Transition écologique : la carte maîtresse de la DRH

Marie-Sophie Zambeaux
Transition écologique : la carte maîtresse de la DRH

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La transition écologique n’est plus un horizon lointain. C’est un impératif immédiat. Températures records, tensions sur les ressources, effondrement de la biodiversité : les effets du dérèglement climatique ne sont plus des projections scientifiques mais notre quotidien.

Face à cette urgence, les entreprises sont sommées de se transformer. Pas uniquement dans leurs chaînes de production ou leurs politiques d’investissement mais aussi, et surtout, dans leurs cultures, leurs pratiques sociales et leurs façons d’agir collectivement.

Et dans cette transformation humaine, la fonction RH a un rôle central à jouer. Un rôle qu’elle n’a pas toujours assumé. Car il faut bien le reconnaître, pendant longtemps, la fonction RH est restée à l’écart de ces enjeux. Pire ? elle a parfois été, malgré elle, un rouage du système productiviste à l’origine de la crise environnementale.

Dans Green RH, Michel Barabel, Olivier Meier et Antoine Poincaré [1] nous invitent à poser une question essentielle : Comment faire de la DRH un levier stratégique de la transition écologique dans l’entreprise ? Dans cet article, je vous propose d’explorer pourquoi la DRH ne peut plus rester en retrait et quels sont les leviers concrets à sa disposition pour contribuer activement à la révolution verte. C’est parti !

🧭 D’un rôle périphérique… à une responsabilité historique

Pour comprendre pourquoi la fonction RH a longtemps été absente du débat écologique, il faut revenir à ses origines. La fonction « personnel » - ancêtre de la fonction RH- est née dans le sillage de la révolution industrielle. À cette époque, il ne s’agissait pas de réfléchir à la durabilité des modèles économiques mais d’organiser, encadrer et contrôler une main-d’œuvre toujours plus nombreuse dans un système productiviste en pleine accélération.

« Le destin de la fonction RH est intimement lié à la révolution industrielle, malheureusement en grande partie responsable de la détérioration de notre environnement (recours massif aux énergies fossiles, société d’hyperconsommation, mondialisation des échanges…). » [1]

En d’autres termes, la fonction RH a été conçue pour accompagner un modèle d’entreprise fondé sur la croissance intensive, la surconsommation de ressources et l’exploitation massive de l’énergie fossile. Son rôle historique a été d’optimiser la performance économique et sociale et ce sans jamais intégrer la question de l’impact écologique.

Pendant des décennies, cette logique est restée dominante. La priorité allait à la compétitivité, à la rentabilité, au pouvoir d’achat ? rarement à la sobriété et encore moins à la préservation des écosystèmes. « Pendant la première partie de son histoire, la GRH a été largement déconnectée des enjeux environnementaux. Les pratiques RH traditionnelles avaient pour priorité l’atteinte d’objectifs économiques et sociaux à court terme, sans tenir compte des conséquences négatives sur l’environnement. ». [1]

Cette déconnexion s’explique aussi par le contexte historique : le premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne date que de 1990. Autrement dit, la conscience écologique est récente à l’échelle des politiques RH. Elle est venue bien après l’émergence des premières grandes pratiques managériales.

Mais ce temps est désormais révolu. Les normes internationales (ISO 26000), les critères ESG, la directive européenne CSRD… tout pousse aujourd’hui les entreprises à intégrer l’environnement dans l’ensemble de leurs activités  y compris RH.

Et pour la fonction RH, il ne s’agit plus d’un choix. Cette fonction qui, hier encore, a accompagné un capitalisme extractif et productiviste, doit désormais devenir le fer de lance d’une transformation durable. « Il y va de sa légitimité et de sa capacité à être un acteur stratégique au service des organisations et de l’ensemble des parties prenantes. » [1]

📣 Une attente forte… et un levier de fidélisation

La fonction RH ne peut plus ignorer les attentes des collaborateurs et des candidats. Ces dernières années, la prise de conscience environnementale s’est étendue au monde du travail. L’écologie n’est plus un sujet périphérique. Elle est devenue un critère de choix, d’engagement et de fidélité.

