Expert des ressources humaines et du marketing, Thomas Chardin est également fondateur de l'agence Parlons RH. En ces qualités, Taleez a souhaité lui poser quelques questions pour définir la marque employeur et les étapes clés à suivre pour la déployer.
Bonjour Thomas, quand on parle de marque employeur, de quoi parle-t-on ?
Thomas Chardin : Bonjour Julien, la marque employeur, c'est le bifidus actif de la RH : ce qu'elle fait à l'intérieur auprès des salariés se voit à l'extérieur auprès des candidats. Les bons attributs internes de l'entreprise sont facteurs de fidélisation et d'engagement : un management à l’écoute, un projet audacieux, une vision ambitieuse, une vocation environnementale, etc. Ils suscitent l'intérêt de potentiels nouveaux collaborateurs.
La marque employeur, c'est une marque appliquée à la RH. Car, quelle que soit la taille de l'entreprise - de la start-up au grand groupe, en passant bien évidemment par les TPE, PME et les ETI - l'entreprise ne fait pas qu'employer au sens strict, elle :
- recrute
- intègre
- accompagne et elle forme
- collecte (je pense là aux cotisations sociales et aux impôts)
- s'inscrit dans un bassin d'emploi et dans un territoire
- a une responsabilité sociale, environnementale et sociétale
Elle joue donc différents rôles d'employeur, auprès de différents publics.
Si la marque employeur ne s'adressait qu’aux candidats on appellerait ça la marque recruteur.
Pourquoi faut-il nécessairement mettre en place une marque employeur en 2019 ?
T.C : Il y a quatre bénéfices à attendre d'une marque employeur efficace :
- Développer votre notoriété employeur
- Attirer les talents escomptés
- Fidéliser les talents souhaités
- Engager, au sens de motiver à passer à l’acte, les collaborateurs et plus largement le management
Quelques chiffres attestent de la réalité constatée de ces bénéfices : soigner sa marque employeur permet de réduire jusqu'à 28 % le turnover et amène une diminution des coûts de recrutement jusqu'à 50 %. C'est ce que révèle l'étude de 2011 « What's the Value of Your Employment Brand ? » de Eda Gultekin.
D'autres études vont dans le même sens.
Mais si on reste très pragmatique, dans le contexte actuel de pénurie de compétences et même de « guerre des talents », l’intérêt principal d'une marque employeur n'est peut-être pas que dans ces 4 bénéfices RH...
Une bonne marque employeur permet tout simplement d'assurer la croissance de votre entreprise. En 2019, sans capital humain, point de business.
Quelles sont les étapes pour déployer une marque employeur efficace ?
T.C : Sauf à considérer le sujet de la marque employeur comme de la communication-séduction ou un projet courtermiste et cosmétique, il y a 4 grandes étapes dans une démarche de marque employeur.
Phase 1 : le diagnostic de marque employeur
Ce diagnostic est un vrai audit marketing RH, une photo de l'existant en matière d'image, d'identité et de pratique employeur. Étape indispensable, elle permet de comprendre où en est l'entreprise à un instant T. Elle s'articule autour d'un axe interne et d’un autre externe.
Diagnostic interne
L’axe interne porte à la fois sur une analyse des données RH (KPI), turn-over, absentéisme, effectifs, et des processus RH en place et sur la réalisation d'entretiens qualitatifs ou des ateliers collectifs avec les hommes et femmes de l'entreprise.
Toutes les catégories de l'entreprise sont interviewés : les professionnels RH - pour mieux appréhender les pratiques RH -, les membres du Codir/comex - pour recueillir les enjeux business, le positionnement de l'entreprise, le projet RH, leur vision -, les managers - pour saisir leur vision de l'entreprise, son projet, ses valeurs -, un panel de salariés pour collecter, le contexte managérial, la perception des pratiques RH, les valeurs -.
