Et si recruter, c’était faire parler des chiffres ?
Avoir une approche “data driven”, c’est mettre la donnée au cœur des décisions, s’appuyer sur du factuel, pour gagner en efficacité.
Si on imagine parfois que les recruteurs travaillent au feeling, la vérité, c’est que c’est un métier pour lequel exploiter les données est crucial. Encore faut-il savoir par où commencer.
C’est justement ce que Justine Bourgeon, recruteuse chez ManoMano (marketplace de référence pour le bricolage, l'aménagement de la maison et le jardinage), a expérimenté l’été dernier. Face à une évolution rapide du volume de postes à cette période, elle a enclenché une vraie prise de recul sur sa pratique.
Avec un enseignement à la clé, celui d’apprendre à piloter son activité autrement : par la donnée.
Alors, est-ce qu’il faut devenir le roi d’Excel pour être un bon recruteur ?
La data est-elle vraiment indispensable quand le quotidien est déjà bien intense ?
Découvrez une approche data driven accessible et éclairante, même (et surtout) quand on n’a pas de temps à perdre.
Un recrutement multi-pays, multi-profils, multi-données
ManoMano, ce sont trois sites (Paris, Bordeaux, Barcelone) et une grande variété de recrutements. Aux côtés de sa manager, Justine recrute des profils business, opérationnels et tech. À cela s’ajoutent des besoins internationaux, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne et même en chinois mandarin pour les relations avec les sellers asiatiques.
Une routine, certes variée, mais du coup, exigeante. Impossible pour Justine d’agir sans cadre. Et c’est là qu’intervient la data.
- La data, pourquoi ?
La data dans le recrutement, ce n’est pas une finalité. Ce n’est pas une petite case à cocher ou un outil de reporting pour la direction. Selon Justine, c’est avant tout une manière de prendre de la hauteur.
- La data, pour quoi ?
La data permet aussi bien d’estimer si un nouveau poste est “ouvrable” dans un timing donné, que de capter a posteriori ce qui a coincé dans un process. Par exemple, un recrutement qui requiert 25 entretiens pour un seul recrutement doit soulever des questions. Était-ce un problème de sourcing ? De sélection de CV ? De brief mal cadré ? L’analyse du passif indique les “pain points”, pour mieux progresser la fois suivante.
6 principes pour apprivoiser la data en recrutement
Vous n’êtes pas un pro des requêtes ou des feuilles de prévision ? C’est OK. Mais un minimum de rigueur est nécessaire. Voici les 6 principes que Justine applique :
- Ne pas foncer tête baissée.
Créer une Google Sheets sans objectif, c’est généralement contre-productif. Tout d’abord, il faut identifier une préoccupation concrète : Pourquoi je veux de la data ? Qu’est-ce que j’essaie de comprendre ou de parfaire ? Et l’exécution suivra.
- Adapter à son contexte.
Ce qui fonctionne dans une scale-up ne marche pas forcément dans une PME. Ce qui est utile à un recruteur tech n’aura pas d’intérêt pour un recruteur retail. La data ne pallie pas le bon sens métier. Elle s’adapte à lui.
- Accepter la remise en perspective.
La donnée met en lumière les angles morts et les zones de flou. Ce n’est pas agréable, mais c’est souvent salutaire. C’est l’heure de la lucidité.
- Ne pas espérer de solution magique.
La data ne résoudra pas tout pour vous. Elle alerte. Elle oriente. Mais c’est au recruteur d’assurer l’analyse et l’action derrière. Ce n’est qu’un point de départ.
- Commencer simple.
Un tableau, quelques formules de base, une logique bien posée et l’outil devient déjà optimal. L’essentiel, c’est d’y voir clair, pas de chercher du complexe d’entrée.
- Prendre le temps.
La data est un investissement qui appelle à structurer. Ce n’est pas un gain de temps immédiat, mais une précieuse source d’anticipation.
