Quel est le cadre légal de l’abandon de poste ?

Julie
Quel est le cadre légal de l’abandon de poste ?

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Cadre légal de l’abandon de poste : ce que vous devez retenir 

Le cadre légal de l’abandon de poste a changé. Ne le nions pas, cette polémique a fait le choux gras des médias.

En effet, les critiques des praticiens du droit n’ont cessé de fuser… En vain. Désormais, le nouvel article L1237-1-1 du code du travail, enrichi du décret du 17 avril 2023 sur la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié, prouve qu’il n’y aura guère de retour en arrière.

Pour comprendre les enjeux de la nouvelle réglementation de la désertion de poste, revenons tout d’abord à l’essentiel. Qu’est-ce qu’un abandon de poste ? En quoi les dispositions de ce projet sont-elles contestables ? Enfilez votre casque, concentration maximale… et c’est parti !

Quelle est la définition légale de l’abandon de poste ?

Pour l’heure, il n’existe pas de définition légale de l’abandon de poste. Autrement dit, le code du travail n’en contient aucune : le législateur n’a pas légiféré à ce sujet. Lorsqu’il est fait état d’un tel vide, c’est la jurisprudence qui prend le relais. Pour ainsi dire, le contentieux relatif à l’abandon de poste s’avère plutôt vaste.

Il ressort des différents jugements et décisions des juges une définition commune, applicable aux situations d’abandon de poste. En effet, il s’agit du cas où le salarié d’une entreprise :

  • quitte précipitamment son poste pendant ses horaires de travail sans autorisation de son employeur ; 
  • s’absente de manière prolongée ou répétée sans justifier ses manquements auprès du service RH.

Quelle est la différence entre l’abandon de poste et la prise d’acte de rupture du contrat de travail du salarié ?

Soyez vigilant. Les similitudes entre l’abandon de poste et la prise d’acte peuvent prêter à confusion. Alors, tâchons de faire le point. 

La prise d’acte de rupture du contrat de travail est une procédure différente de celle de l’abandon de poste. En effet, celle-ci engendre une cessation immédiate du contrat de travail, sans obligation d’en informer l’employeur, en raison de faits suffisamment graves qui lui sont reprochés.

Par exemple, il pourrait très bien s’agir de harcèlement moral, de discrimination ou, encore, de non-paiement des salaires. Une fois la prise d’acte réalisée, le salarié saisit la justice prud’homale. Ainsi, c’est au salarié de prendre l’initiative de l’action, non à l’employeur comme dans le cas d’un abandon de poste. 

Pour rappel, la désertion de poste du salarié s’achève généralement sur un licenciement pour faute. Dans cette hypothèse, le contrat de travail du collaborateur se poursuit jusqu’à ce que l’employeur décide d’agir en conséquence.

Mon conseil ? Attelez-vous à intégrer et garder les pépites que vous avez trouvées !

Quelles sont les situations qui ne sont pas considérées comme une désertion de poste ?

Comprenez-le, le cadre légal de l’abandon de poste fait l’objet d’une réglementation particulière. Ainsi, toutes les absences injustifiées ne sont pas constitutives d’une désertion. De même, il existe des cas admis par la loi.

La maladie et l’accident

Dans son chapitre VI, le code du travail prévoit la réglementation applicable en cas d’absence pour maladie ou accident. Par ailleurs, son article L1226-1 précise que l’arrêt maladie est accessible à tous les salariés, à condition :

  • d’avoir transmis le justificatif fourni par le médecin dans les 48 heures, sauf exception (art. L169-1 du code de la sécurité sociale) ; 
  • de bénéficier d’une prise en charge par la sécurité sociale ; 
  • de faire l’objet de soins en France, dans un État membre de la communauté européenne ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace Économique Européenne (EEE).

S’ils respectent les 3 conditions susmentionnées, la maladie et l’accident constituent deux cas d’absence légaux.

Le droit de retrait 

Deuxième cas d’absence justifiée, le droit de retrait. Mais de quoi s’agit-il exactement ? 

