Quel est le point commun entre un·e étudiant·e qui regarde ses pompes quand on lui pose une question, Harry Potter et la fonction RH ?
L’invisibilité.
Enfin presque. Etant donné que les capes magiques se font rares en cette saison et que lorgner fixement et en apnée ses Stan Smith n’a absolument aucun effet, seule la famille des ressources humaines semble réellement capable d’effacer sa présence au quotidien.
Et ce n’est pas juste. Mais est-ce mérité ?
On l’a dit, les ressources humaines sont par nature indissociables de la stratégie globale d’une entreprise et contribuent à sa conception. Elles apportent la structure indispensable au développement de la performance, surtout si on considère les choses sous l’angle du R.O.N.I [1] et qu’on lève le nez du guidon de l’hypercroissance 3 minutes. Mais quand tout roule, que l’activité est mûre, que les décisions sont marquées du sceau de l’équilibre budgétaire, de la maîtrise des coûts, bref quand ça ronronne aimablement à grands coups de standardisation, la fonction RH a une fâcheuse tendance à disparaître de la ligne de front.
Est-ce inéluctable ? Faut-il se résigner ? Les équipes People peuvent-elles se rebeller ? Il était une fois la vie des RH, épisode 3, c’est parti !
1 - Abracadabra, fonction RH tu t’effaceras !
La fonction RH semble par nature discrète et peu encline à parler d’elle, probablement en raison de son histoire qui la lie à des sujets pas forcément toujours sexy pour le profane et pourtant ô combien importants. Et si on pense immédiatement à la paie ou à l’administration du personnel, on verra pourtant un peu plus bas que ces tâches sont des piliers de l’expérience collaborateur dont l’importance est inversement proportionnelle à leur glamour.
Mais c’est surtout du côté de sa nature « partagée » qu’il faut aller chercher les raisons de l’effacement de la gestion des ressources humaines et des problèmes d’identification des interlocuteurs dédiés.
La GRH étant transverse, elle a vu se démultiplier ces dernières années le nombre de parties prenantes impliquées dans sa conception et son application, parfois au détriment de celles et ceux qui ont été formé·es pour l’occasion et dont c’est le métier.
Oui, il est envisageable de gérer des tâches RH sans équipe RH. À condition d’accepter une part de risque non négligeable au premier rang desquels figurent la non-conformité et la gestion de la charge supplémentaire sur les équipes.
Concrètement ? Il y a une accélération de la redéfinition des rôles entre ces différents acteurs.
D’un côté avec l’attribution au management de certaines tâches allant de la gestion des congés à l’évaluation et le développement des compétences en passant par la mobilité, le recrutement, la performance et une partie des questions de rémunération.
Et tels les joueurs choisis par défaut en dernier dans la cour de récré, il ne reste que le back-office. Ce qu’on pourrait appeler la logistique des ressources humaines.
Sauf que cette partie-là se voit désormais passer à la moulinette de l'automatisation sauce IA quand elle n’est pas externalisée. Et si ces évolutions sont bénéfiques en termes d’efficacité et d’économie de temps, l’émergence de modèles organisationnels plus horizontaux avec un plus grand partage des responsabilités, la transformation numérique des processus ou le recours à la sous-traitance sont des catalyseurs de cette décentralisation de la fonction RH. Et donc de son invisibilisation, en limitant au strict minimum les interactions entre les équipes et les interlocuteurs des équipes People.
Mais ce ne sont pas les seules raisons. Lorsqu’une entreprise atteint le mode « gestion », ses priorités changent et ses besoins en management des ressources humaines également. Se mêlent alors plusieurs phénomènes qui entretiennent un cercle tout sauf vertueux :
- La fonction RH va profiter des périodes de calme pour s’aventurer sur le terrain de la structuration et la standardisation des process et autres projets stratégiques à long terme.
- La direction, de son côté, accordera à la performance économique toute son attention. Et c’est un sujet de pilotage court / moyen terme qui peut reléguer les projets RH au second plan. Ce qui est d’autant plus vrai en période de crise.
- Par un habile mélange de syllogisme et de sophisme, la Direction Générale va entretenir sa croyance à propos d’une DRH centre de coût, déconnectée des réalités business et opérationnelles, bien sympa mais trop rêveuse. Et la renvoyer gentiment avec une tape amicale et condescendante sur le haut du crâne à ce qu’elle sait faire : gérer les trucs administratifs et juridiques dont personne ne veut. Et pendant ce temps-là, la Finance, le Commerce et le Marketing font un poker en CODIR.
