Motivation au travail : pourquoi la vision traditionnelle n’est plus adaptée

Marie-Sophie Zambeaux
Motivation au travail : pourquoi la vision traditionnelle n’est plus adaptée

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Je sais ce que certains se disent peut-être. Au secours ! Un livre supplémentaire sur la motivation ! Genre on en avait besoin, l’offre n’était pas suffisante sur ce thème. Mais s’il existe beaucoup de livres sur la motivation, ils ne se valent pas tous loin de là et le sujet est souvent mal traité voire maltraité.

Le livre que j’ai choisi pour cette note de lecture, La vérité sur ce qui nous motive de Daniel H. Pink, est une valeur sûre sur ce sujet ô combien essentiel. Il est différent car il tord le cou à de nombreuses idées reçues sur la motivation tout en s’appuyant sur des nombreuses et incontestables bases scientifiques (Harry Harlow et Edward Deci notamment). Il se démarque ainsi d’autres livres sur la motivation parfois un peu creux ou ésotériques, il faut bien l’admettre.

Ce livre décortique de manière claire, pédagogique et accessible pourquoi la vision traditionnelle de la motivation extérieure basée sur la carotte et le bâton – la Motivation 2.0 comme Daniel H. Pink  la nomme – n’est plus adaptée aux besoins modernes et au monde du travail actuel et ne fonctionne donc plus vraiment la plupart du temps.

Aussi, je vous propose d’expliquer de manière approfondie, dans cet article, les raisons de la légitime désaffection pour la Motivation 2.0 et de présenter la nouvelle version qui lui succède, à savoir la Motivation 3.0 telle que décrite par Daniel H. Pink dans cet ouvrage fondé sur trois piliers fondamentaux. C’est parti !

🥕🥕 La Motivation 2.0 ou la carotte et le bâton !

La Motivation 2.0, également appelée le système de la carotte et du bâton, repose sur deux principes simples : récompenser les bons comportements et punir les mauvais

Elle a connu un succès considérable pendant la Révolution industrielle au XIXe siècle et a dominé le XXe siècle, notamment grâce à l’essor du taylorisme. Il faut dire qu’à cette époque, les entreprises étaient focalisées sur la production de masse et l’efficacité avec des tâches souvent simples, répétitives et peu qualifiées.

Frederick Taylor a ainsi développé une approche appelée « organisation scientifique du travail » qui décomposait les tâches en étapes claires. Les ouvriers, considérés comme des rouages dans une machine, étaient motivés par des incitations extrinsèques comme le salaire, les bonus ou bien encore les punitions pour les erreurs. Ce système était parfaitement adapté aux tâches algorithmiques, c'est-à-dire aux tâches qui suivaient un schéma clair et prédéfini. Sur les chaînes de montage, par exemple, où les travailleurs suivaient des instructions spécifiques, la Motivation 2.0 a permis d'améliorer la productivité de façon spectaculaire.

Cependant, à mesure que les économies ont évolué vers des secteurs nécessitant créativité et innovation, ce modèle a commencé à montrer ses limites. De plus en plus d’emplois sont devenus des tâches heuristiques, où il n’existe pas de solution préétablie et où il faut expérimenter, réfléchir, innover et faire preuve d’esprit critique !

Aujourd'hui, ce ne sont pas moins de  70 % de la croissance des emplois dans les économies développées qui provient des tâches heuristiques contre seulement 30 % pour les tâches algorithmiques. [2]

Dans ce contexte, la Motivation 2.0, efficace pour les tâches répétitives, ne correspond plus aux besoins actuels et peut même s’avérer contre-productive. Elle présente 7 limites majeures pour les tâches heuristiques que je vais vous détailler au paragraphe suivant.

Les 7 limites de la Motivation 2.0

L'utilisation de la carotte et du bâton présente donc 7 principaux défauts dans des environnements de travail modernes et complexes :

1. Réduction de la motivation intrinsèque

Les récompenses externes peuvent réduire l'intérêt naturel pour une tâche. Lorsque la motivation intrinsèque est remplacée par une incitation externe, les individus perdent souvent leur envie de faire l'activité pour elle-même​.

