoluent. Ce qui marche chez Netflix ne marchera pas nécessairement ailleurs. »
Michel repense à quelqu’un qui lui avait justement dit qu’ils appliquaient le même système que Netflix. « Mais nous ne sommes pas Netflix », avait-il naïvement répondu. La personne mystérieuse acquiesce : « Exactement. L’important, c’est que le système soit cohérent avec votre culture et vos objectifs. »
Elle continue : « En matière de rémunération ce qui compte, c’est que chaque personne comprenne comment son salaire est défini et comment il peut évoluer. Avec un bon système, chacun et chacune peut se projeter et comprendre ce qu’on attend de lui ou d’elle. »
Michel se ressert un café avant de poser une nouvelle question, mais lorsqu’il se retourne, la personne a disparu. Était-ce une consultante infiltrée, entrée clandestinement en quête d’idées et de chouquettes ?
Une synthèse... et des urgences relatives
Michel consacre sa soirée sur la rédaction d’une note de synthèse détaillant les différentes approches dont il a entendu parler. Il envoie son document à sa DRH, espérant qu’elle y trouve matière à réflexion.
Deux jours plus tard, il la croise à la machine à café. « Vous avez eu le temps de lire ma note sur les systèmes d’évaluation ? » La DRH, l’air affairé, répond : « Oui, je l’ai reçue, mais je n’ai pas eu le temps de la lire. Vous savez, Michel, j’ai d’autres urgences. »
« Moi, je l’ai lu, ta note. » Michel se retourne et voit son collègue Bruno, visiblement agacé. « Ça fait trois ans que je pilote le process d’évaluation annuelle.
J’aurais pu t’expliquer pourquoi on fait ce qu’on fait, et ce que je sais des bonnes pratiques du marché. » Michel se sent bête. Dans son stress de répondre à la DRH, il n’a pas pris le temps de s’appuyer sur les ressources internes.
« Je te paye un café ? Et prends une chouquette, ça me fait plaisir. » Bruno sourit : tout passe mieux avec une chouquette.
Michel a échappé à une crise diplomatique et ne s’y reprendra plus. Avant de se jeter dans un benchmark externe, il est toujours plus avisé de faire le point sur ce qui se passe en interne et d’en parler avec les personnes en charge des dossiers.