Lorsqu’une situation professionnelle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, le salarié est légalement autorisé à : 

  • quitter son poste de travail avec ou sans l’accord de son employeur ; 
  • refuser de s’installer à son poste de travail.

Les situations où le droit de retrait peut être invoqué sont multiples. En voici quelques exemples : 

  • l’absence de protection individuelle ou collective pour le ou les salariés ; 
  • le risque d’agression physique ; 
  • l’utilisation d’un équipement de travail non conforme aux normes de sécurité. 

L’interruption des activités du salarié dure jusqu’à ce que l’employeur ait mis en œuvre les mesures de prévention adéquates. Pour en savoir plus, les conditions d’exercice du droit de retrait sont prescrites aux articles L4132-1 à L4132-5 du code du travail.

Le droit de grève

Au regard des articles 1132-1 à 1132-4 du code du travail, le droit de grève constitue une absence autorisée. Néanmoins, le salarié gréviste doit en respecter les conditions d’exercice. 

De même, il ne doit pas participer à un mouvement considéré comme illicite. Dans cette situation, il encourt une sanction disciplinaire. Prenons le cas de la grève de solidarité. Cette dernière ne se fonde pas sur des revendications professionnelles. Ainsi, elle n’est pas reconnue comme faisant partie du droit de grève. Si ce dernier n’est pas réalisé dans les conditions prescrites par la loi, son illicéité peut mener à une situation d’abandon de poste. 

L’arrêt du 6 avril 2022 illustre parfaitement cette affirmation. En l’espèce, trois salariés d’une entreprise contestent le licenciement de l’un de leurs collègues. Ainsi, ils font connaître leur décision à l’employeur d’interrompre leur activité professionnelle en invoquant le droit à la grève. Cependant, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé au motif que la cessation du travail ne s’inscrit guère dans l’exercice du droit de grève.

Le décès d’un proche 

Enfin, tout salarié est légitime à demander un congé pour décès d’un proche

La convention collective ou, encore, l’accord de branche doit en préciser les modalités. À défaut, le collaborateur de l’entreprise a droit à un nombre minimal de jours d’absence en fonction du statut de la personne décédée. 

Ce dernier doit remettre, à titre de pièce justificative, le certificat de décès à son employeur.

En quoi le nouveau cadre légal de l’abandon de poste est-il contestable ?

Ces derniers temps, l’abandon de poste est sur toutes les lèvres. Et pour cause ! On ne peut pas le nier, le nouvel article L1237-1-1 du code du travail et le décret du 17 avril 2023 s’avèrent critiquables, à bien des égards.

L’assimilation de l’abandon de poste à la démission 

Voilà la plus grande aberration de cette nouveauté législative ! Pour faire simple, l’adoption de l’article L1237-1-1 du code du travail revient tout simplement à bafouer l’un des principes fondamentaux du droit social. Reprenons les dispositions du texte légal :

« Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure à cette fin, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, est présumé démissionnaire. »

L’expression « présumé démissionnaire » signifie qu’il existe désormais une présomption simple de démission. Le problème ? Eh bien, la démission ne se présume pas. Au contraire, celle-ci doit résulter d’une volontaire claire et non équivoque, ce qui n’est pas le cas de l’abandon de poste.

Pour ainsi dire, cette présomption entre en totale contradiction avec l’essence même de la démission.

L’inéligibilité aux allocations Pôle Emploi

D’un point de vue moral, il est tendancieux d’écarter les salariés licenciés pour abandon de poste de l’accès aux allocations chômage. 

En effet, sur son site web, Pôle Emploi rappelle que le licenciement d’un salarié en CDI constitue « une privation involontaire d’emploi, peu importe le motif ». C’est pourquoi les collaborateurs ayant abandonné leur poste ont toujours eu droit aux allocations chômage.

La présomption de démission met fin à cette possibilité. Autrement dit, le salarié en désertion de poste est assimilé à la démission. Sous conditions strictes, il lui est possible de percevoir les aides de Pôle Emploi (ARE), après être passé devant une commission paritaire interprofessionnelle régionale.

