Que penser du « recrutainment » et des méthodes originales en recrutement ?

Marie-Sophie Zambeaux
Que penser du « recrutainment » et des méthodes originales en recrutement ?

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Image extraite de la série Bref - épisode 4 "Bref. J'ai passé un entretien d'embauche."

Recrutement derrière un rideau, recrutement sur un tatami, escape game, sessions de recrutement inspirées du télécrochet The Voice, les initiatives originales et décalées en recrutement se multiplient ces dernières années.

Principale raison invoquée ? Les difficultés de recrutement rencontrées par les entreprises. 61% des recrutements sont ainsi jugés difficiles par les entreprises en 2023 selon la dernière étude Besoins en Main d’œuvre de Pôle Emploi. [1]

Face à cette tension sur le marché du travail, les organisations se creusent les méninges 🧠 et redoublent d’inventivité afin de se démarquer, d’accroître leur attractivité et de recruter plus aisément. Elles sont ainsi de plus en plus nombreuses à élargir leur panoplie de méthodes de recrutement en misant sur la « gamification» avec l’utilisation de toutes sortes de jeux en ligne ou hors ligne  (serious games, escape game, jeux de stratégie, tournois de poker…) mais également en recourant à des épreuves sportives.

Cela s’inscrit clairement dans la mode actuelle du « recrutainment », contraction de recrutement et d’entertainment. Mais que penser de ces méthodes ?!?

Au risque de passer pour un esprit chagrin, j’émets de fortes réserves quant à la grande majorité de ces méthodes. Aussi, après avoir procédé à un état des lieux de ces pratiques originales, je vous propose de passer en revue les limites de ces dernières.

Le boom des méthodes originales en recrutement 💥 !

Pas une semaine ou presque ne passe sans que je découvre dans la presse, à la télé ou à la radio une nouvelle méthode originale de recruter mise en œuvre par telle ou telle organisation afin de se différencier et d’attirer les candidats. J’ai ainsi pu voir passer ces dernières années des choses assez atypiques pour ne pas dire, par moments, déroutantes. Voici, pêle-mêle, quelques méthodes déployées. Je n’invente rien, promis !

  • The Voice : 2018, plusieurs agences de Pôle Emploi décident d'organiser des sessions de recrutement sur le principe du télécrochet The Voice. « Assis sur des fauteuils rouges, trois recruteurs tournent le dos à une candidate. La demandeuse d’emploi est debout au milieu de la salle. Elle répond aux questions. Si son profil séduit l’un de ces professionnels, il doit se retourner pour presser l’un des buzzers posés sur la table qui les sépare. » Une affiche projetée au mur reprend d’ailleurs la charte graphique de l’émission avec le slogan « This is the job. Soyez le meilleur candidat ». [2] Face aux critiques, Pôle emploi a suspendu rapidement ces sessions de recrutement qui, je tiens à le préciser, se voulaient bienveillantes.
  • Recrutement derrière un rideau : Juin 2022, un magasin dans l’habillement à Vannes lance l’initiative «  The Job » qui consiste en des « auditions à l’aveugle » ; recruteurs et candidats étant séparés par un rideau noir. Je cite le directeur du magasin qui a créé ce concept :  «  Les candidats savaient quelles entreprises étaient là mais ne savaient pas quels postes étaient proposés ; les recruteurs devaient, eux, se concentrer sur le savoir-être lors des auditions des candidats. Cachés derrière le rideau, ils avaient 2mn 30 pour se présenter, exposer leurs motivations, leur projet professionnel. Dans la salle, les entreprises disposaient de fiches où ils pouvaient inscrire le numéro du ou des candidats qu’ils souhaitaient rencontrer par la suite ».[3]
  • Recrutement via de l’escalade : 2022, un groupe spécialisé dans les secteurs de l’ingénierie, du numérique, du bâtiment et de l’environnement propose une séance de recrutement dans une salle d’escalade indoor en forêt de Fontainebleau. La DRH explique qu’ils voulaient « trouver une activité décalée et conviviale pour recruter de nouveaux salariés » et que « ce parcours d’escalade sera surtout une manière de révéler les personnalités, les qualités et d’observer les comportements en équipe : la solidarité, le travail en équipe etc. C’est aussi une façon de présenter les valeurs de notre entreprise. » [4] Sur le site internet même de l’organisation on peut lire au sujet de cette activité : « De quoi révéler leur personnalité, prouver leurs qualités et mettre en avant leur volonté. Car comme le dit son slogan, la performance ne doit rien au hasard ! ».
  • Recrutement via des activités sportives : Comme nous venons de le voir avec l’escalade, de plus en plus d’entreprises organisent des sessions de recrutement centrées sur une activité sportive ( judo, badminton, athlétisme, basket, rugby). L’entreprise d’intérim Randstad n’est pas en reste et a organisé en mars 2023 des rencontres sur un tatami dans le cadre de l’opération « Trouve ton job ». «  Ça change par rapport aux rencontres professionnelles classiques. Il n’y a pas la dimension recruteur-recruté. » Petite précision, Randstad est le recruteur officiel pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 [5].

