Les RH, entre traitement de fond et traitement symptomatique

Arnaud D'Hoine
Les RH, entre traitement de fond et traitement symptomatique

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D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu une forme de respect pour les figures d’autorité. Sauf mes parents, les pauvres. Enseignant, forces de l’ordre, corps médical, arbitre, même combat : J’ai appris à leur accorder ma confiance a priori et à les écouter avant de râler.

D’où peut-être mon léger agacement face au spectacle tristounet de certains joueurs de foot se précipitant pour tenter d’influencer une décision arbitrale plus vite qu’un moustique repère un touriste néerlandais sur une plage bondée.
Je l’avoue, voir un de ces contestataires se faire sortir du terrain par la peau du caleçon serait spectaculaire, jubilatoire et cathartique mais la probabilité que cela arrive est faible. Parce qu’un arbitre sur un terrain se doit de garder la tête froide, a fortiori quand tout le monde s’énerve.

C’est le lot de toutes les figures d’autorité, afin d’être le garant d’un environnement à peu près sain, de garder les autres en sécurité et de ne pas céder à la tentation d’abuser de son (petit) pouvoir. Et la fonction RH ne déroge pas à cela.

Quand le chaos menace, qu’il s’agisse d’un bad buzz en mondovision sur les réseaux, d’une crise économique qui obscurcit l’horizon de tout un secteur, d’une situation sanitaire inédite ou d’un incendie interne, les RH vont se retrouver en première ligne et doivent garder la tête froide.

Les équipes Ressources Humaines, à la croisée des chemins entre traitement de fond et traitement symptomatique des petits et gros bobos du travail, c’est l’épisode 6 de votre série Il était une fois la vie… des RH, et c’est parti !

1 - S’il te plaît, dessine-moi une crise

Il est toujours utile de rappeler que la fonction RH ne se limite pas à recruter, virer des gens et lustrer le poil de la Direction au détriment des forces vives de l’organisation tout en étant un agent infiltré dans les afterworks cherchant à glaner des infos pour piéger les gens. Pas plus qu’elle n’est un centre de coût improductif juste bon à faire des tableaux Excel incompréhensibles, cédant au moindre caprice des salariés en accordant des trucs de dingue comme des congés et un salaire.

Quoi qu’on en dise, la fonction Rh ne peut qu’être neutre. Elle ne peut pas et n’a pas vocation à choisir un « camp » puisque sa mission consiste au fond à concilier les intérêts parfois divergents des deux parties dans le cadre d’un intérêt supérieur commun : celui de l’entreprise.

Et pour toute réclamation, voyez avec le législateur, c’est lui qui a conçu le code du travail et qui l’agrémente de nombreuses joyeusetés au quotidien qui obligent les expert·es RH à regarder à gauche et à droite en même temps sans bouger la tête.

C’est donc déjà naturellement un poil compliqué d’être RH, surtout pour celles et ceux qui ont embrassé cette carrière « par goût de l’humain », mais viennent s’ajouter à cela de petites tribulations, sujets de fond et autres menues distractions comme un management défaillant, un·e dirigeant·e qui pète les plombs sur les réseaux (1), l’invasion d’un pays par un autre qui pollue le contexte économique, une pandémie, une OPA hostile, des comptes enjolivés, un changement de stratégie ou des équipes qui se déchirent autour du traitement accordé à un cas de harcèlement… Liste non exhaustive qui inclue bien évidemment des soubresauts aussi bien micro que macro.

Histoire de faire simple, une crise en entreprise est un événement ou un enchaînement d’événements bousculant le fonctionnement usuel et dégradant le climat social avec plus ou moins de force.
Parce qu’elle s’expose soit à des choses qu’on n’a pas encore appris à résoudre, soit qui sont a priori difficiles voire impossibles à résoudre et dont on sait par expérience que les effets seront délétères.

Bref, ça génère un stress qui n’est à ce stade ni bon ni mauvais mais un syndrome d’adaptation (2) qu’on étudiera. À travers son intensité, sa durée et sa fréquence, on peut en comprendre l’origine, les conséquences et tenter soit de le désamorcer soit au contraire le mettre à profit. 

Cliquez sur Hans pour découvrir ce qu'il a à dire.