Ajoutez à cela la complexité croissante de la réglementation, les mutations d’une fonction présente partout et appelée à se réinventer en fonction des thèmes et des outils quitte à devenir le « tiroir à bordel » de l’entreprise [2], une incapacité chronique des professionnel·les des RH à prendre la parole, un manque de diversité dans les équipes et le haut degré de technicité de certains sujets, et vous comprendrez aisément pourquoi les Directions des Ressources Humaines ont parfois du mal à prendre la lumière.
Et cela pose une question fondamentale : que peut-elle faire face à cette redistribution ? Quels rôles aller chercher pour exister, faire sa place et gagner en légitimité dans le cœur des équipes ?
2 - Réhabilitons les tâches les moins populaires !
Si on se réfère au baromètre « Les RH au quotidien » 2024 [3], les équipes RH continuent de passer un temps considérable sur les tâches administratives et notamment la paie alors que leur cœur penche vers les sujets QVCT.
On ne va pas résoudre ici le problème d’allocations de moyens et de ressources pour libérer des tâches les plus chronophages, mais rappeler une évidence : si la vie de l’entreprise reflète les aspirations sociétales, les équipes RH sont sans doute les 1ers acteurs et les chefs de projet de ces transformations.
Si on cherche la valeur ajoutée des équipes People, il ne faut pas chercher plus loin que dans le chantier de l’expérience collaborateur, même si ça n’apparaît pas directement dans le P&L.
Pour rappel, l’expérience collaborateur peut être assimilée à l’ensemble des interactions, expériences, perceptions, émotions, ressentis d’un·e salarié·e au cours de son parcours au sein d’une organisation, de son arrivée à son départ.
C’est un énorme levier d’engagement, et la fonction RH est loin, très loin d’y être étrangère.
De manière générale et à bien y réfléchir, chaque étape de l’expérience collaborateur correspond à une tâche RH : gestion du processus de recrutement, négociation et préparation d’une offre d’embauche, intégration, gestion du quotidien, des compétences, de la formation, des mobilités et des carrières, évaluation de la performance, départ. Sans oublier toute la dimension socio-affective avec la qualité des interactions et des relations en interne entre collègues ou avec la ligne hiérarchique, la reconnaissance, la communication, etc. Finalement, avoir les coudées franches pour « juste » bien faire son boulot de RH, c’est déjà contribuer à la QVCT, et soyons fous, à la prévention des RPS.
Mais il y a mieux. Accrochez-vous : les tâches les moins sexy et les plus rébarbatives sur le papier prennent une importance considérable dans l’expérience collaborateur. Imaginons un instant que la paie sorte de manière totalement chaotique plus ou moins chaque mois, avec 40% d’erreurs dans un grand élan de je m’en foutisme et une absence totale d’explications. Vous trouveriez cela normal ? Je ne pense pas.
Qu’il pleuve, neige, vente ou fasse beau, que l’entreprise navigue sereinement sur un océan de quiétude ou qu’elle se fasse tabasser, la paie ne doit pas juste être émise comme l’exige la loi, elle doit être traitée de sorte à générer de la confiance au sein des équipes. Élément clé de la reconnaissance des salarié·es, la paie est liée à 100% à l’engagement, la motivation et l’efficacité. A dire vrai, il est difficile de trouver une tâche plus au cœur de la relation employeur-salarié que celle-là, et paradoxalement aussi peu considérée.
Oui, on doit parler d’une approche stratégique du processus paie afin de renforcer l’expérience collaborateur en s’engageant entre autres sur le respect des délais, l’accès à l’information et la transparence, les aménagements possibles comme le versement d’acomptes, le support et l’assistance aux utilisateurs, etc.
Et derrière la paie se cache un autre thème connexe : celui de la rémunération.
Toujours selon le baromètre Tissot / Payfit, c’est LE sujet de préoccupation pour 64% des salariés, et c’est là encore un sujet d’expertise RH dans toute la complexité qui est la sienne. Car au-delà des calculs et des équilibres purement financiers, statistiques et de rentabilité, il est question de performance. D’équité. De culture d’entreprise. De proposition de valeur employeur. En un mot, de stratégie.
Une politique de rémunération se doit d’être réfléchie et attractive mais pas uniquement à travers les montants. Les effets d’une augmentation de salaire sur la motivation sont très limités dans le temps, de l’ordre de quelques semaines ou mois car touchant principalement à la motivation extrinsèque [4]. L’influence sur l’engagement à long terme est d’autant plus restreinte.
