Comment éviter les biais cognitifs en recrutement ?

Léa
Comment éviter les biais cognitifs en recrutement ?

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Un biais cognitif est une construction mentale produite naturellement par notre cerveau pour s'économiser de la réflexion. Il agit un peu comme un miroir déformant ou une paire de lunettes avec un filtre coloré : il modifie votre perception de vous même et du monde qui vous entoure.

Par exemple, si vous partez du principe que les Parisiens sont arrogants, quand vous irez à Paris, mystérieusement, vous ne rencontrerez que des personnes arrogantes. Parce qu'inconsciemment, vous accorderez de l'importance à ce qui confirme votre opinion, au lieu de poser un regard neutre sur la situation.

Les neuro-sciences ont identifié plus de 150 biais cognitifs, influencés par de multiples choses comme notre culture, notre éducation ou des mécanismes de protection.

Ils vous permettent de traiter l'information sans avoir à ré-analyser à chaque fois les situations que vous rencontrez, ce qui vous économise de l'énergie. C'est un peu comme un raccourci construit par votre cerveau pour éviter de refaire à chaque fois tout le travail de réflexion.

Vous trouverez dans cette vidéo une explication plus détaillée avec des exemples parlants qui vous permettront d'en savoir plus.

Les biais cognitifs se cachent partout, dans toutes les situation de votre vie. Ils ne sont pas forcément mauvais, mais certains peuvent avoir des répercussions négatives sur vos décisions dans certaines situations. Dans cet article, j'aimerais vous parler de l'influence des biais cognitifs dans le recrutement et de comment y réagir.

Quel est le lien entre biais cognitif et recrutement ?

En recrutement, on cherche à évaluer les compétences d'une personne et l'adéquation de son profil aux exigences d'un poste donné.

Pour cela, on a recours à des techniques d'évaluation qui se veulent objectives et qui permettent de vérifier qu'un candidat maîtrise ou non les compétences requises. En théorie, donc, peu importe son origine, son genre, son âge ou ses caractéristiques physiques. Ce qu'on lui demande, c'est d'être compétent ; tout le reste ne devrait pas entrer dans l'équation.

Sauf que dans la réalité, ça ne se passe jamais comme ça. Vous allez être influencé·e par tout un tas de raccourcis auxquels votre conscience n'accorde peut-être même pas de crédibilité, mais qui sont profondément enracinés en vous et ont un impact sur vos décisions.

Par exemple, vous recevez en entretien un candidat de 53 ans pour un poste de manager dans la finance. Son profil est intéressant, son parcours est riche en expériences et vous êtes curieux d'en savoir plus. Mais déjà, une petite voix s'invite dans un coin de votre tête et vous dit "bon,... il a l'air d'être très compétent, mais c'est un poste qui demande de l'énergie et de l'innovation. Il faudra le tester sur ces aspects-là".

Vous ne l'avez même pas encore rencontré que vous vous dites déjà : +50 ans = manque de dynamisme et travaille à l'ancienne.

À partir du moment où vous avez cette idée en tête (souvent influencée par l'opinion publique), même inconsciemment, vous allez raisonner comme un avocat : convaincu·e par cette opinion, vous allez chercher dans les faits tout ce qui pourra l'étayer. C'est ce qu'on appelle le biais de confirmation d'hypothèse (découvrez la liste des biais qui influencent vos recrutements dans cet article). Vous allez être tellement exigeant·e que votre candidat de 53 ans devra faire deux fois plus d'efforts que les autres pour vous montrer qu'il est dynamique et innovant.

Peut-être même qu'en lisant ces lignes vous vous dites "en même temps, c'est fréquent : plus on vieillit moins on a d'énergie..."

Vous partez de ce postulat avant même d'avoir vu ou entendu ce candidat qui est peut-être curieux des nouvelles technologies ou qui fait peut-être du sport régulièrement.

Oui je sais, ça pique. Et même avec les meilleures intentions du monde, c'est difficile d'y échapper. Nous avons grandi en intégrant des lieux communs et il faut avoir fait un gros travail de recul et de déconstruction pour comprendre à quel point ils influencent notre jugement.

Biais cognitifs et recrutement : pourquoi chercher à les éviter ?

Dans la mesure où votre travail consiste à sélectionner aussi objectivement que possible quelqu'un qui sera performant sur le poste proposé, vous ne pouvez pas vous permettre de faire preuve de paresse intellectuelle et de sélectionner sans jamais douter, ni interroger, vos mécanismes inconscients. D'autant plus que les biais cognitifs ont un impact négatif sur le recrutement.