📌 Par exemple : Imaginons une équipe de développement informatique où les programmeurs sont passionnés par leur métier et aiment résoudre des problèmes complexes. Leur motivation intrinsèque réside dans le plaisir qu'ils tirent de la création, du défi intellectuel et de l'apprentissage constant. Ils aiment coder parce que cela leur procure un sentiment d'accomplissement et d'expertise.
L'entreprise décide d'instaurer un système de récompenses basé sur la quantité de lignes de code écrites ou sur le nombre de tickets résolus. Pour chaque milestone atteint, les employés reçoivent des bonus ou des points échangeables contre des récompenses matérielles. Ce changement pourrait entraîner une perte de motivation intrinsèque.
En effet, à force de recevoir des récompenses pour une tâche qu'ils faisaient auparavant par passion, les programmeurs pourraient progressivement perdre l'envie de coder pour le simple plaisir de le faire. Désormais, ils pourraient être motivés par l'obtention des récompenses externes plutôt que par l'intérêt intrinsèque pour la résolution des problèmes ou l'amélioration de leurs compétences.

2. Réduction de la performance et de la créativité

Paradoxalement, les incitations externes peuvent diminuer aussi bien la performance que la créativité dans les tâches complexes. Les récompenses peuvent focaliser l’attention sur l’objectif immédiat et réduire la capacité à réfléchir de manière créative ou à trouver des solutions innovantes.  Les incitations externes tendent à réduire la pensée divergente pourtant essentielle à l'innovation. Lorsqu'une récompense est en jeu, les individus se concentrent souvent sur la solution la plus immédiate, limitant ainsi leur capacité à envisager de nouvelles approches.

📌 Par exemple : Imaginons qu'une entreprise propose une récompense financière importante à l'équipe de R&D pour accélérer la sortie d'un nouveau produit innovant. L'objectif est simple : la première équipe à proposer une solution recevra une prime substantielle. Ce type de pression, basée sur une incitation externe, peut créer des effets inattendus.
En effet, dans un environnement où l'innovation et la créativité sont essentielles, la promesse d'une récompense immédiate peut pousser les membres de l'équipe à se concentrer uniquement sur l'obtention du bonus plutôt que sur la qualité de la solution. Ils risquent de privilégier les idées rapides, voire superficielles, qui pourraient résoudre les problèmes à court terme mais qui manquent de profondeur ou d'originalité.
Sous cette pression externe, leur capacité à penser de manière créative pourrait diminuer. Au lieu de prendre le temps de réfléchir, d'explorer différentes options, ou de tester des idées novatrices, l'équipe pourrait se concentrer sur le gain immédiat, compromettant la performance globale. Le stress causé par l'incitation externe pourrait même générer des erreurs, des raccourcis, et une perte de rigueur dans le processus créatif.
Ainsi, dans les tâches complexes qui nécessitent réflexion et innovation, l'introduction d'une récompense peut paradoxalement conduire à une baisse de la performance en réduisant l'engagement créatif et la capacité à trouver des solutions vraiment originales et durables.

3. Découragement des bonnes actions

Lorsque des incitations externes sont introduites, elles peuvent éclipser la motivation morale ou intrinsèque d’accomplir des actions pour des raisons altruistes, éthiques ou personnelles. 

L’un des exemples les plus parlants de ce phénomène est celui du don de sang. Dans certaines études, il a été observé que payer les gens pour donner leur sang peut réduire le nombre de dons. En effet, le don de sang est traditionnellement considéré comme un acte altruiste, accompli par sens du devoir civique ou pour aider les autres sans attendre de compensation. Cependant, lorsqu'une incitation financière est introduite, l'acte perd de son caractère moral et se transforme en une simple transaction économique.
Comme l’explique Daniel H. Pink , Titmuss avait déjà mis en évidence cette dynamique dans ses recherches sur le comportement des donneurs de sang. Il a montré que l’introduction d’une récompense monétaire ne stimulait pas le comportement souhaité, mais au contraire, diminuait la volonté de donner. Le fait de monétiser un acte altruiste comme le don de sang envoie le signal que cet acte n’est pas purement motivé par un sens moral, mais par un intérêt financier. Cela éclipse la motivation intrinsèque des personnes à accomplir une bonne action et réduit le volume de dons​.