    Pôle Emploi propose également une initiative appelée « Du stade vers l’emploi » [6] articulée en 3 temps distincts. Le premier temps est dédié à une activité sportive : recruteurs et candidats, identifiés uniquement par leur prénom, s’engagent ensemble dans des activités sportives en ignorant qui est recruteur et qui est candidat. Puis vient le déjeuner et ensuite un job dating l’après-midi entre recruteurs et candidats, des « entretiens facilités par les échanges de la journée ».
  • Recrutement dans le noir : 2019, il s’agit cette fois-ci, d’une expérience de recrutement appelée « C'est à vous de voir ». Les demandeurs d’emploi passent des entretiens de recrutement de 7 minutes dans le noir complet. En face de chaque candidat, un binôme de recruteurs s'installe. Il y a un recruteur non voyant, épaulé par un autre qui voit. Les règles du jeu sont particulières. « Les candidats ne se présentent pas par un prénom mais par une qualité, par exemple Madame Bienveillante ou Monsieur Audacieux. Ça s'inscrit tout à fait dans le prolongement du CV anonyme », déclare celui qui a monté l'opération avec la mairie de Nice. [7]
  • Recrutement via la danse : Octobre 2023, Pôle Emploi met en place un événement qui a fait couler beaucoup d’encre. Il s’adressait aux chômeurs et les invitait à danser. Le but ? « Abattre la barrière très formelle de l’entretien d’embauche en dansant avec son futur recruteur. » L’approche corporelle permettrait, soit-disant, de « détecter des aptitudes » et apporterait « une sensibilité différente », avec, pompon sur la Garonne, « un effet miroir entre l’engagement corporel et l’engagement au travail. » |[8] Précision qui a son importance, «  cet atelier ne visait pas tous les publics mais s’adressait aux professionnels du secteur artistique et était dédié au recrutement dans le spectacle vivant ». Certes mais un des postes à pourvoir était administrateur d'une compagnie de danse... Autre point dérangeant, les personnes qui ont dansé le matin « dans l'anonymat de leur statut »  ignoraient donc totalement qui, parmi les autres personnes présentes, était recruteur ou candidat.
  • Recrutement via des escape game : Enfin, et cas sûrement le plus fréquent, nombreuses sont les entreprises à recourir à des escape game lors de leur processus de recrutement. C’est notamment le cas de PwC depuis plus de 5 ans. Leur objectif est double : « moderniser la marque employeur du groupe auprès des jeunes diplômés en se différenciant, et mieux repérer les « soft skills » (savoir-être) des candidats. » [9]. La responsable du recrutement de l’époque affirmait, en 2017, que l’escape game  était très « révélateur » car les candidats oubliaient totalement les observateurs. Cela permettait « de se rendre compte de comment la personne interagit en équipe, se préoccupe du respect du timing, se montre créatif face à un problème ou exerce son leadership. ».

Quels sont les objectifs recherchés par les entreprises ?

Tout d’abord, il est primordial de préciser que toutes ces méthodes originales et atypiques partent, dans l’écrasante majorité des cas, d’une bonne intention et se veulent avant toutes choses bienveillantes, fun et ludiques. Elles veulent se démarquer des méthodes traditionnelles qu’elles jugent trop formelles et coincées et sortir des sentiers battus.

