ENGAGEZ-VOUS, RENGAGEZ-VOUS : la bataille de la fidélisation

Arnaud D'Hoine
ENGAGEZ-VOUS, RENGAGEZ-VOUS : la bataille de la fidélisation

Sommaire

Crédits

Un air de déjà-vu ?

Retour en 1997. Les Daft Punk déboulent avec Da Funk. Un bateau perd son duel contre un iceberg et on va se demander pendant longtemps si oui ou non il y avait de la place pour deux sur cette foutue planche. Handicap International reçoit le prix Nobel de la paix et Notorious B.I.G 4 balles dans le buffet.
Steven Hankin quant à lui va influencer le comportement des entreprises des 3 prochaines décennies en 3 mots.

Guerre. Des. Talents [1]

Commençons par un petit jeu. Devinez si les affirmations suivantes datent du millénaire précédent ou des années 2020 :

  • « Il s’agit de reconnaître l’importance stratégique du capital humain en raison de l’incroyable valeur créée par des équipes talentueuses »
  • « Créer une EVP (Employee Value Proposition) avantageuse rendra votre entreprise unique et attractive »
  • « Il faut s’affranchir des modes afin de bâtir une stratégie de gestion des talents de long terme, utiliser les retours d’expérience métier, le coaching ou encore le mentorat […] »

Si vous avez répondu « 1997/1998 » à chaque fois, bravo.

Mais avouez que c’est trompeur. 

Le concept semblait initialement lié à la croissance démesurée de la bulle Internet et à la nécessité de mettre un semblant d’ordre et de stratégie dans la grande foire à la saucisse du recrutement en pleine ruée vers l’or.
Mais il a survécu au krach et pas qu’un peu : en se débarrassant de ses connotations guerrières au profit de termes comme « attractivité », « rétention », « fidélisation », « engagement », il est en 2024 et plus que jamais au cœur des préoccupations stratégiques et opérationnelles des RH.

Alors en vrai, qu’est ce qui a changé depuis ? Explorons !

1 - Motivation et engagement sont sur un bateau…

Avant tout, tordons le cou à une confusion entre ces deux notions qui sont proches mais qui ne répondront pas aux mêmes leviers : l’engagement et la motivation.
Si vous êtes du genre à sécher les cours théoriques, vous pouvez directement passer au résumé quelques paragraphes plus loin à vos risques et périls.

Ce serait dommage de passer à côté des moyens de diagnostiquer correctement les choses dans votre organisation, non ?

Concernant l’engagement, une distinction s’opère entre :

  • L’engagement organisationnel alimenté par l’entreprise et le cadre du travail. Cette forme est à son tour découpée selon 3 axes [2] :
    - l’engagement affectif,
    - l’engagement de continuation
    - et l’engagement normatif.

L’engagement professionnel, soit la capacité à s’investir dans ses fonctions en étant soi-même, sans crainte ni risque pour l’intégrité physique ou psychologique.

Modèle Allen Meyer.png

Et si on voulait pinailler, on pourrait également distinguer l’engagement global de l’engagement local, soit un engagement à l’échelle de l’entreprise vs. un engagement au niveau d’une équipe.

Gardons ça dans un coin de tête, ça va servir.

La motivation est quant à elle aussi scrutée que la garde robe de Timothée Chalamet à un événement mondain. Depuis Taylor dans les années 1910 on compte plus d’une dizaine de théories la concernant mais c’est celle de Deci & Ryan dite de l’autodétermination (TAD) qui a prospéré depuis les années 2000 que je vous propose de retenir. Si vous ne la connaissez pas, en voici les grandes lignes :

  • Nous cherchons à satisfaire 3 besoins psychologiques fondamentaux : le besoin de compétence, le besoin d’autonomie, le besoin de relation à l’autre.
  • La motivation est scindée en 2 grands types : intrinsèque & extrinsèque
  • Elle est intrinsèque lorsqu’on s’engage volontairement et spontanément dans une activité en raison de l’intérêt et du plaisir qu’on y trouve, sans récompense externe. 
  •  La motivation extrinsèque est liée à des raisons externes ou des motifs instrumentaux comme la reconnaissance d’une personne, la menace d’une sanction, une récompense, une norme sociale, etc.

    Deci & Ryan identifient 4 sous-catégories, par ordre croissant vers l’autodétermination :

    - La régulation externe
    : je souhaite obtenir une récompense ou éviter une sanction (exemple : mon médecin me reproche de ne pratiquer aucune activité physique).
    - La régulation introjectée
    : je m’engage par culpabilité, honte, approbation sociale (exemple : mes amis font du sport pendant que je glande sur mon canapé, mes enfants me le font remarquer, je ne veux pas me sentir nul).
    - La régulation identifiée
    : je décide de faire car je m’identifie aux buts de l’activité (exemple : je me mets à la course pour prendre soin de moi).
    - La régulation intégrée
    : je fais car cela correspond à mes valeurs et mon identité (exemple : je suis sportif). 
  • Il existe un niveau 0 d’autodétermination : l’amotivation.