Enfin un focus sera réalisé en direction des candidats qui n'ont pas accepté une proposition d'embauche, et les collaborateurs démissionnaires regrettés par l'entreprise, afin d'objectiver les raisons de leurs départs.
Ces différentes rencontres peuvent s'appuyer sur des enquêtes ou des baromètres mesurant le climat social et l'engagement, du type Gallup, Great Place To Work, Top Employers, ou OpinionWay.
Diagnostic externe
L’axe externe du diagnostic s'appuie sur un benchmark concurrentiel de la marque employeur de 3 ou 4 principaux concurrents. Il consiste à étudier leurs promesses RH et leurs axes différenciants ainsi que leurs politiques RH visibles.
Un audit d'e-réputation employeur complète ce diagnostic externe. L'expérience candidat sur le site carrière, et la prise de parole de l'entreprise sur les réseaux sociaux sont analysées avec un focus sur les avis présents sur les sites de notations -Glassdoor, Viadeo, Indeed, ChooseMyCompany.
Un audit de l’expérience candidat est souvent très intéressant en termes de résultat.
Phase 2 : la construction de la plateforme de marque employeur
Lors de cette phase, il s'agit de construire la vision cible de la marque employeur. Elle est construite dans le respect du continuum stratégique entre le business et les RH. En accompagnement du projet d'entreprise, il s'agit de projeter la marque employeur à deux, trois voire quatre ans. C'est donc une approche dynamique.
Concrètement la marque employeur doit se traduire par une promesse RH, des bénéfices spécifiques pour des clients (RH) cibles identifiés, puis être étayée par des services RH concrets, tangibles et mesurables.
Le facteur clé de réussite de la construction de cette plateforme passe par itérations successives avec l'équipe RH et les collaborateurs. C'est du temps, en effet, mais ce processus permet d'en gagner énormément dans l'appropriation par les équipes de celle-ci une fois validée.
Phase 3 : le plan d'action
Cette phase consiste à passer de la photo de l'existant, le diagnostic, à la photo de la cible - la plateforme de marque employeur.
Dans un premier temps, afin d'identifier la vingtaine de chantiers possibles tant internes qu'externes, il s'agit de superposer la situation d'aujourd'hui et la cible future pour mettre en exergue les pratiques RH manquantes.
Par exemple :
- une refonte du site carrière pour mieux coller à la promesse Employeur
- un vrai programme de cooptation fédérateur et incitatif
- une rationalisation du recours aux cabinets de recrutement
- une présence digitale sur LinkedIn et Facebook plus moderne
- une démarche fédératrice d'employee advocacy pour porter la marque
- un processus d'évaluation, s'insérant dans une démarche de progrès
- un programme pédagogique, centré soft skils, dédié aux managers
La liste obtenue constitue alors le schéma directeur des politiques RH planifié à court, moyen et long terme, en lien avec la marque employeur.
Phase 4 : le déploiement
Enfin, la quatrième et dernière phase correspond, quant à elle, à la mise en œuvre des chantiers priorisés et des actions planifiées. C'est à ce moment-là que tout commence et que l'entreprise pourra par la suite mesurer le chemin parcouru.
Quelques pièges à éviter :
- Ne pas impliquer le management et les collaborateurs
- Construire une démarche autour d'une seule catégorie de collaborateur
- Limiter la démarche à la "marque recruteur"
- Être en surpromesse de communication
- Confondre l’étape de marketing (plus analytique) et l’étape de communication (plus créative)
La marque employeur s'implante-elle dans une stratégie d'inbound marketing ?
T.C : Ils sont complémentaires.
La DRH si elle veut intéresser des talents, se doit d’être intéressante pour ces derniers.
La marque employeur est la promesse, la cible. C’est elle qui doit redonner de la désirabilité individuelle de la destination collective.
La démarche d’inbound est une méthode, celle du monde contemporain avec une guerre des talents qui commence, doublée d’une guerre de l’attention.
Si la fonction RH veut rentrer dans le 21ème siècle, elle se doit de passer au marketing RH.