Parmi, les principaux objectifs recherchés :

  • Attirer un maximum de candidats en proposant une activité originale et appréciée par les candidats et en véhiculant, cerise sur le gâteau, une image sympathique et cool de son organisation ;
  • Mettre à l’aise les candidats stressés par l’exercice même de l’entretien de recrutement ;
  • Mieux appréhender et cerner la réelle personnalité ainsi que le savoir-être des candidats.

Mais ces objectifs sont-ils vraiment atteints ? Et quelles sont les limites inhérentes à ces initiatives ?

Quelles sont les limites de ces méthodes ? En quoi sont-elles problématiques ?

Des méthodes dissuasives pour de nombreux candidats

Le premier objectif mis en avant par les organisations qui recourent au recrutainement c’est qu’il permettrait d’attirer davantage de candidats que les méthodes dites classiques et qu’il tirerait son épingle du jeu en termes d’expérience candidat proposée.

Selon une étude réalisée par AssessFirst en 2018, l’escape game serait, tout simplement, la méthode de recrutement jouissant du plus fort capital sympathie auprès des candidats.

Les 1237 candidats interrogés ont ainsi jugé l’escape game comme la méthode de recrutement la plus innovante (7,7/10), la plus fiable (6,4/10),  la moins discriminante (3,4/10) et celle les mettant le plus à l’aise (« potentiel « malaisant » »  de 3/10).

Gros bémol cependant : seulement 1,9% des candidats interrogés ont été confrontés, dans les faits, à cette méthode ce qui limite forcément la portée de cette étude qui date, qui plus est, de 2018. [10]

Une autre étude de 2022 intitulé « Baromètre & tendances de l’expérience candidats en 2022 » par Yaggo et l’IFOP [11] portent sur un périmètre, cette fois-ci, bien plus large que les seuls escape game et nous révèlent que 27 % des candidats sont susceptibles d’être découragés de postuler du fait de devoir participer à un jeu ( 27 %).

C’est le 3ème frein à la candidature en 2022 versus le 1er évoqué en 2021.

Les profils seniors sont, quant à eux, 34%  à être opposés à la gamification et à devoir participer à un jeu.

Il est intéressant de constater que loin des a priori positifs concernant les activités ludiques lors des processus de recrutement, il existe de véritable freins côté candidats à prendre en considération lors de l’intégration de ce genre d’activité dans son processus de recrutement. Ces méthodes innovantes peuvent indéniablement nuire à l’expérience candidat prodiguée en l’entachant, entre autres, d’un sentiment d’infantilisation.

Attention au risque d’infantilisation !

Le frein le plus évident et manifeste côté candidats est sans conteste le sentiment d’infantilisation.

Je sais bien que certains crieront au raccourci et me répondront que jeu n’équivaut pas forcément à « activité pour les enfants » et donc infantilisation mais c’est clairement, selon moi, un des principaux écueils de ces méthodes et d’autant plus que l’obtention d’un poste est à la clé.

Obtenir un emploi n’est pas un jeu et ne pas le décrocher peut être très lourd de conséquences pour les candidats. Alors se dire qu’on n’a pas décroché le poste qu’on convoitait parce qu’on n’a pas réussi à  convaincre un recruteur lors, par exemple, d’un escape game ou d’une activité escalade, peut générer beaucoup de frustration voire de colère.

Il y a également un réel sujet d’adéquation entre le poste visé et l’activité proposée. Les candidats peuvent aisément ressentir de l’incohérence si un recruteur les invitent à se « lâcher » lors d’une activité alors qu’il a précédemment insisté sur le sérieux et/ou la discrétion requise pour le poste.

🎭 Inefficace pour faire tomber les masques !

Autre argument avancé pour vanter les mérites du recrutainement, il serait redoutable pour évaluer le savoir-être ou « soft skills » des candidats et les révéleraient au grand jour.

Les défenseurs de ces méthodes assurent ainsi que cela permettrait de déceler de nombreuses compétences comportementales (leadership, écoute, prise d’initiatives, sang-froid, fair-play, capacités analytiques..) de manière beaucoup plus aisée, naturelle et fiable que lors d’un entretien de recrutement classique.

De par leur aspect ludique, ces activités permettraient, en effet, de mieux cerner la « vraie » personnalité des candidats car ces derniers, pris dans le jeu, tomberaient plus facilement le masque et se dévoileraient davantage.