L’inéligibilité directe du salarié ayant abandonné son poste pose toutefois un problème d’égalité. Le texte peut être interprété comme une hiérarchisation des motifs de départ de l’entreprise. En somme, l’abandon de poste serait ainsi d’une gravité plus importante que le licenciement pour faute lourde, c’est-à-dire avec intention de nuire à l’employeur.

À méditer…

La contestation de l’abandon de poste 

L’article L1237-1-1 du code du travail prévoit la possibilité pour le salarié de contester l’abandon de poste. Le délai du rendu de la décision est fixé à un mois, à compter de la date de la saisine de la justice prud’homale.

De toute évidence, cela semble un peu idyllique. Il paraît improbable que les juges puissent statuer au fond aussi rapidement. Ce délai ne tient pas compte des éventuels renvois successifs de l’affaire. Ainsi, il sera difficile pour le salarié d’effectuer une demande d’ARE avant plusieurs mois.

L’idée d’une contestation de l’abandon de poste est rassurante. Toutefois, en pratique, elle risque de ne pas aboutir à l’effet escompté. Pour ainsi dire, le délai annoncé par l’article L1237-1-1 du code du travail apparaît, pour le moins, optimiste.

Le risque de stigmatisation du salarié licencié pour abandon de poste

La prise d’une telle mesure suscite de nombreux questionnements. Faut-il pointer du doigt les salariés qui abandonnent leur poste ? Car, oui, c’est ce qu’il risque de se passer ! 

En règle générale, les salariés ne quittent pas précipitamment leur poste de gaieté de cœur. Cette décision peut notamment résulter : 

  • d’une situation de harcèlement sexuel ;
  • de la dégradation des conditions de travail du salarié ;
  • de préjugés dont le collaborateur est victime ;
  • d’un compromis entre l’employeur et le salarié sortant pour qu’il puisse toucher les indemnités chômage.

Finalement, ce projet de loi n’a-t-il pas pour conséquence de négliger la souffrance au travail ?

Le décret sur la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d’abandon de poste, entré en vigueur le 17 avril 2023, engendre ainsi un durcissement des conditions de départ des collaborateurs de l’entreprise.

Par ailleurs, cette orientation semble être confortée par une disposition issue de la réforme des retraites. À partir du 1er septembre 2023, l’indemnité de rupture conventionnelle, lorsqu’elle concerne un salarié qui n’est pas en droit de bénéficier d’une pension de retraite, coûtera plus cher aux employeurs. Bien entendu, cela risque d’impacter les départs volontaires de l’entreprise. En effet, le forfait social de 20 %, c’est-à-dire la contribution patronale due sur la fraction d’indemnité exonérées de cotisations, augmentera de 10 %.

Avec l’entrée en vigueur du décret sur l’abandon de poste, nous allons observer la ou les tendances qui vont se dégager. Augmentation accrue des arrêts-maladies ? Quelle incidence sur le bien-être au travail et, plus particulièrement, sur la santé mentale des talents, cœur et moteur de notre économie ?

Comme vous l’avez constaté, de nombreuses interrogations subsistent.  Du côté de l’employeur, il est légitime de se demander s’il entendra réellement se prévaloir de ce nouveau mécanisme. La présomption de démission n’aura-t-elle pas pour effet d’accroître la saisine de la justice prud’hommale ? Quoi qu’on en dise, la plupart des entreprises n’ont pas envie de se retrouver avec une succession de procès sur les bras…

Comme bon nombre de décrets avant lui, celui du 17 avril 2023 manque cruellement de clarté. Ainsi, les premières décisions de justice sont attendues de pied ferme, puisqu’elle fixeront le cadre légal de l’abandon de poste.

À présent, il ne nous reste plus qu’à patienter !

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À propos de l'auteur·e
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Juriste en Droit des Affaires et Content Manager Freelance. Lorsque je ne suis pas occupée à dévorer un roman ou à faire du canicross, j’écris des articles de blog sur l'univers RH (et le droit !)