Directive sur la transparence des rémunérations : ce que vous devez savoir
Malgré diverses initiatives, l'écart de rémunération entre les sexes ne cesse d’interpeller. Est-il acceptable, en 2024, que de telles disparités subsistent dans un marché aussi intégré que celui de l'Union européenne ?
Apparemment non.
Les institutions européennes ont pris le problème à bras le corps et ont adopté, le 10 mai 2023, une directive sur la transparence des rémunérations.
Celle-ci vise à renforcer l'application du principe d'égalité des salaires par une stratégie audacieuse et sans précédent : la transparence totale des salaires.
Ce nouveau cadre réglementaire a vocation à marquer une révolution dans la gestion des ressources humaines et dans la lutte contre les discriminations salariales.
Les avantages escomptés sont considérables : amélioration de la compétitivité des entreprises, harmonisation des pratiques au sein du marché unique et surtout, une justice sociale renforcée pour des millions de travailleurs.
À l'aube de son application effective en juin 2026, les États membres sont-ils prêts à relever ce défi ?
Le contexte et les objectifs de la directive sur la transparence des rémunérations
Le contexte historique
La question de l'égalité salariale n'est pas nouvelle sur l'échiquier européen. Historiquement, l'Union européenne a toujours prôné l'égalité entre ses citoyens mais les résultats, notamment en matière salariale, ont varié d'un État membre à un autre. Dès 2006, la directive 2006/54/CE avait posé les jalons du combat contre la discrimination salariale. Toutefois, malgré les efforts et les réglementations, l'écart moyen de rémunération entre hommes et femmes demeurait de 13 % en 2020. Une stagnation qui a sonné l'alarme.
L'initiative de la nouvelle directive a débuté par une proposition audacieuse, le 4 mars 2021. Le processus législatif a été le théâtre de débats intenses et constructifs qui ont donné naissance à un accord entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne le 15 décembre 2022.
Pourquoi cette hâte peu commune ? La rapidité d'action entre la présentation initiale de la mesure et l’accord du Parlement européen témoigne de l'urgence et de la gravité de la situation.
Nous en avions d’ailleurs parlé ici sur le blog 👇
Les objectifs principaux de la directive
L’objectif principal de la directive 2023/970 est simple mais ambitieux : garantir que les femmes et les hommes soient payés équitablement pour un travail de valeur égale, sans que le sexe ne soit un critère de différenciation. Pour cela :
- elle promeut la transparence des rémunérations : en rendant les données salariales accessibles, la directive permet aux travailleurs de détecter et de contester toute forme de discrimination.
- elle renforce les mécanismes d'application des principes d'égalité : la directive prévoit des moyens concrets pour que les règles soient respectées, des sanctions pour les contrevenants et des mécanismes de soutien pour les entreprises qui cherchent à se conformer à la loi nouvelle.
La nouvelle directive ne cherche pas uniquement à modifier les pratiques, elle aspire à transformer une norme culturelle profondément ancrée. Elle reconnaît que l'égalité des rémunérations n'est pas seulement une affaire de justice individuelle mais l’un des piliers d’une société plus équitable et plus compétitive.
Les mesures de la directive sur la transparence des rémunérations
L’obligation de transparence des rémunérations
La transparence des rémunérations est un principe basique : lorsque tout est mis en lumière, il devient difficile de dissimuler les inégalités.
Elle implique que les employeurs fournissent des informations claires, compréhensibles et accessibles sur les structures de rémunération au sein de l'entreprise. Cela concerne non seulement les salaires de base mais aussi les bonus, les avantages en nature et tout autre élément composant la rémunération.
- Avant l'embauche : dès l’annonce de l’offre d’emploi, les employeurs doivent préciser le niveau de rémunération initiale ou la fourchette salariale prévue pour le poste. Cela permet aux candidats de connaître précisément les conditions avant d’entrer dans le processus de recrutement mais également de mener des négociations plus équitables et transparentes.