D’après une enquête menée par PageGroup en 2022 auprès de 5 000 candidats en Europe (dont 1 700 en France), 64 % des personnes interrogées déclarent accorder de l’importance aux engagements RSE des entreprises lorsqu’elles postulent. Et pour 1 candidat sur 5, ce critère est décisif dans le choix de l’employeur.

Du côté des salariés, même tendance : 59 % des collaborateurs français estiment que les engagements RSE de leur entreprise ont un impact positif sur leur motivation professionnelle (Green RH). Une majorité silencieuse, mais vigilante, qui attend des actes plus que des discours.

Ce changement de regard transforme les politiques RH : ce qui relevait hier de la communication institutionnelle devient aujourd’hui un levier stratégique d’attractivité et d’engagement. Et cette évolution ne concerne pas seulement les entreprises à mission ou les start-ups à impact. Elle traverse tous les secteurs, toutes les générations et tous les niveaux de qualification. 

Autrement dit : une stratégie climat crédible est devenue un élément structurant de la promesse employeur. Et c’est bien à la fonction RH qu’il revient de la formuler, de l’incarner et de la rendre tangible.

« Réduire l’écart entre discours et perception permet d’engager durablement les collaborateurs, acteurs citoyens de plus en plus exigeants. » [1]

🔁 DRH et climat : quel niveau d’implication stratégique ?

Toutes les fonctions RH ne sont pas égales face aux enjeux environnementaux.

Si certaines prennent les devants, d’autres freinent des quatre fers et la grande majorité observe. Mais une chose est certaine : le positionnement de la DRH dans la gouvernance RSE de l’entreprise détermine sa capacité à agir réellement.

Dans Green RH, les auteurs s’appuient sur une typologie issue d’une étude Afnor pour identifier quatre grandes configurations de l’implication RH dans les politiques environnementales :

  • Configuration 1 : la DRH pilote directement la stratégie RSE, y compris sa composante environnementale.
  • Configuration 2 : la DRH co-construit cette stratégie avec la direction RSE ou d’autres fonctions clés.
  • Configuration 3 : la DRH est consultée ponctuellement, mais n’intervient pas dans la définition stratégique.
  • Configuration 4 : la DRH est cantonnée à un rôle d’exécutant ou de fournisseur de données. Elle ne participe pas aux décisions structurantes.

« À l’une des extrémités (configuration 1), la fonction DRH pilote la RSE[…] ; à l’autre extrémité (configuration 4), la fonction RH est un simple contributeur avec un rôle stratégique nul ».

Autrement dit, certaines fonctions RH influencent, d’autres exécutent et beaucoup se contentent de remonter des indicateurs sans jouer de rôle moteur. 

Les auteurs de Green RH  - et je me range personnellement à leur avis – considèrent «  que les DRH auront plutôt intérêt à adopter des configurations de type 1 ou 2 à savoir des configurations qui offrent à la DRH un vrai levier d’action.

Pourquoi ? Parce que le changement climatique nécessite une transformation culturelle et sociale profonde, et que les collaborateurs sont à la fois une partie du problème (comportements à faire évoluer) et une grande partie de la solution (capacité à proposer, inventer, adapter).

En restant cantonnée à un rôle technique, la fonction RH rate le virage. Mais lorsqu’elle prend part à la définition des priorités stratégiques, elle peut :

  • influer sur les compétences à développer ;
  • inscrire les enjeux climatiques dans les entretiens, les formations, les primes, les parcours ;
  • mobiliser les managers comme relais de la transformation ;
  • et surtout, créer une dynamique collective crédible, visible, alignée.