C’est donc du côté du design de la stratégie de rémunération, de la réflexion et des processus décisionnels qui lui ont donné sa forme qu’il faut aller chercher.
- Existe t-il une grille de salaire ? A t-elle été co-construite ?
- Comment sont décidées les augmentations individuelles ? Collectives ?
- Pourquoi le choix de ces règles ? Qu’est-ce que cela dit des croyances qui fondent une partie du contrat moral unissant employeur et salarié ?
- Quid de la politique de primes, des décisions importantes comme l’établissement d’un salary cap et le déplafonnement des variables ?
- Quelle est la politique de partage de la création de valeur ? Quels sont les avantages autres que pécuniaires qui sont envisagés ?
- À nouveau, qu’est-ce que cela vient dire du degré de maturité sur des sujets d’importance comme l’accompagnement de la parentalité, l’équilibre vie pro / vie perso, la formation ? Quel degré de transparence autour de tout cela, et pourquoi ?
Lorsque je mène des audits culturels en entreprise pour accompagner la formalisation d’une EVP [6], le fait de sentir une résistance voire de la tension sur ces sujets (littéralement lorsque l’entreprise me refuse l’accès à ces infos) est généralement un signe que je creuse au bon endroit. Et ça arrive relativement souvent, hélas…
Vous l’aviez vue comme ça vous, la question de la rémunération et de la paie ? Si oui, tant mieux [5]. Non ? Peut-être parce que les RH ont pris l’habitude de faire en silence.
3 - Savoir et surtout faire savoir
La reconnaissance est une plaie béante dans l’égo de la fonction RH, et ce n’est pas nouveau. En 2016 déjà, l’enquête « le magicien de l’humain » cosigné du Boson Project et de SAP SuccessFactors indiquait que 73% des 1300 personnes interrogées pensaient que les RH n’étaient pas suffisamment valorisées au vu de leur activité. Et aujourd’hui un des mots qui revient le plus est « frustration ».
À qui la faute ? La réponse est sans doute multi-factorielle et trouve une partie de sa réponse dans la place accordée par les autres fonctions. L'œuf, la poule, tout ça.
On attendrait des équipes RH qu'elles sachent prendre la parole et « vendre » leurs activités mais entre les sujets qui ne s’y prêtent pas pour cause de confidentialité et les éventuels conflits de loyauté avec l’employeur, trouver le juste équilibre et la bonne tonalité n’est pas facile. Dernier exemple en date livré par un DRH de ma connaissance : ce dernier s’émeut auprès de son DG du recours massif à l’alternance pour profiter d’une main-d’œuvre pas chère. Pédagogue dans l’âme, il souhaiterait que ces profils soient accompagnés comme il se doit, mais le DG s’y refuse et va jusqu’à lui intimer l’ordre de consacrer moins de temps à l’accompagnement de l’alternante qui a rejoint l’équipe RH.
Le soir même le DRH tombe sur un article traitant de ce problème et décide de le partager sur LinkedIn, sans allusion à son employeur ni prise de position. Le lendemain, son DG lui tombe dessus et le sermonne, lui indiquant que « le message avait été reçu et que c’était un jeu dangereux ». Si l’attitude du DG est à vomir, c’est pourtant le DRH qui décide de se mettre en retrait du réseau social et de s’invisibiliser volontairement.
Si de manière plus générale, la fonction RH semble entretenir un complexe de légitimité, une autre hypothèse moins populaire mérite l’attention : le manque de diversité dans les profils. Cette homogénéité dans les parcours et les histoires peut conduire à une vision étroite de la fonction de la part de celles et ceux qui l’observent, mais limite aussi peut-être l’émergence de nouveaux role models.
Si on pourrait attendre de la fonction RH d’être la rock star de l’entreprise en ayant la charge des sujets sociétaux parmi les plus importants comme la RSE, la diversité, l’inclusion, l’engagement, cette transition entre une fonction historiquement administrative et une version moderne mêlant les influences du marketing, de la communication, du commerce, de la finance n’a semble t-il pas encore réussi à accoucher de ses champions new gen. Certes, l’espace médiatique semble saturé mais celles et ceux qui prennent la parole sont dans l’immense majorité des indépendants (j’en suis une preuve) et pour certains sans base technique RH !