Le mot de Justine à retenir : Penser data, c’est une philosophie. On attend beaucoup des candidats. Qu’ils soient préparés, motivés, transparents. Cette exigence doit être réciproque. Utiliser la data, c’est aussi les respecter. C’est se dire : “si je veux qu’un candidat s’implique à fond, je dois en faire autant”.
Une vision qui élève le métier de recruteur. Qui les réconcilie avec les candidats.
Comment faire parler les données ? Mode d’emploi !
Tout débute avec une problématique et la formulation d’une question large. Un cas typique cité par Justine : “Je n’arrive pas à recruter”.
Sa méthode en 5 étapes pour y répondre :
- 1. Lister les causes possibles
Pas assez de candidatures ? Du ghosting ? Une mauvaise adéquation entre profil et poste ? L’idée, c’est d’observer toutes les pistes, sans jugement, comme un enquêteur. Justine démarre toujours par cet inventaire. - 2. Choisir les bons indicateurs
Les bons KPIs dépendent du problème désigné. Nombre de CV reçus, taux de réponse, qualité des entretiens, etc. Justine sélectionne peu d’indicateurs, mais les plus cohérents pour confronter son recrutement. - 3. Croiser les données avec son intuition
Bien que l’intuition dans le recrutement soit controversée, la data sert justement à valider ou invalider des hypothèses. C’est un aller-retour constant entre ressenti et factuel.
- 4. S’aider d’un outil comme ChatGPT
Justine utilise l’IA comme un assistant. Elle lui soumet des prompts, par exemple : “je n'ai que 10 personnes qui postulent, voilà mon annonce, partage-moi ce qui est améliorable”. Il ne travaille pas à sa place. Elle le manie avec précaution et bénéficie ainsi d’un regard extérieur.
- 5. Passer à l’action
Réécrire la fiche de poste, revoir sa méthode d’évaluation, voire, ses posts LinkedIn, etc. Pour Justine, la data n’a de valeur que si elle débouche sur des actions. Du palpable. Les données favorisent des décisions plus ciblées, avec le mot d’ordre : tester, apprendre, ajuster.
Bonus : Justine a formalisé ses questionnements pour débloquer ses recrutements sous forme de tableau. Avec toute simplicité, cela permet de mettre le doigt sur les obstacles et les solutions potentielles.
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Ce que la data dit de vos recrutements - 3 exemples
La bonne nouvelle avec la data, c’est qu’elle ne coûte rien. Justine, elle, s’appuie exclusivement sur Google Sheets, en passant de formules faciles à des tableaux croisés dynamiques.
Zoom sur 3 usages de la data.
Niveau 1 - Prédiction de charge par poste
À quoi ça sert ?
Appréhender la durée et la charge que représente le recrutement pour un poste, en étudiant l’historique des processus.
Comment ça fonctionne ?
Justine saisit dans un tableur les données-clés de ses recrutements, comme le nombre de phonescreens réalisés, le temps moyen passé par poste, le total de candidatures reçues, le taux de conversion entre chaque étape, etc.
Exemple :
Elle recrute souvent des commerciaux. Grâce à cet outil, elle sait qu’elle doit mener en moyenne 15 interviews téléphoniques qualifiées pour closer un job.
Le mot de Justine à retenir : C’est basique, mais redoutablement efficace car elle peut répondre avec plus de précision à un manager qui l’interroge sur sa capacité à remplir un poste vacant. Aussi, elle peut mieux planifier ses recrutements en fonction de leur complexité.
Niveau 2 - Diagnostic du process de recrutement
À quoi ça sert ?
Identifier rapidement les frictions dans un processus de recrutement.
Comment ça fonctionne ?
Son tableur contient chaque phase du parcours (sourcing, entretien, conversion…). Pour chacune d’elles, Justine a défini une valeur de référence moyenne, issue des données ManoMano (et en lien avec son tableur précédent).
Exemple :
Si elle sait que pour le poste x, 50 candidatures sont attendues mais qu’elle n’en reçoit que 10, la cellule vire au rouge.