📌 Par exemple : Imaginons qu'une entreprise introduise un bonus monétaire pour encourager ses employés à collaborer davantage et à partager leurs connaissances avec leurs collègues. Avant l'introduction de cette incitation, les employés partageaient volontiers leurs idées et leurs expériences parce qu'ils se sentaient intrinsèquement motivés à aider l'équipe, à contribuer à la mission globale de l'entreprise, et à renforcer l'esprit collectif. C'était un acte de coopération, de camaraderie, et de désir de contribuer au succès collectif.
Cependant, dès que des primes financières sont mises en place pour ce genre de comportements, une partie des employés peut percevoir ces actions autrement. Plutôt que de partager leurs connaissances par plaisir ou par solidarité, ils commencent à le faire uniquement pour toucher le bonus. Cette transition de la motivation intrinsèque vers une motivation extrinsèque peut avoir un effet pervers : ceux qui étaient motivés par des raisons morales ou altruistes peuvent être démotivés, et l'entreprise pourrait constater une baisse globale de la collaboration sincère. En effet, certains collaborateurs pourraient commencer à percevoir les actes de coopération comme un moyen de "faire de l’argent", et cela pourrait dévaloriser le sentiment de contribution désintéressée et d'engagement authentique dans l'entreprise.

4. Incitation à tricher et à simplifier

Les récompenses externes peuvent encourager des comportements contraires à l’éthique. Par exemple, des objectifs strictement orientés sur les résultats peuvent pousser certaines personnes à tricher ou à adopter des raccourcis risqués pour atteindre les récompenses plus rapidement​.

📌 Par exemple : Dans une entreprise automobile imposant des quotas de ventes au personnel des ateliers de réparation, certains membres de l’équipe peuvent être incités à surfacturer les prestations à la clientèle et même à procéder à des réparations non nécessaires sans considérer en premier lieu l’intérêt des clients.

5. Création d'accoutumance

À long terme, les incitations externes peuvent entraîner une dépendance. Les récompenses initiales perdent leur effet et nécessitent des doses toujours plus élevées pour obtenir le même niveau de motivation​.

L’exemple le plus simple et accessible est celui d'un parent qui paye son enfant pour descendre les poubelles. En offrant de l’argent, le parent envoie clairement le signal que la tâche n’a pas de valeur en elle-même ou qu’elle ne procure pas de gratification intrinsèque. Si l'enfant est payé, il perdra tout intérêt à faire la tâche gratuitement, confirmant que sans argent, elle ne vaut pas la peine d'être faite.
Or, avec le temps, la récompense va perdre de son effet tant et si bien que pour maintenir la motivation, le parent devra augmenter la somme. Cette dépendance à des incitations toujours plus élevées montre que l'enfant ne sera plus motivé par le simple fait de contribuer à la maison, mais uniquement par l'incitation financière. Ainsi, l'effet initial se dissipe, et il devient impossible de revenir en arrière sans que l’enfant refuse la tâche.

📌 Par exemple : Une entreprise propose une prime annuelle à ses employés pour atteindre certains objectifs de recrutements. Au fil du temps, les employés s'habituent à cette prime et commencent à la considérer comme une partie intégrante de leur rémunération. Lorsqu'une année la prime est réduite ou supprimée en raison de résultats économiques défavorables, la motivation des équipes chute drastiquement. Elles n’arrivent plus à se mobiliser sans cette incitation externe, et leur performance globale diminue.

6. Favorisation d’une vision à court terme

Enfin, la quête de récompenses externes pousse souvent à adopter une vision à court terme. Les objectifs fixés peuvent conduire à une myopie décisionnelle où la performance immédiate prime sur la croissance ou le succès à long terme.

📌 Par exemple : Une entreprise de vente en ligne promet des commissions élevées à ses commerciaux pour chaque nouveau client signé. À court terme, les ventes explosent, mais à long terme, les clients ne sont pas satisfaits et se désabonnent, car les commerciaux se concentrent sur la signature des contrats plutôt que sur la qualité du service ou sur la satisfaction à long terme des clients.

Les organisations focalisées sur leurs bilans trimestriels illustrent à merveille cette limite. Des chercheurs ont constaté que les entreprises consacrant une grande partie de leur temps à gérer leurs résultats trimestriels pour répondre aux attentes des actionnaires ou pour obtenir des primes affichaient une croissance à long terme plus faible que celles qui maintiennent une vision plus globale et stratégique. En effet, en se focalisant sur les résultats immédiats, ces entreprises réduisent souvent leurs investissements dans la recherche et le développement (R&D), essentiels pour innover et rester compétitives sur le long terme​.

