Ce que les jeunes attendent du monde du travail (et du recrutement)

Oriane Santhasouk
Ce que les jeunes attendent du monde du travail (et du recrutement)

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Tout a commencé lors d’une soirée entre recruteurs à Strasbourg.

On échangeait avec Thomas Rodrigues, créateur TikTok qui parle d’insertion professionnelle à sa communauté, quand une question a surgi autour de la table :

“Est-ce qu’on devrait aller sur TikTok pour parler aux jeunes ?”

Et plus largement : comment mieux recruter cette génération qu’on dit insaisissable ?

Cette discussion m’a poussée à creuser le sujet.

Et sur les conseils de Silvia, j’ai lu Sois jeune et tais-toi de Salomé Saqué.

Un livre ultra percutant, qui remet les pendules à l’heure sur ce que vivent les jeunes face au monde du travail.

On est dans le concret : précarité, désillusion, exigences implicites, quête de cohérence.

Cet article croise donc ma pratique de recruteuse avec les apports du livre.

L’objectif : sortir des stéréotypes, comprendre ce qui se joue vraiment, et proposer des pistes utiles — à la fois pour mieux recruter… et mieux travailler ensemble.

Dépasser les idées reçues sur le recrutement des jeunes

Quand on parle de la "génération Z", les clichés fusent. Dans les médias, sur LinkedIn, dans les conversations entre RH / recruteurs… mais aussi dans les briefs de managers.

"Ils ne veulent plus bosser",
"Ils sont ingérables",
"Ils veulent tout, tout de suite",
"Ils ne tiennent pas en place"...

Ces idées reçues, je les entendais régulièrement en brief avec les opérationnels.

Parmi tout ce que j’ai pu entendre en recrutement, deux remarques m’ont particulièrement marquées :

"On cherche un jeune… mais pas trop révolutionnaire hein, sinon on va se retrouver avec un militant qui veut changer toute l’entreprise en deux semaines."

Et aussi celle-là, tout aussi révélatrice :

"Moi je préfère un jeune en alternance qui sait qu’il est là pour apprendre."

Sous-entendu : "qui ne ramène pas trop sa fraise", parce que "les juniors maintenant, ils veulent déjà manager, au bout de six mois."

Et derrière ces remarques, ce qui revient très souvent, ce sont des phrases comme :

"Moi à mon époque, on était déjà contents d’avoir un CDI."
"On savait qu’il fallait bosser dur sans rien demander."
"Il faut faire ses preuves avant de parler perspectives."
"Au début, on ne compte pas ses heures."

Ce qu’on oublie souvent de dire, c’est qu’à cette époque où il fallait subir pour réussir, les CDI étaient plus accessibles, le logement moins cher. On ne parlait pas de burn-out, ni de charge mentale, ni de santé mentale au travail.

Aujourd’hui, ces attentes implicites – faire ses preuves sans poser de questions, accepter des jobs au périmètre flou, s’investir sans reconnaissance –, elles ne passent plus.

Mais … peut-être qu’elles n’auraient jamais dû passer.

Les jeunes veulent travailler… dans des conditions acceptables

Bien sur que les jeunes veulent travailler, apprendre, et s’engager. Mais pas à n’importe quel prix. Et surtout : pas dans un contexte de précarité permanente.

Ce qu’ils recherchent d’abord, ce n’est pas une "mission qui a du sens", c’est un contrat stable, un salaire décent pour vivre, une organisation de travail claire.

Oui, certains profils très diplômés peuvent se permettre de refuser une offre trop éloignée de leurs valeurs. Mais beaucoup cherchent d’abord à sortir de la galère : les loyers trop chers, les alternances très mal payées, les charges qui augmentent tous les ans - voire tous les mois.

J’ai échangé avec un jeune développeur, fraîchement diplômé, qui avait accepté un poste peu motivant mais bien rémunéré, car il voulait rembourser le prêt étudiant de son école privée au plus vite. À côté, sa coloc, diplômée d’un master en communication, enchaînait les missions d’intérim.

"Ils veulent le dessert avant d’avoir mangé les légumes.”

Le reproche de "vouloir tout, tout de suite" revient souvent. Contrairement aux vieux qui “savaient rester à leur place, eux.” Mais la réalité est plus fine :

Les jeunes ne veulent pas perdre leur temps.

En 2025, l’avenir est incertain, les carrières linéaires des leurs parents ou grands-parents ne sont plus garanties. Ils posent donc très vite des questions que d’autres générations n’auraient jamais osé poser en entretien :

  • Je vais être formé·e ou je dois tout apprendre sur le tas ?
  • C’est quoi les critères pour évoluer ?
  • Vous avez une politique de télétravail claire ou c’est au bon vouloir du manager ?

Ce n’est pas de l’insolence. C’est de la lucidité.

Les jeunes ont toujours été le problème des vieux

Si les clichés sur la jeunesse sont si tenaces, c’est peut-être parce qu’ils ne datent pas d’hier…

En réalité, ils sont aussi vieux que la jeunesse elle-même.

