Qui prend soin des RH ?

Arnaud D'Hoine
Qui prend soin des RH ?

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Quis custodiet ipsos custodes ?
Pas mal non ? C’est França…Oups, Latin !
Si comme moi vous avez étudié cette chouette langue morte en LV 4 au Collège pour soit faire plaisir aux parents soit avoir une chance de vous rapprocher de la jolie Noémie qui se voyait déjà avocate ou médecin selon qu’on soit un jour pair ou impair, vous connaissez probablement la signification de cette locution attribuée à Juvénal [1] :  Qui garde les gardiens ?

Si cette question interroge le plus souvent le contrôle qu’il doit être possible d’exercer ou non sur les organes de pouvoir, elle prend un autre sens lorsqu’on la pose à propos des métiers du soin ou en ce qui nous concerne de la fonction Rh dont on rappellera encore une fois qu’elle est épuisée, et que ce n’est pas pour se faire plaindre.
Alors que son rôle est de veiller à la sécurité physique, mentale et psychologique des salariés, d’accompagner le développement des collaborateurs tout en contribuant au développement économique de l’entreprise, vous constaterez que le/la RRH moderne le fait avec des vêtements à peu près basiques et communs. Pas de combinaisons en élasthanne super moulée, pas de slip par-dessus le chino, aucun signe extérieur d’appartenance à une famille de super-héros, et pour cause : les RH sont des personnes normales. Pas des figures infaillibles et increvables, encore moins des machines. Juste des salarié(e)s qui peuvent perdre pied à force de faire de leur mieux pour s’occuper des autres dans des conditions parfois compliquées. Je repose donc la question : qui soigne les soigneurs ?
Il était une fois la vie des RH, avant-dernier épisode, c’est parti.

Démêler le (très) vrai du (pas si) faux

Il y a des chiffres connus qui font peur. Un baromètre en particulier en regorge [2] mais heureusement contrebalancés par des éléments plus positifs (comme le fait que le moral des Rh reste globalement bon). Petit tour d’horizon : 81% des DRH se disent « proches de l’épuisement », 73% se sentent « frustrés », 66% sont « isolés ». Plus de la moitié déclare passer 50% de leur temps au moins sur de l’administratif alors que le temps manque pour traiter les 3 sujets prioritaires que sont la rémunération, les parcours professionnels et la QVCT alors que les enjeux se concentrent toujours plus sur l’attractivité et la fidélisation. D’après l’enquête GERESO “Professionnels RH, comment allez-vous" de 2023, on peut anticiper une dégradation progressive de l’équilibre vie pro / vie perso déjà ressentie par près d’un tiers des Rh interrogé(e)s en raison d’un accroissement des sollicitations et de la charge de travail. 

Et si on en profitait pour observer la fonction Rh avec les outils qu’elle utilise lorsqu’il est question d’engagement et d’attractivité, par exemple les 5 principaux piliers de la proposition de valeur employeur ? Commençons par la mère de toutes les batailles, le nerf de la guerre, l’alpha et l’oméga de la relation au travail : l’argent ! Une idée tenace dit qu’on ne devient pas riche grâce à une carrière dans les ressources humaines mais c’est un peu plus nuancé que cela puisqu’avec un salaire mensuel moyen situé à 2.971 €, on se situe légèrement au-dessus de la moyenne nationale atteignant les 2.530 € [3]. Mais cela cache des disparités nombreuses selon le secteur dans lequel on exerce, la taille de l’entreprise, le fait d’être en reconversion ou non qui ralentit l’évolution (quasiment 31% des effectifs de la fonction RH, tout de même), le fait d’être à Paris ou en Province, le niveau de séniorité et bien entendu l’expertise. Un conseil : visez la paie plus que le recrutement si vous avez quelques aspirations pécuniaires !
Si la fonction RH ne semble pas la plus à plaindre du point de vue financier (et même si 50% des Rh jugent leur rémunération insuffisante), cela ne dit rien de la charge de travail qui se cache derrière ni du coût social, psychologique à payer.