Il est vrai qu’un entretien de recrutement « classique » comporte indéniablement une part de mise en scène et de « jeu de rôle ». Mais croire que ce serait radicalement différent lors d’une activité ludique tel un escape game c’est vraiment s’illusionner et se voiler la face !

Au vu de l’enjeu (décrocher un poste), je ne crois pas un seul instant que les candidats puissent oublier et perdre de vue les observateurs. Et se sachant observés, analysés et évalués les participants ne peuvent pas être « naturels » et sont donc forcément dans l’affichage. Ils modifient ainsi leur comportement en fonction de ce qu’ils croient devoir montrer aux recruteurs afin d’apparaître sous leur meilleur jour et de décrocher le poste convoité.

Les données récoltées sur les candidats lors de ces activités ne permettent donc l’accès qu’à ce que ces derniers montrent d’eux même et non à ce qu’ils sont. Point de miracle réalisé ici.

Cela me fait penser au roman L’Insoutenable légèreté de l’être de Milan Kundera et plus particulièrement aux propos de Sabina, héroïne tchèque ayant grandi dans la Tchécoslovaquie communiste : « Dès lors qu’il y a un témoin à nos actes, nous nous adaptons bon gré mal gré aux yeux qui nous observent, et plus rien de ce que nous faisons n’est vrai » […]. Avoir un public, penser à un public, c’est vivre dans le mensonge »

Comme l’écrit Thibaud Brière, « Être sous surveillance, c’est être sous influence, consciemment ou non. »

Ainsi les activités de recrutainement ne parviennent pas à faire, « miraculeusement », tomber les masques des candidats. Les candidats peuvent, en effet, aisément jouer un rôle. La seule conclusion à en tirer c’est qu’ils ont bien compris ce qui était attendu d’eux et que ce sont de bons acteurs…

Manque de validité & foire aux biais cognitifs !

Un des problèmes majeurs de ces méthodes est justement leur côté très décalé ! Elles ne sont en aucun cas des retranscriptions fidèles d’une journée de travail classique mais, au contraire, des situations totalement artificielles. Difficile dans de telles conditions d’évaluer les compétences professionnelles requises pour un poste contrairement à une mise en situation classique ou un échantillon de travail.

Et c’est bien là le principal hic ! Le caractère innovant et ludique d’une technique de recrutement ne doit pas détourner les recruteurs de leur objectif premier à savoir évaluer de manière objective et fiable les compétences et capacités réelles des candidats à exercer et réussir dans un poste donné.

Prenons le cas particulier de l’escape game. Alexis Akinyemi et Laurène Houtin  s’interrogent dans l’ouvrage « S’approprier les nouvelles méthodes de recrutement : tests de personnalité, escape games, serious games, IA »  [12] sur la pertinence de cette méthode pour évaluer les compétences des candidats.

Pour que cette manière de procéder ne soit pas inutile, il faudrait que le « succès des participants […] soit absolument conditionné par la mobilisation des compétences demandées et les épreuves déterminées selon les niveaux de maîtrise attendus. » « Sinon, il ne s’agit vraiment que d’un jeu »  assènent-ils et je rajouterai et cela ne sert vraiment à rien dans l’évaluation…

Or force est de constater que c’est loin d’être la norme aujourd’hui dans les différents escape game mis en œuvre par les entreprises et les différentes méthodes déployées. Elles ne sont manifestement pas valides et pertinentes pour évaluer les compétences d’un candidat.

Car, en effet, comment interpréter le comportement des candidats ? Sur quoi doit-on les évaluer précisément ? Leur évaluation sera forcément positive si leur équipe a réussi à remplir la mission qui leur a été confiée ? Ou seulement s’ils ont fortement contribué à ce succès à titre personnel ? Et qu’en déduire si l’équipe n’a pas réussi à accomplir sa mission ? Les candidats sont-ils éliminés de facto ?

Autre frein majeur à une évaluation fiable et pertinente : la prépondérance des biais cognitifs dans ces activités de recrutainement qui faussent et vicient les évaluations des recruteurs.

Lors des initiatives sportives proposées par Pôle Emploi qui, je le répète, partent incontestablement d’une bonne intention, le fait de pratiquer un sport ou de danser ensemble le matin peut certes aider à détendre l’atmosphère et faciliter les échanges de l’après-midi, mais cela va surtout générer beaucoup de biais cognitifs et de préjugés.

