Souvent perçue comme l’art de manipuler ou de maquiller la réalité, la rhétorique n’a pas toujours bonne presse. Elle évoque pour certains « un savoir effrayant », pour d’autres une discipline désuète, comme le rappelle Clément Viktorovitch dans Le Pouvoir rhétorique : Apprendre à convaincre et à décrypter les discours publié il y a déjà 3 ans en octobre 2021 [1] et dont j’ai choisi de vous parler aujourd’hui.
Pourquoi ? Parce que cet art de convaincre sans manipuler est une compétence clé pour les RH et les managers dans un monde professionnel en constante évolution. Que ce soit en réunion, lors d’un entretien ou pour accompagner un changement, la rhétorique est omniprésente.
Elle permet, selon Clément Viktorovitch, de « présenter notre pensée de la manière la plus pertinente possible » et cela s’apprend ! Alors, comment utiliser cet art pour fédérer les équipes et mener des transformations avec éthique et efficacité ?
C’est ce que je vous propose de découvrir dans cet article ! Allez, c’est parti pour un petit tour d’horizon des meilleures pratiques et des principales erreurs à éviter !
🗣️ La rhétorique, l’art de convaincre sans manipuler
La rhétorique traîne une réputation parfois sombre, vue comme un art de la manipulation ou de l’esquive. Mais Clément Viktorovitch désamorce cette perception : la rhétorique, c’est surtout l’art de rendre les idées accessibles, intelligibles et percutantes tout en restant transparent et honnête. Convaincre ne doit pas être synonyme de manipuler.
Il s’agit d’une discipline de structure et de clarté, où la transparence des intentions joue un rôle central.
📍 Conseils pratiques : Prendre garde à la frontière subtile entre conviction et manipulation.
La distinction entre convaincre et manipuler est une zone grise. Pour rester du bon côté, l’auteur conseille de laisser à l’auditoire la liberté de ne pas adhérer au discours. En pratique, cela signifie d’éviter de jouer sur les peurs ou de dissimuler les faits pour obtenir une adhésion rapide. Les professionnels RH, garants de la confiance au sein de l’organisation, doivent veiller à exposer les avantages et les défis réalistes d’un changement, sans exagération. Après tout, la confiance se gagne en gouttes mais se perd en litres ! Prendre le temps de clarifier les raisons du changement permet de renforcer cette confiance et de prévenir les résistances à long terme.
🏗️ Construire des arguments solides, le secret d’un discours impactant
L’auteur expose quatre types d’arguments pour bâtir un discours convaincant : cadrage, communauté, autorité et analogie. Le cadrage ancre l’argument dans une réalité concrète ; la communauté renforce le discours par des valeurs partagées ; l’autorité apporte crédibilité et expertise ; et l’analogie rend le propos accessible par des comparaisons parlantes. Cependant, la rhétorique n’est pas une simple addition d’arguments : il s’agit de les organiser intelligemment pour qu’ils se renforcent mutuellement créant ainsi un discours à la fois cohérent et percutant.
📍 Conseils pratiques : Utiliser une cartographie des arguments pour structurer le changement. Le secret d’un discours persuasif réside dans la clarté de sa structure. Établir une cartographie des arguments permet de garder un fil conducteur clair et de lier chaque point aux valeurs de l’équipe. Commencez par un cadrage pertinent : par exemple, illustrer comment un changement simplifie des processus lourds. Utilisez ensuite un argument de communauté pour montrer que cette évolution correspond aux valeurs de l’organisation. En appuyant votre discours sur une autorité ou une analogie accessible, vous offrez à votre audience une vision tangible du projet. Comme le rappelle Viktorovitch, « Ce que l’on précise, c’est ce qui ne va pas de soi. Ce que l’on énonce, c’est ce que l’on met en discussion. »
⚡Attention aux « négations néfastes » et à l’impact des mots
Clément Viktorovitch attire notre attention sur un phénomène crucial : le cerveau a du mal à interpréter les formulations négatives, ce qui peut induire l’effet inverse de celui recherché. Dire « ne vous inquiétez pas » suscite souvent l’inquiétude plutôt que de l’apaiser !
En RH et management, éviter ces « négations néfastes » est essentiel pour influencer positivement sans provoquer de résistance involontaire. Privilégier des tournures affirmatives permet de renforcer la clarté et l’impact de votre discours.
📍 Conseils pratiques : Éviter les tournures négatives et adopter un langage positif et direct.
Plutôt que de dire : « Ce changement ne va pas être difficile », optez pour : « Ce changement sera plus simple qu’il n’y paraît. » En inversant les formulations, vous pouvez donner un élan positif aux messages que vous souhaitez faire passer. Dans la même veine, bannissez les termes comme « problème » ou « difficulté », et remplacez-les par « opportunité » ou « enjeu ». En adoptant un vocabulaire clair et proactif, vous dynamisez le discours et limitez les malentendus, favorisant ainsi une communication plus impactante. Un changement d’état d’esprit commence par un changement de vocabulaire.