Encore faut-il que la DRH ose sortir de sa zone de confort, quitte à bousculer certaines habitudes ou jeux de pouvoir internes. Car être à la manœuvre ne signifie pas tout faire seule : cela suppose d’endosser un rôle de co-pilote et de contribuer activement à une stratégie durable et partagée.

⚙️ Comment s’y prendre concrètement ? Levier par levier

On ne devient pas acteur clé de la transition écologique par décret. On le devient par des actes. Et pour la DRH, cela suppose de revoir en profondeur ses façons de faire. Car tous les champs RH sont concernés : recrutement, formation, gestion des compétences, évaluation, QVCT, communication interne, mobilité…Chacun d’eux peut devenir un levier d’impact environnemental à condition de le vouloir et de s’en donner les moyens.

Dans Green RH, les auteurs identifient plusieurs domaines d’action concrets pour inscrire durablement les enjeux climatiques dans le quotidien RH. Voici un tour d’horizon des principaux leviers à activer, preuves à l’appui :

1. Repenser les compétences clés

La DRH peut - et doit - anticiper les besoins en compétences liés à la transition écologique. Cela implique d’identifier de nouveaux savoir-être (frugalité, coopération, conscience éthique), mais aussi de renforcer des savoirs techniques devenus indispensables : bilan carbone, économie circulaire, analyse du cycle de vie…

Comme le rappellent les auteurs « les RH sont des bâtisseurs de capital humain. Ils acculturent, forment, développent des compétences durables » .

📌 Exemple : Le groupe Renault a lancé une université interne dédiée à ces enjeux : la ReKnow University, centrée sur les compétences liées à l’économie circulaire, notamment le recyclage des véhicules et de leurs batteries. Objectif : former d’ici 2025 près de 40 % des effectifs concernés par ces transformations. Et ce n’est qu’un début : le groupe prévoit d’étendre ce dispositif aux acteurs industriels de la filière ainsi qu’à des partenaires académiques afin de mutualiser la conception et la diffusion de ces formations professionnalisantes.

2. Intégrer l’écologie dans le recrutement

Le recrutement est une vitrine. Si l’entreprise affirme vouloir contribuer à la transition écologique mais n’en parle jamais en entretien, elle envoie un message contradictoire. Les candidats - surtout les plus jeunes - attendent des preuves, pas des slogans. Et le processus de recrutement est l’un des premiers lieux d’alignement (ou de dissonance) entre les engagements affichés et la réalité vécue.

📌 Exemple : Au sein de Patagonia, la conscience environnementale est un critère de recrutement. Les candidats sont sélectionnés non seulement pour leurs compétences, mais aussi pour leur adhésion aux valeurs écologiques de l’entreprise. L’objectif : intégrer des collaborateurs déjà sensibilisés, capables de renforcer une culture d’entreprise durable.

3. Récompenser les comportements vertueux

Sensibiliser, former… c’est indispensable. Mais pour ancrer durablement de nouveaux réflexes, il faut parfois activer un levier plus engageant : la reconnaissance concrète y compris financière.

Comme le rappellent les auteurs de Green RH : « Les incitations financières bien conçues améliorent de 80 % la mise en œuvre des pratiques écoresponsables. »  Quand la durabilité entre dans les feuilles de variable, elle sort enfin des incantations pour devenir une réalité managériale et stratégique.

📌 Exemple : Chez Thales, la rémunération variable court terme de 52 000 collaborateurs – soit près de 63 % de l’effectif total – inclut désormais 10 % de critères RSE. Ces critères couvrent l’éthique, la mixité, le climat, la santé et la sécurité au travail et sont alignés sur les priorités stratégiques du groupe.
Plus récemment, la rémunération variable long terme des cadres dirigeants a été elle aussi indexée à 10 % sur ces mêmes critères. Et ce n’est qu’un début : Thales envisage d’augmenter encore le poids de ces critères RSE, en réduisant celui des indicateurs purement financiers, un signal fort envoyé à l’ensemble des parties prenantes. [2]

4. Réduire l’empreinte carbone de la fonction RH elle-même

Si la fonction RH veut embarquer les collaborateurs dans la transition écologique, elle doit commencer par balayer devant sa porte. Car elle aussi a une empreinte environnementale souvent sous-estimée. Recrutement, gestion administrative, formation, évaluation, communication interne etc, toutes ces activités s’appuient sur des outils numériques, génèrent des flux de données, consomment de l’énergie et mobilisent des déplacements. 