Son tableau guide ensuite la réflexion via des questions types :
- L’expérience requise est-elle trop haute ?
- Le canal de diffusion est-il pertinent ?
- L’offre est-elle claire ?
Le mot de Justine à retenir : Parce que c’est très visuel et pédagogique, ça stimule l’introspection. Et surtout, ça écarte les suppositions infondées ou la subjectivité.
Niveau 3 - Suivi des taux de réponse à la chasse
À quoi ça sert ?
Connaître ses taux de réponse pour confirmer si sa chasse est performante ou non.
Comment ça fonctionne ?
Justine note tous les profils qu’elle contacte par approche directe et calcule les pourcentages de retours par type de poste. Pour ce tableau croisé dynamique, elle a eu recours à un peu de soutien sur la partie technique.
Exemple :
Pour un profil procurement/acheteur, elle sait qu’elle obtient 10 % de réponses positives en moyenne.
Donc, pour toucher 5 personnes, elle devra contacter environ 50 candidats.
Le mot de Justine à retenir : C’est un raisonnement qui lui permet d’anticiper la cadence, de calibrer sa stratégie et de déterminer si la chasse vaut l’effort ou s’il vaut mieux viser d’autres canaux.
De la révélation à la révolution data
L’approche “data driven” n’a pas tout révolutionné du jour au lendemain. Seulement, petit à petit, elle a transformé la façon dont Justine recrute, priorise et collabore avec les managers.
Ce qu’elle en tire aujourd’hui ?
- Une meilleure perception des schémas répétitifs.
Quand ça bloque, c’est rarement pour une raison inédite. Justine repère désormais les mécanismes problématiques récurrents. En les détectant tôt, elle gagne en vigilance et évite de répéter les mêmes erreurs. Merci la data !
- Une meilleure remise en question des briefs.
“Parfois, ce n’est pas ton manager qui est à côté de la plaque. C’est ton brief de poste.”
La lecture des données a aussi mis en évidence des biais dans sa conduite des briefs. Quand plusieurs recrutements ont échoué avec des managers différents, Justine a compris que le souci ne provenait pas forcément d’eux, mais de son propre cadrage. En questionnant davantage la hiérarchie des compétences demandées, elle a atteint des recrutements mieux ciblés et plus réalistes.
- Une meilleure recruteuse.
Le premier effet tangible de la data, c’est une appréciation plus fine de son travail. Justine sait exactement à partir de combien de candidats dans son pipe un poste devient prometteur, ou au contraire, s’enlise. Conséquence : elle ne s’acharne plus inutilement. Elle reste focus. Elle aligne en continu.
Elle se l’est prouvée pas plus tard que cette année 2025. Mise au défi par 18 jobs ouverts en même temps il y a quelques mois, qui nécessitaient pour la plupart de la chasse, elle a orchestré ça de façon millimétrée, point par point, sans paniquer. Parce que tout était limpide dans sa tête.
Et si la data menait vers une posture de recruteur-scientifique ?
OK. Pas besoin d’être statisticien pour faire parler les chiffres, mais pour aller plus loin, Justine a entamé une formation avancée sur Google Sheets. Son envie étant de croiser encore plus de données et gagner encore en efficience, sans complexifier ses outils.
Et c’est précisément là que réside la force de la data. Elle suscite un changement de posture. Celle d’une recruteuse devenue, par nécessité, un peu analyste. Une professionnelle qui émet des hypothèses, collecte des indices, teste des scénarios et ajuste ses actions au rythme de ses résultats.
La data ne remplace ni l’instinct, ni l’intuition. Elle les bouscule. Elle provoque des questions.
Et poser les bonnes questions, en recrutement, c’est déjà énorme.
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Pour compléter, on vous recommande l’épisode 1 sur la data du podcast “Beta Hiring” d’Akram Bougrine. Parce qu’il est tout aussi riche d’apprentissages, de méthodes, d’outils et de conseils pour réinventer son recrutement.

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