Le fait d’observer, pendant plusieurs heures, le comportement de candidats lors d’activités non professionnelles va forcément et inévitablement avoir des répercussions sur le comportement même des recruteurs lors des entretiens et altérera inconsciemment leurs évaluations des candidats. Il sera, en effet, extrêmement difficile pour eux de faire table rase des impressions forgées durant ces moments ludiques partagés et ce vécu teintera et biaisera le déroulé du processus de recrutement.

En outre, lors d’escape game ou d’activités de groupe, se manifeste un biais cognitif tout particulièrement redoutable appelé biais de contingence qui complexifie l’évaluation des compétences des candidats  : « Dans un travail de groupe, les comportements de chacun sont influencés par les comportements des autres membres. Pour éviter ce biais, il faudrait s’assurer que chaque personne se retrouve, à un moment de son évaluation, confrontée à l’ensemble des situations possibles. Comment comparer des candidats sur leur gestion des conflits si tous n’ont pas eu à gérer des conflits dans leur groupe ? Plus complexe encore : si on remarque une absence de conflit, au sein d’un groupe, doit-on en déduire que ses membres sont capables d’anticiper les conflits avant qu’ils ne surviennent ? Ou ont-ils eu simplement la chance de bien s’entendre ? » [12]

Comment savoir, en effet, si un candidat n’a pas en quelque sorte pâti d’une contre-performance du groupe dans lequel il est tombé ? S’il n’aurait pas été « meilleur » ou démontré telle compétence au sein d’un autre groupe ?

Ne répond pas à la première attente des candidats !

Enfin, un des objectifs recherchés par les organisations est de « déstresser » les candidats, de casser le côté formel et rigide des entretiens classiques afin de mettre les candidats à l’aise et dans les meilleures conditions possibles en les faisant participer à des activités fun et ludiques.

Mais le but est-il vraiment atteint ? Eh bien non… Comme évoqué avec le baromètre de Yaggo sur l’expérience candidat, nombreux sont les candidats à être découragés par le fait de devoir jouer un jeu lors d’un processus de recrutement et nombreux sont ceux qui vont passer leur chemin et ne pas candidater.

D’autres vont se prêter aux jeux et activités proposées mais pas forcément de bon cœur ce qui ne va pas avoir un impact très positif sur leur niveau de stress. Cela est tout particulièrement le cas avec des candidats chômeurs qui peuvent davantage se sentir contraints d’accepter une méthode originale si elle est proposée par Pôle Emploi.

Enfin, il a méprise, selon moi, à rechercher, coûte que coûte, une méthode originale pour plaire aux candidats. Il y a méprise dans le sens où les candidats, contrairement à une idée largement répandue, ne recherchent pas, avant toutes choses, de la bienveillance, un recruteur sympathique et une expérience cool. Ce qu’ils souhaitent par-dessus tout c’est un processus de recrutement qui leur semble équitable à savoir le plus juste, objectif et aligné avec le poste à pourvoir.

Tania Ocana, a d’ailleurs écrit une thèse sur ce sujet [13] et parmi les 12 leviers d’action qu’elle recommande pour un processus de recrutement plus équitable et juste, on va retrouver l’utilisation de méthodes valides et reliées au poste et le fait de s’efforcer de réduire au maximum les biais, préjugés et stéréotypes.

Dans ce cas précis, ces méthodes sont loin d’être valides et véritablement reliées au poste et sont truffées de biais à gogo ! Bref, avec ces manières de procéder, les organisations réussissent la prouesse de passer, à la fois, à côté de l’objectif premier de tout processus de recrutement - à savoir évaluer avec pertinence l’adéquation entre un poste et un candidat - et de passer à côté de la première attente des candidats à savoir proposer un processus équitable et juste 👏👏 !

Conclusion

Face aux tensions sur le marché du travail, les organisations redoublent d’inventivité afin de se démarquer, d’accroître leur attractivité et de recruter plus aisément. Elles sont ainsi de plus en plus nombreuses à élargir leur panoplie de méthodes de recrutement en misant sur la « gamification» et le « recrutainment ».