Comme nous venons de le voir, la Motivation 2.0, qui avait réussi dans les environnements où les tâches étaient essentiellement répétitives et algorithmiques, se heurte, aujourd’hui, à de nombreuses limites dans notre monde du travail contemporain où l’innovation, la créativité et la résolution de problèmes sont primordiales. Pour ces tâches heuristiques, un passage à la motivation 3.0 semble nécessaire !

Place à la motivation 3.0 🪄 !

Daniel H. Pink propose donc dans La vérité sur ce qui nous motive de remplacer la Motivation 2.0 par un modèle plus adapté aux réalités du travail contemporain qui serait fondé sur trois piliers majeurs de la motivation intrinsèque à savoir l'autonomie, la maîtrise et la finalité. Cette approche serait beaucoup plus efficace pour motiver les individus.

L'autonomie ou le désir de contrôler sa vie

L'autonomie est la capacité de choisir comment accomplir son travail, quand le faire, et avec qui. Daniel H. Pink souligne que les individus sont plus motivés lorsqu'ils sont autonomes et ne se sentent pas surveillés en permanence. La gestion traditionnelle, basée sur le contrôle, étouffe cette autonomie et donc la motivation. Dans un environnement autonome, les employés peuvent s'approprier leurs tâches, se sentir responsables et s'engager plus activement.

Des entreprises comme Google ont compris cette dynamique et ont mis en place des programmes comme le « 20% Time » où les employés peuvent consacrer 20 % de leur temps à des projets personnels favorisant ainsi la créativité et l'innovation​.

La maîtrise ou le besoin de progresser et de s’améliorer

La maîtrise est un autre élément fondamental. Les individus sont motivés par la progression constante dans un domaine important pour eux. Daniel H. Pink  fait référence au concept de « flux » (ou état de flow), décrit par Mihaly Csikszentmihalyi, cet état où l'on est entièrement absorbé par une tâche, au point de perdre la notion du temps​. Cet état n'est atteignable que lorsque l'on est confronté à des défis qui nous poussent à nous améliorer, tout en restant réalisables.

Les entreprises peuvent encourager cette maîtrise en investissant dans la formation continue et en offrant des opportunités de développement personnel. C'est en cultivant cette progression que les employés resteront engagés et chercheront à se dépasser.

La finalité ou travailler pour un but plus grand que soi

Enfin, la finalité est essentielle à toute motivation durable. Les gens veulent sentir que leur travail a un sens et que ce dernier contribue à quelque chose de plus grand qu'eux-mêmes. Daniel H. Pink  affirme que travailler avec un objectif clair et noble est un puissant moteur de motivation. Cela peut être vu dans des entreprises qui mettent l'accent sur leur mission sociale ou environnementale, par exemple.

Conclusion

En conclusion, La vérité sur ce qui nous motive de Daniel H. Pink est bien plus qu’un énième livre sur la motivation et j’espère vous en avoir convaincus !

Il remet en question les approches dépassées basées sur la carotte et le bâton et propose un nouveau modèle : la Motivation 3.0. reposant sur les trois piliers fondamentaux que sont l'autonomie, la maîtrise et la finalité. 

Ce nouveau modèle répond beaucoup mieux aux exigences du monde moderne où créativité, innovation et résolution de problèmes complexes sont essentielles. Dans cet ouvrage, Daniel H. Pink nous montre que ces leviers de motivation intrinsèque sont plus efficaces pour favoriser la performance tout en, cerise sur le gâteau, améliorant le bien-être des employés. 

Les entreprises qui adoptent cette approche stimulent non seulement leur productivité mais elles attirent également des talents motivés par des missions porteuses de sens.

En somme, Daniel H. Pink nous offre une vision plus humaine, flexible et durable de la motivation, une vision adaptée aux défis du XXIe siècle.

Références

[1] « La vérité sur ce qui nous motive »  de Daniel H. Pink  – éditions Flammarion

[2] Bradford C. Johnson, James M. Manyika, Lareina A. Yee, “The Next Revolution in Interaction”, McKinsey Quarterly, 4 (2005): 25-26.

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À propos de l'auteur·e
Marie-Sophie Zambeaux
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Fondatrice @ReThink RH, éditorialiste RH, host du podcast "Histoires de Recruteurs".