S’il existe des événements externes (quasi) imprévisibles et d’autres qu’on voit arriver depuis des décennies mais que certain·es préfèrent aborder façon « Don’t Look Up », la pire catégorie de crise est peut-être celle d’origine interne

Comme une maladie auto-immune, une partie de l’entreprise se met à dysfonctionner et à en « attaquer » d’autres, et c’est en général une expression assez manifeste de la culture d’entreprise réelle. Loin d’Instagram et des représentations. 

Et si on pensait avoir appris à naviguer en incertitude en acceptant de vivre et de travailler dans un environnement VUCA (3), il va falloir actualiser nos logiciels. Bienvenue dans l’ère BANI : Fragile, Anxieux, Non-Linéaire, Incompréhensible.

Et c’est le plus souvent aux RH qu’incombe la charge de nettoyer tout ce bazar, parce qu’il va falloir garder tout le monde mobilisé, motivé, en sécurité tout en trouvant les moyens de sortir de l’ornière.

2 - « Ne paniquez pas ! », de l’importance de la communication en temps de crise.

Si une crise génère de la tension et des interrogations, le premier interlocuteur va légitimement être le manager de proximité dont on rappelle qu’il occupe officieusement le rôle de premier RH de l’entreprise.

Mais parfois ça ne suffit pas. 

Parce qu’il peut s’agir d’un point technique, administratif ou réglementaire adossé à une compétence technique dont le manager de dispose pas.
Parce que son niveau d’information en interne n’est pas suffisant, s’agissant par exemple d’un contentieux ouvrant sur une procédure disciplinaire ou d’une rumeur sur un gros client qui irait voir ailleurs et qui menacerait la pérennité de l’activité. 

Alors on se tourne vers les équipes RH. 

Forcément, elles sont côté direction, elles doivent savoir ! Alors anticipons et accompagnons les managers à faire face à ces situations, et comportons-nous comme des tiers cachés au service de…

Si vous avez lu les précédents épisodes de cette belle série, vous avez désormais la certitude que le quotidien des RH est déjà bien rempli entre les aspects opérationnels et la participation à la stratégie dont la finalité est de prévenir au maximum l’apparition de ces turpitudes. 

Il va donc falloir faire de la gestion de crise collective et potentiellement individuelle tout en conservant les tâches habituelles, en essayant de convaincre les questeurs que ce qu’on leur dit (quand on peut leur dire quelque chose) est crédible, en mobilisant les équipes, en maintenant la culture de l’organisation tout en jonglant avec nos propres doutes.
Avouons-le, si l’origine de la crise est interne et liée à une déviance de ladite culture, le dernier point peut être extrêmement compliqué. 

Les équipes RH vont donc devoir à leur tour garder leurs doutes pour elles et se concentrer sur la communication pour expliquer les protocoles envisagés ou mis en place, les adapter en permanence et garder le lien avec les salariés.

Il devient d’autant plus crucial de transmettre des informations claires, transparentes, régulières à condition d’en avoir. 

Reprenons l’exemple de directeur marketing pris en flagrant de propos islamophobes sur son compte X pro. La première réaction de l’entreprise est de condamner un peu mollement les propos, ce qui ne satisfait pas le tribunal populaire du net. S’en suivent des menaces de boycott, aboutissant à la mise à pied puis au licenciement de l’intéressé.
Or plusieurs choses viennent s’entrechoquer ici : l’addition du temps incompressible de la procédure et du temps nécessaire à la décision, les textes, les exigences formulées par le public d’une sanction rapide et exemplaire à la hauteur du choc ressenti en interne comme en externe, les enjeux de marque employeur et de business, les enjeux éthiques…  

Il y a un immense travail conjoint de la Direction Générale, de la Direction RH et de la Direction de la Communication pour trouver le bon timing, les bons mots, la bonne décision. Charge aux RH dans ces cas-là d’être le garant d’un traitement juste, factuel, objectif qui permette de garder de la cohésion ou au pire de limiter les dommages.

Communiquer, c’est aussi et surtout écouter. 