Si cela part généralement d’une bonne intention, je ne valide globalement pas, vous l’aurez compris, ces méthodes et regrette que la volonté de se démarquer à tout prix s’apparente de plus en plus à un concours Lépine des idées les plus décalées sans prise en compte des réels impacts sur l’expérience candidat et surtout sur la validité de l’évaluation des compétences.

Il est primordial, pour tout recruteur et plus largement pour toute partie prenante du recrutement, de garder à l’esprit ce que dit et impose le Code du travail à l’activité recrutement à savoir que :

  • « Les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier sa capacité à occuper l'emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. » Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l'emploi proposé ou avec l'évaluation des aptitudes professionnelles.
  • « Les méthodes et techniques d’aide au recrutement ou d’évaluation des candidats doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».  [14]

Et c’est là que le bât blesse… Ces méthodes innovantes ne permettent pas, pour la plupart d’entre elles, d’évaluer de manière fiable, objective et reproductible les compétences des candidats (candidats dans l’affichage, critères d’évaluation flous, situations artificielles, biais à gogo…). Elles peuvent, de plus, générer un fort sentiment d’infantilisation auprès des candidats qui n’apprécient pas de devoir se plier à un « job lanta » pour décrocher un poste.

Aussi, pour finir sur une note positive, si on essayait tous, collectivement, de garder la pertinence de l’évaluation ainsi que la qualité de l’expérience candidat prodiguée comme véritables boussoles de notre activité 🧭 ? I have a dream…

Références

[1] Enquête Besoins en Main-d’œuvre 2023 de Pôle Emploi | https://statistiques.pole-emploi.org/bmo

[2] Article «  Pôle Emploi organise des recrutements inspirés de The Voice : un dispositif « humiliant » pour les chômeurs »  | https://www.streetpress.com/sujet/1539770984-pole-emploi-the-voice-humiliant

[3] Ludovic Favray : "The Job prouve que le recrutement à l’aveugle fonctionne" - Le Journal des Entreprises - Morbihan

[4] Article Seine-et-Marne : cette entreprise propose une activité insolite pour recruter ses salariés Seine-et-Marne : cette entreprise propose une activité insolite pour recruter ses salariés  | La République de Seine et Marne (actu.fr)

[5] Article Ouest France du 15 mars 2023 : « Ils ont testé le recrutement sur un tatami : « On est moins stressés que dans un bureau » »| Ils ont testé le recrutement sur un tatami : « On est moins stressés que dans un bureau » - Edition du soir Ouest-France - 15/03/2023

[6] Du stade vers l'emploi |Pôle emploi (pole-emploi.fr)

[7] Article « Recrutement : des entretiens dans le noir pour une meilleure égalité des chances » |Recrutement : des entretiens dans le noir pour une meilleure égalité des chances (francetvinfo.fr)

[8] Article « Job dating chez Pôle emploi : employeurs et chômeurs invités... à danser » - Le Parisien |Job dating chez Pôle emploi : employeurs et chômeurs invités... à danser - Le Parisien

[9] Article « Comment PwC chamboule ses recrutements grâce aux escape games » |Comment PwC chamboule ses recrutements grâce aux escape games - Challenges

[10] Article Ce que vos candidats pensent de vos méthodes de présélection en recrutement ! | https://lnkd.in/ebjaY43S

[11] « Baromètre & tendances de l’expérience candidats en 2022 » par Yaggo et l’IFOP | Étude 2022 : baromètre et tendances de l’expérience candidat (yaggo.co)

[12] S’approprier les nouvelles méthodes de recrutement : tests de personnalité, escape games, serious games, IA - Alexis Akinyemi et Laurène Houtin | DUNOD – LAB RH

[13] Thèse de Tania Ocana,  Les perceptions de justice et de discrimination des candidats face à des questions inappropriées au recrutement | https://theses.hal.science/tel-01743813/

[14] Articles du Code du travail sur le recrutement : Section 2 : Recrutement. (Articles L1221-6 à L1221-9) - Légifrance (legifrance.gouv.fr)

Bonus : Pour aller plus loin sur le sujet de l'évaluation des soft skills

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À propos de l'auteur·e
Marie-Sophie Zambeaux
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Fondatrice @ReThink RH, éditorialiste RH, host du podcast "Histoires de Recruteurs".