À l’heure de la sobriété, chaque geste compte et la fonction RH doit montrer l’exemple. Non pour cocher une case, mais pour prouver que la cohérence environnementale commence au cœur même de ses pratiques. « La DRH doit être à la hauteur de ses ambitions : difficile d’exiger des éco-gestes si elle-même ne s’interroge pas sur l’impact de ses pratiques. » [1]

Concrètement, cela signifie :

  • Limiter les déplacements grâce au télétravail, aux entretiens et formations en visio ;
  • Adopter des outils numériques éco-conçus, sobres en énergie et respectueux des cycles de vie des équipements ;
  • Réduire la surproduction de documents RH, en privilégiant la dématérialisation raisonnée et l’archivage responsable ;
  • Sensibiliser les équipes RH à l’impact environnemental de leurs pratiques (ex. : envoyer un mail avec une pièce jointe lourde ou stocker en double peut paraître anodin mais ne l’est pas à l’échelle d’un groupe).

📌 Exemple : dans de nombreuses organisations comme Orange ou le groupe La Poste, les processus RH, comme les entretiens annuels ou bien encore les campagnes de feedback 360°, sont désormais entièrement dématérialisés via des plateformes éco-conçues. Certaines entreprises intègrent même une charte de sobriété numérique à leur politique RH avec des objectifs de réduction du stockage cloud et d’optimisation des équipements.

5. Co-construire une stratégie globale, transversale et ambitieuse

La DRH ne peut pas faire cavalier seul. La transition écologique doit être envisagée comme une transformation collective impliquant la RSE, les directions métiers, les IRP, les collaborateurs, les clients, voire les fournisseurs. « L’approche ne peut être en silo. Elle doit être collaborative, transversale, systémique. » [1]

📌 Exemple : chez Sqorus, cabinet de conseil en transformation digitale, la raison d’être et la stratégie RSE ont été co-construites à partir d’ateliers impliquant les collaborateurs, le Comex, des clients, des partenaires et même des prospects. Une équipe RSE pluridisciplinaire a ensuite été créée pour décliner cette stratégie autour de trois axes d’engagement, en lien direct avec les enjeux opérationnels de l’entreprise. Une approche inclusive, systémique et ancrée dans le réel qui renforce la cohérence et l’engagement.

🌱 En conclusion : vers une DRH stratège du vivant !

« Faire sa révolution verte, ce n’est pas ajouter une mission, c’est revisiter toutes ses missions à l’aune de la durabilité. » [1] La fonction RH ne peut plus rester en retrait. Elle a, au contraire, une responsabilité historique : celle de faire de la transition écologique un projet collectif, humain et crédible.

Elle seule peut, en effet, embarquer, former, engager, évaluer, ajuster, créer du lien entre stratégie, pratiques et terrain. « À travers une transformation profonde de la fonction RH, les entreprises ont le pouvoir non seulement de minimiser leur empreinte écologique, mais aussi de jouer un rôle de leader dans la construction d’un avenir durable. » 

Parce que la transition écologique est avant tout une transition humaine. Et c’est bien là, depuis toujours, le terrain de jeu des RH.

Références

[1] Livre Green RH de Michel Barabel, Olivier Meier et Antoine Poincaré | Dunod, 2024

[2] Rapport « Critères RSE et rémunération : l’alignement stratégique ? » de L’Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises | PwC Orse Etude Critéres RSE Rémunération 2024

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À propos de l'auteur·e
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Fondatrice @ReThink RH, éditorialiste RH, host du podcast "Histoires de Recruteurs".