Justement, quid du projet, du sens et des valeurs ?
Les débats internes éthiques et moraux, le positionnement inconfortable à portée de tir équidistant des salariés et de la direction, les maux de tête et les envies de pleurer parfois le soir en rentrant chez soi, tout cela a déjà été mentionné dans de précédents articles. Allons à l’essentiel. Dans ce pays magique où tout se passe bien qu’on appelle « Théorie » la fonction Rh est une partie prenante importante dans la réflexion, la conception, la traduction opérationnelle et l’animation du projet d’entreprise et des valeurs afférentes. En théorie, donc. Parce que même si 100% des DRH siégeaient dans les CODIR [4], le vrai sujet n’est pas leur représentation mais le fait d’être audible dans des contextes business et à fortiori quand le navire prend la flotte. Si 74% des Rh ont choisi cette orientation pour la dimension humaine et sociale, si une immense majorité se sent utile, il ne faut pas oublier un point fondamental : les ressources humaines sont encore pour l’instant un métier de chiffres, de paperasse et de process.

Alors peut être peut-on mener ces missions dans un environnement de travail sain, confortable, moderne ? Quasi 60% de la population Rh dénonce un manque de temps et de ressources, pensez donc ! Les enveloppes accordées aux hausses de salaire ont diminué en 2024 et la tendance pourrait s’accentuer en 2025, 45% des équipes Rh vont réduire leur budget et rentrer plus ou moins volontairement dans une période de rationalisation…  Et niveau outil, alors que tout le monde s’extasie sur l’IA ? 

Le taux d’équipement en ATS ne dépasserait pas encore les 70% dans les entreprises de plus de 1000 personnes, d’après l’Apec. Alors imaginez l’usage de logiciels de recrutement moderne dans des PME au fin fond de l’Ariège…

Je pourrais encore développer sur le concept des avantages et du développement des compétences au sein de la fonction RH, mais vous l’avez compris, vous avez affaire à des équipes investies, opérationnelles, fatiguées mais encore confiantes pour le moment.
Ah oui, parce que tout cela risque de changer avec la mutation de la fonction.

Vers l’inconnu et au-delà

Bien que le cœur des RH continue de battre autour des tâches historiques telles que la paie et l’administration du personnel et qu’on pourrait ressortir encore une fois la légendaire matrice de Dave Ulrich pour expliquer à quel point la réalité va bien au-delà de tout ça, force est de constater que le périmètre ne cesse de s’accroître dans des directions inattendues et que la fonction pourrait légitimement traverser une crise identitaire aussi costaud que celle d’Arthur Fleck dans Joker.

La fonction Rh, c’est ce pote en manque de reconnaissance sympa et corvéable à qui vous refilez toutes les tâches un peu pourries en étant presque sûr qu’il ne se rebiffera jamais. On reparlera dans le prochain (et dernier de cette série) article de ce que pourrait être la DRH de 2040, mais on sait déjà qu’elle est attendue au tournant à court terme sur :

  • La RSE. Évidemment sur le volet social, mais de manière parfois plus inattendue sur le strict volet environnemental. C’est bien connu, c’est aux RH de calculer le bilan carbone et G.E.S, sans compter le fait de se retrouver parfois comme deux ronds de flan face à la directive CSRD et un big boss qui ne fait pas la différence entre chiffre d’affaires et bilan.
  • Le marketing. Vous avez peut-être déjà croisé des gros mots comme le framework AARRR, le growth marketing ou encore la notion de persona alors qu’hier encore vous collectiez les éléments variables de paie auprès des commerciaux itinérants de votre organisation. Mais au fond cela fait plusieurs années que le vocabulaire des marketeurs et des communicants a envahi la sphère Rh et cela semble s’accélérer avec l’avènement des expériences candidat et collaborateur afin de développer la notoriété, l’attractivité des futurs salariés et la fidélisation des équipes. L’irruption du digital et des SIRH de tous poils et leur lot de data à analyser participe de ce phénomène, et l’enjeu à court terme est de garder en tête qu’il faudra toujours être en mesure d’apporter une réponse Rh qui soit opérationnelle et concrète.
  • L’arrivée et l’acculturation des GenZ qui additionnés aux Millenials devraient représenter 75% de la population active d’ici 6 ans.
  • L’enlisement de la crise managériale et le désamour grandissant pour le rôle. Forcément, il va falloir créer d’autres points de contacts et potentiellement réintégrer dans les équipes people des tâches qui étaient éparpillées façon puzzle aux quatre coins de la boîte. Et puis accompagner ces managers en déshérence, sans repères.
  • Les nouveaux modes collaboratifs et les nouvelles organisations de travail. Enfin, sauf si le « Monde d’après » qu’on nous a survendu continue de ressembler de plus en plus au monde d’avant, mais avec une nouvelle couleur sur les murs. Auquel cas, il faudra plutôt sortir la cuirasse pour aller prendre les coups entre des salariés et des candidats qui aspirent à ces nouveaux modes de fonctionnement de manière pérenne et des directions qui veulent tout détricoter pour reprendre le contrôle. 