Depuis toujours, on reproche aux jeunes d’être insolents, égoïstes, rêveurs, trop exigeants.

Bref, une génération d’inconscients qui redécouvrent la roue tous les 20 ans… et qui veulent l’automatiser en plus.

Et ce discours-là, on le retrouve à chaque époque :

  • Chez les philosophes de l’Antiquité : Socrate aurait déjà soupiré que “les jeunes ne respectent plus les anciens”.
  • Au Moyen-Orient, il y a plus de 3000 ans, un prêtre égyptien s’alarmait : “les enfants n’écoutent plus leurs parents… la fin du monde ne peut pas être loin.”
  • Dans les années 70, les baby-boomers jetaient des pavés en Mai 68, devenaient hippies, et se faisaient surnommer “la génération moi-je”.
  • Dans les années 90, la génération X était qualifiée de “feignasse” ou “pleurnicharde”, accusée de ne pas vouloir grand-chose… sauf du confort.

Et aujourd’hui ? On ressort les mêmes critiques — avec juste un filtre Instagram en plus.

Ce rejet récurrent, ce n’est pas une coïncidence. Il dit probablement quelque chose d’un peu plus profond :

  • une peur du changement, parce que ce qu’on ne maîtrise pas fait toujours un peu peur ?,
  • une incompréhension des nouveaux codes - oui, les jeunes ne communiquent pas comme en 1998,
  • et, peut-être même … un soupçon de jalousie face à une liberté qu’on n’a pas osé prendre à son époque - ou qu’on ne s’est même pas autorisée à imaginer ?

Et dans le recrutement, ces réflexes ont la vie dure.

Les biais anti-jeunes dans le recrutement

  • "Trop jeune pour ces responsabilités."
  • "Pas assez expérimenté pour manager."
  • "Il sort de chez papa-maman, il ne connait pas encore la vie."

Ces phrases ne sont pas toujours malveillantes, ni conscientes. Mais elles traduisent une forme de méfiance automatique, comme si la jeunesse devait encore “prouver qu’elle mérite d’être là”.

Mais… il faut forcément en baver pour être légitime ?

On a oublié qu’on on peut très bien faire grandir quelqu’un sans passer par la case bizutage ?

Les fausses bonnes idées pour recruter

Revenons en au recrutement !

Face aux tensions générationnelles, certaines entreprises sortent leur starter pack GenZ : baby-foot, canapés design, salle de sieste, playlist collaborative… et bien sûr, la vidéo TikTok un peu cringe sur la “culture d’entreprise”.

Mais sans cadre de travail clair (en vrai), reconnaissance (y compris financière), ni perspectives concrètes, tout ça, c’est du vent.

On connaît tous une boîte qui brille sur les réseaux : bureaux stylés, slogans engagés / engageants, reels inspirants. Mais une fois à l’intérieur… c’est nettement moins sexy.

Pas d’onboarding structuré, pas de feedback, un management aux abonnés absents.

On est à deux témoignages près d’un post sur Balance ta start-up.

Ce que veulent vraiment les jeunes

Spoiler : ce n’est ni un baby-foot, ni une promesse vague de "fun au boulot".

Les jeunes générations ne rejettent pas le travail, elles veulent juste qu’il soit vivable, respectueux, et aligné avec la réalité du monde de 2025.

La sécurité d’abord : sortir de la précarité

On fantasme souvent la génération “en quête de sens”, prête à tout sacrifier pour un job à impact.

Mais la réalité ? Ce que beaucoup cherchent d’abord, c’est un job qui leur permet de vivre. Point.

  • Un salaire décent (basé sur les compétences, pas sur l’âge ou le statut).
  • Un contrat stable (ou au minimum, des perspectives claires).
  • Un vrai équilibre pro/perso (les mails le samedi soir, non merci).

Et non, cette recherche de stabilité n’a rien d’un caprice.

C’est juste un réflexe de survie, dans la vraie vie — celle où les loyers explosent, les études coûtent une fortune, et où le marché du travail ne fait pas de cadeaux aux jeunes diplômé·es.

Une jeune diplômée en Comm et Marketing m’a confié récemment :

"J’ai deux masters et un CDD de 4 mois à 1600€. Je ne cherche pas un job à impact, je cherche à pouvoir payer mon loyer sans demander à mes parents."

De la cohérence - pas de la perfection

Non, les jeunes ne cherchent pas une entreprise modèle.

Tout le monde ne rêve pas de travailler dans une B-Corp éthique et zéro déchet — et c’est ok.

Ce qu’ils veulent, c’est de la cohérence : un alignement entre le discours et la réalité.

  • Une entreprise qui parle diversité… mais qui aligne uniquement des blancs, même écoles, même milieux ?
  • Une boîte qui prône l’équilibre vie pro/perso… mais où si tu rates les afterworks, tu passes à côté des vraies infos ?
  • Une entreprise qui se dit “green”… mais utilise encore des gobelets jetables à la machine à café et met la clim à 18°C tout l’été ?

Pas besoin de vendre du rêve.

Juste aligner les paroles et les actes.