Vous êtes moins objectif·ve et multipliez les erreurs de recrutement

Votre instinct vous envoie des tonnes de signaux. Des recherches disent qu'il faut maximum 4 minutes pour se faire une opinion sur quelqu'un. Si vous avez trouvé une personne sympathique au départ, votre cerveau va mettre le curseur sur tout ce qui confirmera cette hypothèse et votre attitude sera différente avec cette personne.

Un peu comme quand on tombe amoureux et qu'on occulte tous les défauts de l'autre, finalement.

Cette dynamique peut vous conduire à sélectionner des personnes qui ne sont pas forcément les plus qualifiées pour le poste. Ou bien à passer à côté de traits de caractères que vous auriez défini comme rédhibitoires si vous les aviez vus.

On ne sera jamais sûrs à 100% du choix d'un candidat, mais prendre conscience de ses biais cognitifs peut permettre de déjouer certains pièges pour éviter des erreurs de recrutement.

Vous écartez des talents intéressants

À l'inverse, si vous avez trouvé un défaut à un candidat, vous aurez tendance à le juger plus sévèrement alors qu'il est peut-être très qualifié (et que ce qui vous a énervé est peut-être contrebalancé par des qualités qu'il n'a pas encore eu l'occasion de démontrer).

En faisant cela, vous prenez le risque de passer à côté de très bons talents et vous oubliez que c'est le manager de l'équipe qui sera amené à travailler avec lui, pas vous. Objectivement, ce n'est pas avec votre personnalité que vous devriez le faire matcher.

Vous risquez de faire de la discrimination à l'embauche

Plusieurs biais cognitifs (le biais de projection ou le biais de généralisation excessive) vont nous conduire à avoir plus de sympathie pour des personnes qui nous ressemblent ou qui correspondent à une idée qu'on se fait (par exemple, les gens qui sortent de polytechnique seraient plus compétents que ceux qui ont fait une école d'ingénieur lambda).

En ne questionnant jamais ce réflexe vous risquez de sélectionner toujours le même type de profil, vous persuadant que vous prenez un risque en sortant de ce schéma. Dans les cas les plus extrêmes, vous pourriez bien faire de la discrimination à l'embauche.

À terme, la mixité dans votre entreprise en souffrirait et les performances finiraient également par décliner, car c'est la diversité d'opinions qui apporte de la nouveauté.

Comment éviter les biais cognitifs dans le recrutement ?

Posons les choses clairement : peu importe à quel point vous êtes conscients de vos biais, vous n'arriverez jamais à vous en défaire à 100%. Et d'ailleurs c'est une erreur de croire qu'il faut s'en débarrasser. Il s'agit d'un fonctionnement normal du cerveau sans lequel vous deviendriez fou ou folle. En revanche, comme tout mécanisme, il comporte des limites qu'il est bon de connaître pour en limiter l'impact.

Voici quelques pistes pour prendre vos décisions en conscience.

Interrogez vos réflexes sans crise d'égo

Lorsque vous rencontrez quelqu'un pour la première fois, ne cherchez pas à ignorer vos premières impressions. Au contraire, notez-les pour en avoir conscience et demandez-vous ce qui vous amène à penser cela.

Pareil au cours de votre évaluation, posez-vous régulièrement la question pourquoi est-ce que je mets cette note là ? Est-ce que mon avis de départ influence mon évaluation ? Y a-t-il d'autres endroits où le candidat m'a démontré l'inverse ?

Remettez votre jugement en question sans crise d'égo. Vous avez le droit de vous tromper sur quelqu'un, et vous ne décèlerez jamais tous vos biais. En revanche, en faisant cela vous acceptez la possibilité que vous puissiez avoir tort.

Créez un système d'évaluation qui tienne compte de vos réflexes

Une fois que vous aurez accepté l'idée que votre cerveau peut parfois vous tromper (ce qui est difficile à concevoir, surtout pour les personnes qui se considèrent comme instinctives), mettez en place des modes d'évaluation rigoureux. Voici quelques pistes :

Ayez un scénario d'entretien balisé, avec des questions identiques pour tous les candidats. Ces derniers temps on a beaucoup vanté les mérites des entretiens sous forme de conversation, peu formels ou le moins possible. Le problème, c'est que certains candidats sont plus à l'aise dans l'exercice que d'autres. Et vous-même aurez plus d'atomes crochus avec certains candidats qu'avec d'autres. Et cela va forcément influencer la discussion et l'implication que vous y mettrez. Le fait d'avoir des questions identiques vous assure une implication minimale et la possibilité pour chacun de montrer ses capacités.