💡 Se mettre dans la peau de l’auditoire pour mieux convaincre
« Le paradoxe du bon élève » et « le paradoxe de l’orateur aveugle » sont deux concepts développés dans cet ouvrage. Le premier évoque l’idée d’avoir raison mais d’échouer, pour autant, à convaincre et à susciter l’adhésion tandis que le second met en garde contre la tentation de projeter ses propres valeurs. Autrement dit, ne prenez pas pour acquis que vos arguments sont forcément convaincants : votre auditoire a sa propre grille de lecture.
📍 Conseils pratiques : Adapter vos arguments à votre public. Avant de présenter une initiative, prenez le temps d’identifier les attentes et les inquiétudes de chaque groupe. Par exemple, pour un service financier, valorisez les gains mesurables, pour une équipe administrative, mettez en avant les bénéfices logistiques et pour une équipe créative, montrez le potentiel d’innovation. En observant les réactions et en ajustant le discours, vous renforcez l’impact et limitez les déconnexions.
💪 Maîtriser la prolepse pour anticiper les objections
L’auteur met à l’honneur une méthode redoutablement efficace à savoir la prolepse qui consiste à devancer les objections. En anticipant les objections de votre auditoire et en y répondant avant qu’elles ne soient formulées, vous démontrez une préparation minutieuse et une écoute proactive. Cette méthode renforce la transparence et montre que chaque question a été considérée, ce qui est particulièrement apprécié dans le cadre d’une conduite de changement.
📍 Conseils pratiques : Recourir à la prolepse avec discernement. Sélectionnez une ou deux objections majeures susceptibles de surgir et intégrez-les discrètement à votre discours. Par exemple, pour une nouvelle politique de télétravail, vous pourriez dire : « Vous pourriez craindre que le télétravail nuise à la collaboration. C’est pourquoi nous avons mis en place des points hebdomadaires pour maintenir la dynamique d’équipe. » En utilisant la prolepse avec parcimonie, vous renforcez votre image de transparence et d’anticipation, sans susciter de doutes inutiles.
❌ Bannir le jargon et privilégier la clarté
Clément Viktorovitch met en garde contre l’usage des « concepts mobilisateurs » à savoir ces mots à la mode comme « agilité », « transversalité » ou « résilience » qui finissent par sonner creux. Ces termes, souvent flous, peuvent détacher l’auditoire si le discours semble vide de sens concret. Pour un message authentique et compréhensible, il est essentiel de privilégier un langage accessible, en choisissant des mots qui évoquent des réalités tangibles.
📍 Conseils pratiques : Préférer les mots concrets et bannir le jargon. Évitez les expressions fourre-tout et choisissez des mots précis qui facilitent la compréhension. Si vous devez utiliser des termes techniques, accompagnez-les d’exemples clairs. Par exemple, plutôt que de parler de « synergie organisationnelle », expliquez comment une meilleure collaboration entre les départements peut améliorer les résultats. Cette approche rend le discours plus percutant et réduit les risques de malentendus.
🧠 💓 Raison et émotion, un duo gagnant !
L’auteur rappelle, à juste titre, que raison et émotion sont indissociables pour convaincre efficacement. En s’appuyant sur les travaux du neurologue Antonio Damasio [2], il explique qu’un discours purement rationnel peut manquer de profondeur et échouer à engager l’auditoire. L’émotion, bien dosée, permet de rendre le message plus vivant et de créer un lien personnel. Mais attention : elle doit rester équilibrée avec la logique pour que le message principal reste clair et percutant.
📍 Conseils pratiques : Intégrer émotion et exemples concrets sans diluer le message. Pour toucher votre auditoire, intégrez des anecdotes et des exemples concrets qui illustrent l’impact d’un projet ou d’un changement. Par exemple, racontez comment une équipe a surmonté un défi grâce à une collaboration renforcée. En gardant ces récits authentiques, vous ancrez votre discours dans la réalité, permettant à l’auditoire de se projeter sans que l’émotion prenne le dessus sur la logique.
🧭 Conclusion
La rhétorique est bien plus qu’un simple art de bien parler ; c’est une boussole qui guide l’impact et la cohésion.
Clément Viktorovitch nous enseigne que maîtriser la rhétorique, c’est allier structure, clarté, et respect de l’auditoire. Utilisée avec transparence et éthique, elle devient un redoutable levier pour fédérer autour des changements nécessaires en entreprise.
Que vous soyez RH, manager ou communicant, investir dans cet art pourrait bien être la différence entre un projet qui stagne et un projet qui rassemble, inspire et transforme durablement.
Références
[1] « Le Pouvoir rhétorique : Apprendre à convaincre et à décrypter les discours » de Clément Viktorovitch – éditions Seuil
[2] « L’Erreur de Descartes : la raison des émotions » d’Antonio R. Damasio – éditions Odile Jacob