Et ils n’ont aucun mal à poser les vraies questions en entretien. Donc autant avoir des réponses sincères.

Ce que ça nous apprend - et pas seulement sur les jeunes

Ces attentes ne sont pas nouvelles.

Elles sont simplement exprimées plus fort par une génération qui n’a plus le luxe de se taire.

Les jeunes ne sont pas exigeants, ils sont honnêtes.

Et si leur lucidité nous aidait à remettre les bons sujets sur la table ?

Recruter des jeunes (et des moins jeunes) : les bonnes pratiques

On se demande souvent : "Comment on recrute bien les jeunes ?".

Ma réponse : "Comme on recrute bien tout le monde."

La tentation est forte de chercher des recettes spéciales pour les jeunes : un ton "cool", un format vidéo (courte et verticale, évidemment), une promesse d’impact.

Mais ce que montrent à la fois le terrain et les études, c’est que les meilleures pratiques pour recruter un·e jeune sont celles qui fonctionnent pour tous : structurées, justes, claires, et respectueuses.

1. Un process juste pour toutes et tous

Structurer ses entretiens, c’est déjà créer un cadre plus clair et plus juste.

Même trame et même critères pour tout le monde.

Des questions préparées à l’avance, en lien direct avec les missions et les compétences recherchées.

Une grille d’évaluation partagée, avec des critères définis en amont : compétences, comportements attendus, du concret.

Autrement dit, on sort du feeling, pour évaluer tous les candidats sur les mêmes bases.

Résultat ?

Moins de biais liés à l’âge, au genre ou au “fit culturel” au doigt mouillé.

Le·la candidat·e comprend mieux comment il ou elle est évalué·e.

Et pour les recruteurs ? Une vraie base de comparaison, plus juste et plus solide.

2. Montrer la réalité du poste

Pas la peine d’enjoliver. Les candidat·es — jeunes ou pas — ne veulent pas un discours lisse.

Ils veulent savoir à quoi s’attendre, pour de vrai.

Ce qui change la donne ?

Intégrer dans l’offre une section “la dure réalité du poste”.

Horaires décalés, charge de travail, rythme soutenu, contraintes spécifiques…

Quand c’est écrit noir sur blanc, ça évite les désillusions.

Et les candidat·es qui postulent savent dans quoi ils s’engagent.

En entretien aussi, on peut continuer dans cette logique : décrire une journée type, être transparent sur les attentes, faire témoigner quelqu’un déjà en poste.

Ce n’est pas du storytelling, c’est du respect.

3. Évaluer ce qui compte vraiment

On accorde encore trop de place à “l’expérience” sur le papier : le nombre d’années au compteur, les diplômes, les jolies lignes sur le CV (les “belles boites”).

Mais ce qui compte vraiment, c’est la compétence.

Pas ce que la personne a fait il y a 5 ans, mais comment elle réagit ici et maintenant face à une situation concrète.

Pour ça, rien de mieux que des questions simples et ciblées :

  • Des questions comportementales, du type “Raconte moi une situation où tu as …”
  • → Pour comprendre ses réflexes, ses choix, sa posture.
  • Un cas pratique ou une mise en situation, en lien direct avec les missions du poste
  • → Pour voir ce que la personne fait, pas juste ce qu’elle dit.
  • Un échange ouvert sur sa manière de travailler
  • → Pour vérifier que sa façon d’aborder les choses colle avec l’équipe.

L’objectif, ce n’est pas de trouver le profil “parfait” ou la personne qui a déjà tout fait.

C’est de repérer qui a les compétences clés.

4. Juste… respecter les candidats

Enfin, le mot "humaniser" est devenu de la novlangue de RH.

Alors je vais le dire simplement : il ne s’agit pas d’être sympa ou original.

Il s’agit de respecter les gens.

Concrètement :

  • Ne pas faire durer un process pendant 2 mois sans nouvelle.
  • Donner un retour, même quand c’est non.
  • Être transparent sur les étapes, les délais, les critères.

En résumé : pas besoin d’un recrutement "spécial jeunes". Ce qu’ils attendent, c’est ce que tout le monde attend :

  • un process juste,
  • une relation claire et respectueuse,
  • des échanges transparents et honnêtes,
  • et une réalité en poste qui tient ses promesses.

Et si le vrai sujet, c’était nous ?

Quand on commence à se poser la question : "Comment recruter les jeunes ?",

c’est peut-être le signe qu’on n’en est plus un soi-même.

Et qu’on ne comprend plus très bien ceux qui arrivent après nous.

C’est humain. Mais ce n’est pas une raison pour multiplier les fausses-solutions ou les hypothèses générationnelles.

Et si, au lieu de chercher à tout prix comment parler aux jeunes, on se demandait comment construire une expérience candidat qui respecte tout le monde ?

Un process dans lequel chaque candidat, jeune ou moins jeune :

  • comprend pourquoi il est là,
  • sait comment il sera évalué,
  • se sent écouté,
  • et peut décider librement s’il veut rejoindre l’aventure.

Finalement, rien de révolutionnaire.

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