🤓 En résumé ? On peut être motivé par une tâche sans être engagé dans le projet d’une entreprise ou être engagé dans la vision sans être motivé par ce qu’on fait !
En outre, les temporalités et les carburants différent.
L’engagement s’envisage sur le long terme et dans une dimension affective qu’on peut résumer très grossièrement par le degré d’implication personnelle d’un collaborateur dans l’activité d’une entreprise et l’atteinte des objectifs de cette dernière. La motivation, éphémère, permet avant tout de combler un besoin.

Et maintenant, il n’y a plus qu’à !

2 - Par delà les concepts, les chiffres 

On l’a dit et répété, le meilleur recrutement est celui qui n’existe pas parce que anticipé et pourvu en interne.
Encore faut-il avoir le pool de talents nécessaires et ne pas faire fuir les collaborateurs. Parce qu’avant d’envisager un instant gagner cette fameuse « guerre des talents » il faudrait déjà s’assurer ne pas perdre de plumes et d’avantage concurrentiel avant même la 1ère escarmouche.

D’autant qu’avec plusieurs crises économiques au compteur, une pandémie, l’urgence climatique et globalement un climat d’incertitude aussi épais que l’égo de Gérard Depardieu, …

… notre relation au travail a grandement évolué ces 30 dernières années. 

C’est le moment idéal pour rappeler les dégâts et les conséquences des schémas mentaux dépassés et d’une approche court-termiste de la fidélisation en parlant d’argent [3] :

  • Le coût du turnover ? Estimé entre 6 et 9 mois de salaire.
  • Le coût d’un recrutement raté ? 45K€.
  • Le coût individuel annuel d’un salarié désengagé ? Entre 15 et 20K€ [4]
  • Le retour sur salaire d’un salarié engagé ? 120%. Celui d’un désengagé ? 60%.
    Pour 1000€ de salaire investi le 1er « créé » 200€ quand le second « coûte » 400€.

Si vous n’étiez pas déjà convaincus par les vertus d’un environnement de travail propice au développement et au maintien de la motivation et de l’engagement, ces chiffres devraient aider à opérer la transformation nécessaire au succès des stratégies d’attraction et fidélisation : adopter une approche centrée sur les collaborateurs actuels et futurs

Concernant la motivation, cela revient en premier lieu à réfléchir aux 3 points suivants :

  • Comment faire pour que les salariés aient la certitude d’être en capacité d’accomplir ce qui leur est demandé ?
  • Comment faire pour que la tâche à accomplir fasse sens pour eux ?
  • Comment faire pour que les récompenses soient à la hauteur de l’investissement consenti ?

Sur l’engagement, charge à l’entreprise de s’emparer de la partie opérationnelle en favorisant l’attachement affectif à travers le sens et la qualité des relations humaines, en développant l’attachement normatif à travers des contrats moraux clairs et justes, et en créant les conditions nécessaires pour que les salariés n’aient pas de raison - sauf cas particuliers - d’aller voir ailleurs et de mettre en balance l’attachement de continuation. 

À y regarder de plus près, ces actions couvrent les différents pans du concept d’Employee Value Proposition dont les entreprises devraient s’emparer de toute urgence tant elle est structurante.

culture evp marketing RH (1).png

3 - Opérationnellement, nul besoin de faire des dingueries !

Bosser son EVP, c’est réfléchir en profondeur et à long terme à la question « qu’est-ce que je propose en échange de leur investissement aux gens qui travaillent dans mon organisation ? » à travers 5 grands thèmes : 

  1. la rémunération [5], 
  2. la culture et la stratégie, 
  3. la gestion des carrières et des compétences, 
  4. l’environnement et les conditions de travail, 
  5. les avantages et les bénéfices. 

Et cela présente deux grands avantages : d’une part cela rend l’entreprise unique et remarquable, d’autre part cela coche les cases des leviers d’engagement et de motivation sur lesquels il est possible d’agir.