On entend de plus en plus parler d'entretien structuré (pour en savoir plus sur ce type d'entretien je vous renvoie à cet article). Ce dernier est intéressant dans la mesure où les questions sont définies en amont. Il en existe de deux types :

  • des questions situationnelles, où l'on demande au candidat de se projeter dans une situation ("que feriez-vous si votre manager vous accusait de quelque chose que vous n'avez pas fait ?")
  • des questions comportementales, où l'on demande au candidat de parler d'un épisode qui a déclenché un comportement chez lui ("parlez-moi d'une fois où vous avez dû prendre une décision dans l'urgence. Que s'était-il passé et comment avez-vous réagi ?").

Ces questions contextualisent les compétences de vos candidats. Pour chacune d'entre elles, vous devez avoir des critères d'évaluation précis (gestion du stress, capacité à garder son sang froid, capacité à rebondir,...) et les justifier.

Ce mode d'évaluation est intéressant car votre système est défini avant et vous n'improvisez pas une évaluation au dernier moment puisque vous y avez réfléchi.

Lorsque vous prenez votre décision, plutôt que de vous demander "pourquoi je devrais choisir cette personne là ?" demandez-vous "pourquoi je devrais refuser cette personne là ?". Cela vous forcera à aller chercher les défauts des meilleurs candidats.

Multipliez les avis : le recrutement collaboratif

Le recrutement collaboratif comporte de nombreux avantages, dont celui de multiplier les points de vue. Chaque personne étant différente, aucune ne verra exactement la même chose et cela vous permettra de soulever des aspects que vous n'auriez peut-être pas vu seul·e.

Impliquez donc au moins le manager qui aura la charge de la nouvelle recrue dans vos prises de décision. D'une part, c'est lui qui sera amené à travailler avec, donc il vaut mieux qu'il l'ait validé. D'autre part, il a une vision différente de la vôtre de l'équipe qu'il gère et des missions qu'il remplit. Il ne place pas forcément le curseur de ses priorités au même endroit que vous.

Si vous le pouvez, faites aussi participer d'autres membres de l'équipe de recrutement ou de la future équipe du candidat.

Donnez-leur à chacun une grille d'évaluation identique et encouragez-les à ne pas communiquer entre eux avant et pendant l'évaluation. L'idée est d'avoir un avis le plus objectif possible.

Le rôle de l'intelligence artificielle dans le recrutement

De plus en plus d'outils parient sur l'intelligence artificielle pour établir un profil le plus objectif possible. Ces outils ont fait des progrès assez remarquables et c'est vrai qu'ils sont a priori dénudés des affects de l'être humain.

C'est la raison pour laquelle je pense qu'ils ont un beau potentiel dans la recherche d'une certaine objectivité du recrutement.

Attention cependant : comme tous les systèmes créés par les humains, ils ont leurs failles.

Il y a quelques années, on apprenait que les Intelligences artificielles avaient tendance à discriminer les femmes lors d'un recrutement. Comment ? Eh bien ces systèmes se fondent sur des modèles statistiques qui s'appuient sur l'existant et prennent en compte une multitude de critères. Or l'existant, dans ce cas précis, c'était que certains métiers étaient plus attribués à des hommes qu'à des femmes. Le modèle statistique a donc reproduit bêtement ce cas de figure en calculant qu'un profil d'homme avait plus de chances de correspondre au poste qu'un profil de femme.

L'intelligence artificielle est le reflet de notre société, avec tous ses travers. Elle est capable d'apprendre du passé mais pas d'en tirer des leçons pour changer le futur en fonction de l'évolution des mentalités. Ça, c'est notre travail.

C'est la raison pour laquelle elle peut-être une béquille mais ne doit surtout pas être considérée comme une manière d'éradiquer nos biais avec certitude.

J'espère que cet article vous aura permis de comprendre un peu mieux la notion de biais cognitif et vous aura donné envie de remettre en question vos mécanismes inconscients. Je sais que c'est difficile. Le réflexe Simmelweiss est très ancré en nous et nous conduit à rejeter des faits et savoirs nouveaux lorsqu'ils entrent en contradiction avec notre opinion et notre expérience. Mais de nombreuses études prouvent que notre instinct n'est pas 100% fiable.

N'hésitez pas à combiner plusieurs des méthodes dont je vous ai parlé pour obtenir de meilleurs résultats avec vos recrutements.

À très vite ! 👋

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À propos de l'auteur·e
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Chargée de l'acquisition chez Taleez. Quand je n'ai pas le nez plongé dans mes projets marketing, j'écris des articles pour vous parler de recrutement digital et de ma passion pour France Gall. Ah, non... Apparement pour France Gall c'est non.