- Après l'embauche : une fois embauchés, les travailleurs doivent avoir accès à un rapport détaillé sur leur rémunération et celle de leurs collègues dans des postes comparables. Leur employeur doit leur fournir des informations sur les éventuels écarts de rémunération par catégories de travailleurs et leur indiquer la proportion de travailleurs féminins et masculins dans chaque catégorie. La directive prohibe par ailleurs toute clause contractuelle interdisant aux salariés de divulguer leur rémunération.
📌 Bon à savoir : Les États-membres peuvent exempter les entreprises de moins de 50 salariés de l’obligation d’information concernant la rémunération, les niveaux de rémunération et la progression de la rémunération des travailleurs de l’entreprise
Les structures de rémunération garantissant l'égalité entre hommes et femmes
La directive ne se contente pas de mettre en place le principe de transparence ; elle suppose que les structures salariales elles-mêmes soient justes et équitables.
Tous les employeurs de l'Union européenne doivent ainsi adopter des structures de rémunération non discriminatoires. Cela signifie que les critères utilisés pour déterminer les salaires doivent être objectifs, basés sur des compétences, des responsabilités et des efforts. Ils ne doivent pas être fonction du sexe du travailleur.
Les salariés pourront solliciter des informations sur ces critères et les employeurs auront deux mois, à compter de cette demande, pour les communiquer.
📌 Bon à savoir : Les employeurs sont encouragés à utiliser des outils d'analyse et des méthodes pour évaluer et comparer la valeur du travail de manière équitable. Ces outils doivent être conçus pour éliminer toute discrimination potentielle, ce qui permet une évaluation juste de chaque poste, indépendamment du genre de la personne qui l'occupe. Des lignes directrices spécifiques seront fournies par les États membres pour aider les employeurs à mettre en œuvre ces systèmes d'évaluation.
Les mécanismes d'application et de contrôle
La directive sur la transparence des rémunérations ne se contente pas d’énoncer des principes. Elle met également en place des mécanismes pour s'assurer qu’ils deviennent des pratiques effectives.
Application de la directive
Les États membres sont chargés de transposer les directives en droit national afin d’adapter le cadre européen à leurs propres situations juridiques et économiques.
Les partenaires sociaux tels que les syndicats et les associations d'employeurs sont invités à participer activement à la discussion sur les modalités d'application de la directive.
En outre, chaque État membre doit désigner ou créer un organisme pour l'égalité de traitement chargé de surveiller la mise en œuvre de la directive. Ces organismes sont dotés de pouvoirs étendus pour :
- auditer les entreprises ;
- enquêter sur les plaintes ;
- s'assurer que les droits des travailleurs sont respectés.
Les mesures indemnitaires et correctives
La directive prévoit des mesures en cas de violation des obligations qu'elle édicte.
Selon son article 16, tout travailleur qui subit une discrimination salariale a le droit de réclamer et d'obtenir une indemnisation. Cette indemnisation doit être intégrale, proportionnelle au préjudice subi et suffisamment dissuasive pour prévenir d'autres infractions.
Elle comprend le paiement rétroactif des différences de salaire, des compensations pour les opportunités de carrière manquées et peut inclure des dommages et intérêts pour préjudice moral.
En cas de litige, il revient à l’employeur de prouver que la rémunération n’est pas fondée sur des critères discriminatoires.
Les États membres doivent par ailleurs mettre en place des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives en cas de non-respect des règles établies par la directive. Ces sanctions peuvent être des amendes calculées en fonction de la gravité et de la persistance des infractions. Ces mesures correctives visent non seulement à punir mais également à promouvoir une culture de conformité et de respect des principes d'équité.
Les conséquences de la directive sur le droit français
Alors que la directive s'apprête à redéfinir les normes de transparence et d'équité salariale à travers l'Europe, l'impact sur le droit français s’annonce considérable. L'adaptation à cette nouvelle réglementation européenne exige en effet une révision profonde des pratiques et des lois françaises actuelles.
Les adaptations nécessaires en droit français
Les États membres disposent de trois ans pour transposer la directive dans leur droit interne. En France, les mesures seront applicables dès le 7 juin 2026.