Récapitulons : Faire plus avec les mêmes moyens, voire avec moins, sans qu’il y ait eu de réelle opportunité de se former sur les sujets ? Tout ça dans un contexte de tension économicopolitique ? N’y allons pas par quatre chemins : si vous n’êtes pas Rh, que vous lisez ces lignes et que vous n’avez toujours pas compris l’urgence de prendre soin vos équipes people, soit j’écris très mal soit vous êtes prêts à faire tomber votre organisation.

Concrètement, qui peut faire quoi ?

Attention, chaussez vos plus belles lunettes polarisées histoire de ne pas être aveuglé par le flash de l’évidence : les RH ont des managers. Des N+1, des N+2 auxquels s’adresser au cours des entretiens traditionnels ou au fil de l’eau, de manière plus ou moins formelle. Parce que si la fonction RH a appris à être (trop) résiliente et peut s’oublier dans l’équation alors qu’elle veille à la bonne application des règles pour les autres, elle reste éligible aux mêmes droits et aux mêmes attentions que n’importe quel membre de l’entreprise. Sauf que la parole de la RH n’est jamais et ne pourra probablement jamais être totalement libre. Alors charge à son management de créer l’environnement le plus safe et le plus propice possible. Cela a déjà été écrit, mais la récompense d’une fonction RH qui fait du bon travail, à fortiori dans un environnement où tout va bien, c’est le silence. Brisons cela. Valorisons publiquement les professionnel(le)s au sein des entreprises, défendons-les face à des opérationnels passifs agressifs qui tentent de s’imposer et de contester leur légitimité, au hasard dans un processus de recrutement. Laissons-les contester des orientations stratégiques en CODIR sans les balayer d’un revers de main dans un ricanement sarcastique. Et je vais même être beaucoup plus terre à terre que cela : donnons aux équipes RH un espace physique dans les bureaux qui soit à la hauteur de l’importance de leur mission et de leur impact ! Parce qu’entre dire qu’on porte de l’intérêt au facteur humain et s’en donner réellement les moyens, il y a 3 mondes.
J’ai connu en tant que RH salarié des configurations exotiques, j’en fréquente encore un certain nombre en tant que consultant, j’ai encore trop souvent le (dé)plaisir de constater que les équipes people occupent parfois des endroits inhospitaliers en contradiction avec leurs missions et les attentes de la direction. 

Mon préféré ? Une équipe physiquement scindée en deux. Dans un couloir, en plein open space à deux jets de touillettes de la machine à café : l’équipe Recrutement. Trop facile de négocier de manière confidentielle des ouvertures de poste ou des négociations salariales quand 80 collaborateurs / heure passent et s’installent pour discuter. Pendant que de l’autre côté du bâtiment, dans un bureau fermé à l’abri des regards et très difficilement accessible sans un GPS et quelques verroteries pour amadouer les créatures étranges rencontrées en chemin [5] on trouve l’équipe Admin et Paie. Je pourrais mentionner des déménagements durant lesquels on a « oublié » de placer les 8 personnes de l’équipe Rh dans le nouveau bâtiment et à qui on gentiment proposé soit d’occuper un bureau partagé à 2 stations de métro de là, soit de prendre possession d’une pièce aveugle de 20m2 (qui devait à l’origine être un local technique), mais vous avez l’idée.