Une crise en entreprise est une séquence à l’issue de laquelle les aspirations des équipes peuvent changer. Cela peut porter sur l’organisation du travail, un recentrage sur l’humain, un positionnement de la Direction… Reste qu’il faut consolider voire rebâtir la confiance, et c’est le rôle des équipes RH d’être en maîtrise d’ouvrage et en maîtrise d’œuvre sur la question du sens du travail et du collectif

3 - Une épreuve de funambulisme

Les équipes RH ont brillé durant la crise sanitaire et ont marqué des points car elles n’ont pas eu d’autre choix que d’exceller dans une double mission qui est au cœur de leur activité : 

  • protéger la santé et l’intégrité des équipes 
  • tout en préservant la santé de l’entreprise
  • tout en s’astreignant à un cadre légal et réglementaire aussi changeant que l’avis d’un enfant de 6 ans sur ce qu’il veut pour le goûter. 

En théorie le cadre légal n’est pas quelque chose avec lequel on peut s’arranger en fonction de ce qui nous est le plus avantageux. Cela en fait quelque chose de complexe, vivant, difficile à comprendre et subtil malgré tout dans sa lecture.
Or on peut rapidement être victime d’un syndrome Doctissimo, à savoir des personnes n’ayant jamais fait médecine capable de formuler un avis tranché et des recommandations sur une pathologie en faisant la synthèse ChatGPT des contenus de 6 forums sur l’homéopathie, Wikipédia et leur expérience personnelle.  

En théorie, la RH a un rôle central dans le « traitement de fond » contre les risques en entreprise, notamment dans la création du PCA.

Un quoi ? 

Un Plan de Continuité d’Activité, soit l’identification des menaces, la définition et la mise en place des mesures destinées à maintenir le bon fonctionnement de l’entreprise. 

Dit autrement, quelles sont les activités indispensables à la survie de l’entreprise, dans à peu près n’importe quelle configuration : guerre, pandémie, catastrophe naturelle, panne informatique massive, grève… 

Le PCA est un guide de réaction rapide en cas d’événement entravant le bon fonctionnement d’une organisation, et il est fondamental d’y impliquer les RH afin d’y indiquer les ajustements envisageables dans l’organisation du travail : chômage partiel, télétravail, recours à un PSE, mesure de prévention et de sécurité pour la santé des collaborateurs, modalités de recours au recrutement, soutien psychologique au cas où…  Et il apparaît totalement logique d’informer et de consulter les partenaires sociaux sur le sujet !

Ce travail de fond est indispensable et doit permettre de faire face à un panel conséquent de situations variées.
Reste que rien n’est 100% prévisible, et que l’agilité demeure le maître mot. 

Se pose alors à nouveau la question de l’équilibre à trouver entre l’énergie à consacrer à la résolution de cette crise et la nécessité de gérer les affaires courantes.  

Les équipes RH, parfois considérées comme le visage d’une direction qui pourrait être à l’origine de la crise, sont-elles les bons interlocuteurs ? 

Ne faudrait-il pas mieux aller chercher un tiers neutre, un médiateur, une équipe dédiée en transition qui puisse maintenir le dialogue social, préserver l’image employeur interne, prendre en main la communication ? 

N’est-ce pas là la solution idéale pour sortir la fonction RH de son positionnement inconfortable entre le marteau et l’enclume et éviter les procès en conflits d’intérêt ? 

S’il est un contexte en particulier dans lequel la RH doit marcher sur des œufs, c’est celui d’une crise. 

D’autant plus si cette situation naît d’une inaction ou d’un manque de considération portée aux Ressources Humaines et à l’intégration d’aspects réglementaires ou éthiques dans le fonctionnement de l’entreprise. 

Pire, si les équipes RH se retrouvent en conflits de valeur, chargées d’exécuter des décisions qu’elles ne cautionnent pas. 

Premier exemple : un salarié victime de blackmail / revenge porn dont l’adresse pro est détournée et sert à envoyer des photos compromettantes aux clients de l’entreprise ainsi qu’à l’ensemble du staff interne et qui le forcent à faire son coming out.
S’en suivent des actes de harcèlement et de discrimination.
Par la magie des tractations internes et contre l’avis de la plupart de l’équipe RH, la Direction demande à ce qu’il soit licencié pour faute.  

Second exemple : un salarié fait un burn-out. Sa direction lui demande de revenir au bout de 5 mois d’arrêt, contre l’avis de la DRH et au mépris de toute considération pour la sécurité psychologique ou les RPS. Il accepte, le poste est aménagé, il rechute au bout de 3 mois et finit par démissionner. Une prise de position de la fonction RH rendue publique viendrait sans doute remettre un peu de combustible dans des incendies qui ne demandent qu’à repartir et dont on n'est jamais totalement sûr qu’ils soient éteints.