Ces dernières années, diverses mesures avaient déjà été prises pour réduire et lutter contre les inégalités hommes / femmes :
- la loi « Avenir Professionnel » du 5 septembre 2018 a imposé aux entreprises d’au moins 50 salariés de calculer et de publier chaque année, avant le 1er mars, un index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
- la loi dite « Rixain » du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle a créé, pour les entreprises d’au moins 1.000 salariés, une obligation de calcul et de publication des écarts de représentation entre les cadres dirigeants, femmes et hommes.
Les obligations prévues par la directive viennent finalement en prolongation de ces mesures déjà initiées par la France qui devra intégrer les principes de transparence et d'équité salariale dans le Code du travail.
Cela impliquera probablement la création de nouvelles obligations pour les employeurs notamment en matière de divulgation des politiques salariales et de documentation des évaluations des postes de travail.
La législation devra également renforcer les mécanismes de contrôle et de sanction en cas de non-respect des normes établies, assurant ainsi que les principes de la directive sont appliqués efficacement.
📌 Bon à savoir : La France pourra apporter un soutien, sous forme d’assistance technique et/ou de formation, aux employeurs dont les effectifs sont inférieurs à 250 travailleurs, afin de les aider à respecter les obligations issues de la directive.
Les perspectives et réflexions critiques suscitées par la directive
La mise en application des dispositions de la directive sur la transparence des rémunérations est de nature à générer une charge administrative supplémentaire pour les entreprises, en particulier les PME qui pourraient trouver contraignant de se conformer aux exigences de reporting et d'évaluation (obligatoire pour les entreprises de plus de 100 salariés).
📌 Bon à savoir :
- Les exigences de reporting concernent les entreprises de plus de 100 salariés.
- Les États-membres pourront choisir d’imposer (ou non) la rédaction d’un rapport aux entreprises de moins 100 travailleurs.
- L’employeur, dont l’effectif est supérieur à 100 salariés, doit constituer un rapport triennal.
👉 Pour les entreprises entre 100 et 149 salariés, le premier rapport devra être réalisé dans un délai maximal de 8 ans à compter de l’entrée en vigueur de la directive.
👉 Pour les entreprises entre 150 et 249 salariés, le premier rapport devra être réalisé dans un délai maximal de 4 ans à compter de l’entrée en vigueur de la directive.
- L’entreprise doit constituer un rapport annuel, si l’entreprise comprend plus de 250 travailleurs. Le premier rapport devra être établi dans un délai maximum de 4 ans à compter de l’entrée en vigueur de la directive.
Toutefois, à long terme, des résultats prometteurs semblent attendus. La directive devrait améliorer significativement l'égalité salariale en France. En effet, en rendant les structures de rémunération plus transparentes et en établissant des critères clairs pour l'évaluation des postes, les écarts injustifiés de rémunération devraient se réduire.
Cette évolution vers plus d'équité pourrait également avoir des répercussions positives sur la culture d'entreprise et l'image internationale des entreprises françaises.
Alors que la date d'application de la directive sur la transparence des rémunérations approche, les États membres, y compris la France, se préparent à une transformation majeure dans leur gestion de l'égalité salariale.
Cette législation ne se limite pas à une simple formalité administrative ; elle incarne un engagement renouvelé envers l'égalité des sexes et la justice sociale au sein de l'Union européenne.
Par ses mesures audacieuses en faveur de la transparence et de l'équité des rémunérations, la directive promet de corriger des déséquilibres de longue date et de poser les fondements d'un marché du travail plus juste et plus inclusif. Les prochaines années seront déterminantes et permettront d’observer la transformation des principes en pratiques concrètes.
La mise en œuvre réussie de la directive sur la transparence des rémunérations pourrait bien être l'un des legs les plus significatifs de notre génération à la suivante, un pas de plus vers une Europe où l'égalité des rémunérations pour un travail de même valeur ne serait plus un idéal mais une réalité.