  • Rémunération : dans un contexte inflationniste, où est-ce que je me situe par rapport au marché, quelle est ma stratégie, etc.
    Évidemment l’enjeu est de favoriser la motivation extrinsèque et de limiter la tentation d’aller voir ailleurs (engagement de continuation). Mais aussi attirant et primordial soit-il c’est sans conteste le sujet dont la complexité est la plus sous-estimée à l’extérieur de l’entreprise, et donc le plus difficile et long à mettre en place.
  • Culture et vision : organisation, exercice du pouvoir, rites, histoires, symboles, mécanismes de contrôle, valeurs, ambition, projets, autant d’éléments qui s’ils sont clairs vont faciliter le chemin vers l’autodétermination tout en œuvrant au développement des engagements normatif et affectif.
    Mais attention à ne pas tomber dans la surenchère de promesses, chaque intention doit pouvoir être prouvée par des actions et des éléments de contexte.
  • Carrière et gestion des compétences : un angle sous estimé qui couvre pourtant les 3 axes de l’engagement organisationnel et renforce les mécanismes de régulation identifiée et régulation intégrée.
  • Environnement et conditions de travail : Et s’il s’agissait de créer les conditions requises pour que le plaisir et la motivation intrinsèques soient au rendez-vous ? Et tout le comme le point précédent, on vient ici titiller tout l’engagement organisationnel : l’affect, le normatif par un principe de réciprocité de l’attention et la continuation avec la crainte de perdre un environnement qui soit agréable.

Spoiler alert :
Si vous ne vous êtes toujours pas occupé de votre politique QVCT, c’est le bon moment.

  • Avantages et bénéfices : Non la mutuelle, les titres restaurants ou la prise en charge à 50% des transports ne sont pas des avantages concurrentiels mais des avantages obligatoires. En revanche, lorsque la culture d’une organisation met en avant la flexibilité, l’indépendance ou porte l’ambition de redéfinir le travail ou les modes collaboratifs, c’est ici que ça se voit. On parlera de temps de travail, de congés supra légaux, d’innovation sociale, de redistribution, d’épargne, d’avantages en nature, d’abondement au CPF, d’accompagnement à la mobilité durable, d’aide au logement…

Ouvrir les 5 chantiers simultanément se situe quelque part entre la mauvaise idée et l’opération kamikaze.

Et ce serait en outre un signal étrange à destination des collaborateurs.
On le rappelle, l’EVP est une approche centrée sur les salariés et leurs besoins et s’emparer de tous les sujets en même temps pourrait être perçu comme une non priorisation des besoins, une course de poulet sans tête frappés de panique voire une absence de considération et d’écoute.

L’étape 1 consiste à faire un état des lieux en toute objectivité et en étant prêt à entendre des choses qui ne font pas plaisir [6].

Enquêtes internes, sondages, baromètres, traitement des données des entretiens individuels, des CR de réunions, des exit interviews, entretiens professionnels : tout est bon pour capter les signaux faibles, identifier les attentes insatisfaites et se réjouir des points forts. 

Vient ensuite le moment de prioriser par thème et par degré de difficulté : 

[où dois je focaliser mes efforts vs. le degré de maturité de l’organisation sur le sujet vs. le degré d’accessibilité d’un objectif raisonnable vs. les enjeux business et rentabilité ]. 

Et bien entendu tout cela n’a d’intérêt que si on sait mesurer les résultats : satisfaction, taux de turnover, arrêts maladies, absentéisme, nombre de volontaires pour un programme d’ambassadorat, eNPS …

Bonne nouvelle, il est relativement simple de s’emparer de sujets clés si et seulement si le leadership adhère et répond présent. Sans ça… Bonne chance ?

S’adapter ou mourir, vraiment ?

Oui, vraiment.
On le constate avec la tentation du retour à davantage de présentiel, certaines entreprises s’évertuent à creuser un fossé toujours plus grand avec leurs équipes et par extension avec leurs potentiels futurs collaborateurs.

Mais comme le dirait une amie DRH, on ne gagne pas une guerre avec un pistolet à eau (sauf si l’ennemi est un morceau de sucre), surtout lorsque ce qui se passe à l’intérieur d’une organisation peut rapidement être connu et amplifié à l’extérieur. 


Parce que rien ne sert de courir après la notoriété à grands coups de comm’ RH auprès des candidats si vos salariés sont vos premiers détracteurs plus que vos meilleurs ambassadeurs.

NOTES & ANNEXES

[1]On lui accorde la paternité de l’expression, reprise par lui et plusieurs consultants de McKinsey dans le numéro de janvier 98 de McKinsey Quarterly. Mais c’est avec le livre de 2001 « The War for Talent » de Ed Michaels, Helen Handfield-Jones et Beth Axelrod que le terme est popularisé.

[2] Cf. Allen & Meyer - 1991

[3] State of the Global Workplace de Gallup - 2023, Etude Cabinet Hays - 2019, ReportDetermining Employee Return on Investment, du Human Capital Institute - 2010

[4] On rappellera que d’après Gartner, seuls 7% des salariés français se disent engagés en 2023

[5] Toujours le levier de motivation n°1

[6] Pour les grosses entreprises ayant énormément de data à traiter, l’IA peut être un appui intéressant

Ne manquez rien !

Chaque mois, recevez un récap des derniers articles publiés directement dans votre boîte mail. 

À propos de l'auteur·e
Arnaud D'Hoine
Linkedin

Spécialiste de la Stratégie Employeur @IVIPI