Revenons deux secondes sur cette histoire de parole. Que le management et plus généralement la direction générale écoutent et entendent ce que la DRH a à dire est une chose, que ladite DRH se sente libre de le faire en est une autre. Car bien que cela ne soit pas forcément agréable à lire, la fonction Rh est peut-être en partie responsable de ce qui lui arrive, en ne prenant pas suffisamment la parole pour expliquer son métier, ses contraintes, sa réalité. Et ce n’est pas tant une question de devoir de réserve que de contrition internalisée et acceptée. Combien de fois peut-on lire sur Linkedin ou entendre dans des ateliers « je ne sais pas quoi dire » ? Sans même chercher une ligne éditoriale particulière, juste oser s’exprimer sur une vision ou une ambition qu’on a pour la fonction, partager sa veille, s’exprimer sur un point technique, cela suffit amplement à démocratiser les choses, à les rendre visibles. On peut être RH et communiquer avant tout pour soi, et si un employeur y trouve quelque chose à redire, c’est qu’il a sans doute la crainte que quelque chose qu’il ne souhaite pas faire savoir soit communiqué

Réfléchissez au dosage suivant : 70% de contenu autour des ressources humaines au sens large, 20% autour de l’actualité de l’employeur, et 10% de sujets un peu plus perso. Ça coûtera moins cher que le psy et ça peut rayonner positivement sur votre marque professionnelle et la marque employeur de votre entreprise.

Peut-être qu’une des solutions consiste aussi à ce que la communauté RH se structure en groupe de pairs ou de supervision. Que des temps d’échange se créent, pour rompre cette distance et cet isolement ressenti par nombre de professionnel(le)s.

Mais ce serait faire à nouveau peser presque exclusivement la responsabilité sur les épaules des RH, alors que c’est bien une responsabilité de l’entreprise. Charge à cette dernière de permettre la création d’un binôme fort Rh / Manager de proximité fondé sur une interconnaissance approfondie et une culture du feedback et de la reconnaissance forte. Mais aussi sur un allégement des process et une bonne répartition de ces derniers entre les différentes parties prenantes. Et on le répète à nouveau : sur un triptyque mandat clair / moyens / reconnaissance

Pour conclure

Il y a une tendance qui monte doucement à l’heure actuelle de l’autre côté de l’Atlantique. Un modèle prôné par des gars aux CV rutilants [6], aguerris dans les plus grosses boîtes tech qu’on puisse imaginer. Une organisation qui exclut la fonction RH de la carte parce qu’elle n’est d’après eux bonne qu’à faire du process tueur de business, souler avec la Diversité et l’Inclusion et empêcher une politique de up or out bien sauvage

Chacun est libre de juger, leur succès semble leur donner raison. Mais faire sortir de l’organigramme les personnes qui auraient la charge de ces missions ne fait pas disparaître les tâches, elles sont simplement externalisées. Si vous n’êtes pas dans une phase de blitzscaling bien intense, vous n’avez pas de réelle raison de vous couper de la fonction Rh, au contraire. Vous l’avez compris à la lecture de cette série, les équipes people sont stratégiques, opérationnelles, agents du changement, elles s’adaptent, elles peuvent conseiller, guider et empêcher de faire des bêtises. Elles vont muter, poursuivre leur évolution, et il faut l’espérer, prendre de plus en plus la parole. Mieux vaut que ce soit avec vous que contre, non ?

NOTES & INFOS

[1] Et vous savez qu’elle est imparfaitement comprise, puisqu’il s’agirait en premier lieu d’une invitation à surveiller les gardiens des maisons romaines afin qu’ils ne cèdent pas aux charmes des épouses infidèles en l’absence des maris… 

[2] : Baromètre RH 2024, Tissot & Payfit

[3] Moyenne du revenu net moyen d’un salarié du privé et du revenu net moyen d’un travailleur du secteur public, selon l’INSEE (2022 et 2021 pour les chiffres)

[4] Le chiffre actualisé n’est pas simple à trouver. Une enquête conjointe de l’EM Lyon et du Cranfield Network de 2004 présente un taux de représentations des DRH français au CODIR de 91%, quand une étude de l’ANDRH & l’APEC de 2017 présente un taux avoisinant les 33%.... Deal with it. 

[5] Des contrôleurs de gestion sociale, d’après les équipes d’exploration. Flippant. 

[6]  Chamath Palihapitiya, Jason Calacanis, David Friedberg , David Sacks, tous participants du podcast “All In”

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À propos de l'auteur·e
Arnaud D'Hoine
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Spécialiste de la Stratégie Employeur @IVIPI