4 - Les RH dans un rôle social

Vous l’avez d’ores et déjà compris, la gestion d’une crise ne se limite pas aux procédures et aux réglementations. 

C’est l’impact humain qui est sans aucun doute le plus conséquent, et le plus difficile à estimer.
Parce qu’à l’instant T, faire le pari de l’écoute (à défaut de pouvoir apporter des réponses), de la disponibilité et de l’empathie est sans doute le meilleur, même s’il est chronophage et exigeant émotionnellement. 

On reproche à nos métiers la froideur, la logique comptable, l’asservissement aux chiffres et à la performance, mais c’est quand le stress des équipes monte en flèche, quand l’incompréhension prolifère, que le doute et la rancœur s’installent qu’il convient de démontrer que le H de RH n’est pas usurpé !

Il va être capital de manier technique et humain, affect et pragmatisme, et d’être bon dans les deux domaines. Avec, on ne le dira jamais assez, l’impuissance qui sied parfois et malheureusement à la fonction. 

L’autre enjeu va être de trouver le bon dosage entre prise en compte des besoins et des ressentis individuels et nécessité d’une prise en charge à l’échelle d’une organisation.
Car une crise, quelle que soit sa nature, peut avoir des conséquences extrêmement différentes selon les individus, leurs histoires, leurs croyances et le contrat moral passé entre eux et l’organisation. 
D’autant que sortir d’une crise peut avoir un coût et être le fruit de décisions difficiles et coûteuses sur un plan humain : licencier, mettre en chômage partiel, réduire les hausses de salaire… 

Finalement on en revient assez régulièrement au même constat : la fonction RH est surtout visible par mauvais temps, pour prendre en main les sujets hard-core et faire appliquer des décisions ayant un impact sur les salariés.

À la crise opérationnelle succède la crise de confiance ?

Et c’est là aussi tout le challenge de notre sujet du jour pour la grande famille des métiers des ressources humaines, et en même temps une opportunité : considérer qu’une fois la crise résolue, rien n’est peut-être réellement terminé. S’assurer de consolider ou recréer un contrat moral est d’une importance capitale, tout comme de tirer les leçons de la crise et progresser. Le minimum serait de s’assurer que rien n’est en train de mijoter lentement tel un feu de zombie qui pourrait faire ressortir une tension ailleurs dans l’organisation et plus loin dans le temps. 

Et c’est précisément le rôle de la RH, marier temps court et temps long, curatif et préventif, et embarquer toutes les parties prenantes de l’organisation dans cette vision.

LE MOT DE LA FIN

Sous peine de voir votre entreprise se transformer en épisode géant de The Office, en pire, les moments de crise sont pour les équipes des rendez-vous à négocier avec soin. 

La tentation est grande d’y voir un « moment Altamont » de Philippe Silberzahn (4), mais nous pourrions également lorgner vers le concept d’éthique du management et des affaires et les « Defining moments » de Joseph L. Badaracco (5). 

Parce que l’ordre de priorités et les objectifs fixés par mauvais temps en disent long sur la culture d’une entreprise, sur sa vision des RH, sur son rapport aux Hommes. 

Parce que ces décisions peuvent venir chatouiller les valeurs des équipes RH qui partagent cette caractéristique intéressante avec le reste de l’humanité : elles ressentent les choses.

Et faire ce qui doit être fait ne veut pas dire vouloir le faire. Comme le disait l’artiste Ben (qui nous a quittés il y a quelques mois ) :

Doit-on se résigner à dire la même chose de la fonction RH ? 

Absolument pas.

NOTES & ANNEXES

(1) Vous aimeriez que votre Directeur Marketing tienne des propos islamophobes, racistes et injurieux sur X (ex Twitter) en y associant le nom de votre marque ? Nocibé non plus. 

(2) Si vous l’aviez raté jusque-là, session de rattrapage express à propos des travaux de Hans Selye sur le stress.

(3) Ou VICA en français : Volatile, Incertain, Complexe, Ambigu

(4) « Le moment altamont, n’attendez pas une catastrophe pour ajuster vos modèles mentaux » - Phille Silberzahn, 2019

(5) Defining Moments : When Managers Must Choose between Right and Right, 2016.

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À propos de l'auteur·e
Arnaud D'Hoine
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Spécialiste de la Stratégie Employeur @IVIPI