Pourtant le quotidien de la fonction RH intéresse. Et il mérite d’être connu ne serait-ce que pour lutter contre le RH Bashing et pour rendre compréhensible toute la complexité de la fonction et son impact dans le quotidien de n’importe quel salarié.
Mais entendons nous : il n’y a aucune obligation pour les RH de s’exprimer, pas plus qu’il n’y en a pour une Direction Financière ou une équipe de Supply Chain.
Mais les sujets que nous traitons sont bien visibles, eux. Ils touchent au quotidien des gens, nos actions ont des conséquences et nous cristallisons de facto l’attention.
Nos expertises bâtissent le socle des organisations de demain et du pacte social.
C’est difficile, mais la fonction RH doit accepter le fait de ne pas prendre parti pour la direction ou les salarié·es, elle doit apprendre à être humaine, impartiale, pédagogue et à apporter des preuves.
Et puisqu’elle se transforme, se décentralise, se dilue notamment dans le management, pourquoi ne pas imaginer intégrer des objectifs et des indicateurs de performance pertinents dans les job descriptions des managers de proximité ?
Certes, il existe déjà des obligations de publication et de transparence sur des pratiques RH qui structurent les cultures d’entreprise mais avouons-le, l’index d’égalité professionnelle ressemble de plus en plus à un machin qui fait pschiiiiiit à mesure que les années passent.
Faire savoir, c’est identifier la promesse de la fonction Rh, la rendre crédible à travers des éléments de preuve tangibles qui sont dans la grande majorité des cas les avis spontanés et libres des salarié·es, c’est trouver le petit truc en plus, la création de valeur ajoutée qui va faire la différence d’une direction RH à l’autre comme par exemple un élément remarquable du quotidien, un rituel, et c’est une tonalité. Le plus dur, c’est le 1er pas. Mais le jeu en vaut la chandelle, ne serait-ce que pour s’imposer dans le paysage interne de l’organisation.
Le mot de la fin
La fonction RH, c’est ce groupe de musique sympa qui fait l’effort de jouer dans un restaurant ou un bar et dont tout le monde se fout. Certain·es se montreront agacé·es par la musique qui couvre leurs conversations, d’autres iront de leurs petites requêtes pour modifier la set list en imaginant que les zicos sont à leur service et n’ont que ça à faire, certain·es vivront leur soirée comme si de rien n’était dans une indifférence totale. Quelques-uns se diront qu’ils feraient aussi bien s’ils avaient une Stratocaster entre les mains.
Jusqu’à ce que tout se mélange dans un bruit de fond et s’oublie.
Jusqu’au moment où la musique s’arrête et qu’on y prête finalement attention en raison du silence. Finalement, ce n’était pas si mal ce que ce petit groupe sympa jouait, pourquoi ça s’arrête hein ?
Parce que sans reconnaissance, tout est plus compliqué. Et dans le quotidien d’une entreprise qui va à peu près bien, on peut avoir tendance à oublier un peu trop rapidement tout ce qu’une équipe RH fait quotidiennement pour améliorer l’expérience collaborateur. Il serait dommage d’attendre un choc pour sen souvenir, non ? Ça tombe bien, on en parlera au prochain épisode.
NOTES & ANNEXES
[1] Le « Risk Of Non Investment ». Session de rattrapage ici
[2] Toi qui lis ce texte, tu en as probablement un chez toi : un tiroir fourre-tout dans lequel on retrouve des piles, de la monnaie, des câbles USB inconnus, un briquet-alors-qu’on-ne-fume-pas, des objets publicitaires, une pompe à vélo, des crayons séchés, une lime à ongles et 67 trucs dont l’usage est hautement improbable mais on ne sait jamais ça peut servir quand même…
[3] Editions Tissot / Payfit, étude disponible ici
[4] Ce qui nous pousse à faire quelque chose non pas en raison du plaisir que cela nous procure mais le plus souvent pour des motifs instrumentaux ou des raisons externes. Une prime, par exemple. Par opposition à la motivation intrinsèque, un engagement motivé par le plaisir ou l’intérêt qu’il procure sans gratification externe. Instant auto promo, j’en ai déjà parlé plus en détail dans un précédent article
[5] Vous suivez déjà sans doute la papesse de la rémunération : Sandrine Dorbes !
[6] Employee Value Proposition. En gros, l’ensemble des engagements d’une entreprise en échange de la mise à disposition des compétences des salarié·es. On y trouve la rémunération, la culture, les parcours professionnels, les conditions de travail et les avantages.