« Les entreprises ont besoin de plus d’énergie masculine » Cette déclaration choc de Mark Zuckerberg a fait grand bruit, notamment en parallèle de la décision de Meta de réduire drastiquement ses programmes de diversité, équité et inclusion (DEI). Et Meta est loin d’être un cas isolé.
Google, Amazon, McDonald’s, Accenture, Ford, Walmart, John Deere et même la NASA ont récemment fait marche arrière sur leurs engagements en matière d’inclusion, invoquant une prétendue inefficacité et des divisions sociales. La Nasa n’y va pas par quatre chemins : « Ces programmes ont divisé les Américains par race, gaspillé l’argent des contribuables et conduit à des discriminations honteuses. » [1] Elle incite même à la délation interne en invitant ses propres collaborateurs à signaler leurs collègues qui chercheraient à préserver ces initiatives. Et gare à ceux qui choisiraient de détourner le regard : des sanctions internes sont prévues.
Alors, faut-il enterrer la diversité et l’inclusion sous prétexte qu’elles seraient devenues gênantes ? Face à cette tendance au recul, une question fondamentale se pose : les entreprises peuvent-elles encore se passer de politiques inclusives dans un monde de plus en plus diversifié ?
Les chiffres, les études et les résultats de terrain sont pourtant sans appel : la diversité et l’inclusion ne sont pas un simple gadget marketing. Elles sont des moteurs de performance, d’innovation et de justice sociale. Autrement dit, elles ne sont pas juste « nice to have », elles sont essentielles. C’est ce que je vous propose de démontrer dans cet article en me basant sur le livre « Diversité et inclusion : incarner ses valeurs pour mieux les communiquer » de Sébastien Durand et Jérôme Lecombe [2] qui aborde avec pragmatisme et de manière dépassionnée cette thématique. Au-delà des déclarations tapageuses et des postures politiques, reculer sur la diversité, c’est surtout, comme ils le démontrent, freiner son entreprise. Allez, c’est parti !
🤔 Diversité et inclusion ? Mais de quoi parle-t-on ?
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est essentiel de poser le cadre et de clarifier ce que recouvrent réellement les notions de diversité et d’inclusion. Souvent employées ensemble, elles sont pourtant distinctes et complémentaires.
- La diversité, c’est un constat. Elle englobe les différences visibles et invisibles entre les individus : genre, origine, handicap, parcours ou encore modes de pensée. Elle observe et décrit une réalité existante. C’est une photographie de ce qui compose une organisation.
- L’inclusion, en revanche, va plus loin : c’est un engagement actif pour faire de cette diversité une force et non un simple état de fait. Elle agrège ces différences en un tout cohérent, en garantissant à chacun la possibilité de contribuer pleinement, sans barrières ni biais limitants.
Là où la diversité est descriptive, l’inclusion est performative à savoir elle se matérialise dans des actions concrètes. Une entreprise diverse sans inclusion peut se contenter d’un effet vitrine. Mais une entreprise inclusive active le plein potentiel de sa diversité. Cette nuance est essentielle.
Et le constat des deux auteurs est sans appel à ce sujet « La plupart des organisations sont déjà plus diverses qu’elles ne le pensent, même si toutes les formes de différences ne sont pas aussi visibles que le genre ou la couleur de la peau. En revanche, elles sont souvent moins inclusives qu’elles ne croient car le fait d’avoir pris des mesures en faveur de telle ou telle minorité ne garantit pas une égalité de traitement pour l’ensemble des collaboratrices et des collaborateurs. »
💡 Pourquoi la D&I est essentielle pour les entreprises
Si certaines entreprises font marche arrière sur la diversité et l’inclusion (D&I), les données prouvent que ces politiques sont loin d’être de simples hochets RH. Innovation, attractivité, bien-être des équipes et performance économique : intégrer pleinement la diversité dans son organisation, c’est faire un pari gagnant à tous les niveaux.
1. Le reflet de la diversité de la société
Les consommateurs et les candidats d’aujourd’hui attendent des entreprises qu’elles incarnent la diversité de la société et s’engagent activement sur ces enjeux. Une entreprise qui ne reflète pas son marché prend le risque de perdre en crédibilité et d’affaiblir sa connexion avec ses clients et ses potentiels collaborateurs. Comme le souligne Bob Iger, PDG de Disney : « Il est vital de s’ouvrir en interne à la même diversité que celle des marchés sur lesquels nous évoluons. »
Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : 57 % des consommateurs se disent plus fidèles aux marques qui valorisent la diversité (Ipsos) et 70 % des jeunes de la Gen Z privilégient les entreprises engagées en matière d’inclusion (Deloitte). Dans un contexte de guerre des talents, ignorer ces attentes, c’est scier la branche de son attractivité et se tirer une balle dans le pied.
Mais au-delà de ces projections, la réalité est alarmante : 48 % des salariés [2] déclarent avoir été victimes de discrimination et deux tiers ont été témoins de telles situations. Ces comportements dégradent le climat de travail et freinent la performance collective.
📍Aussi, il n’est guère surprenant d’apprendre que les entreprises qui misent sur l’inclusion réduisent de 36 % [2] leur exposition aux pénuries de candidats. Miser sur la diversité et l’inclusion, c’est investir dans la croissance de son organisation et renforcer sa marque employeur ainsi que sa compétitivité.
2. Un levier d’innovation, de créativité et de performance
Les entreprises qui investissent dans la diversité ne le font pas uniquement par conviction éthique : elles y trouvent un levier de performance et d’innovation.
- La diversité de genre : une étude de McKinsey & Company (2020) révèle que les entreprises dont les équipes dirigeantes sont mixtes ont 25 % de chances en plus d’être rentables. En France, Sodexo a mené une étude interne auprès de 50 000 managers et constaté que les business units où la mixité femmes-hommes est équilibrée enregistrent +23 % de marge brute et +13 % de croissance interne. [4]
- La diversité ethnique : cette même étude montre que les entreprises multiculturelles enregistrent 36 % de rentabilité supplémentaire.
- La diversité cognitive : Le Boston Consulting Group indique que les entreprises ayant une forte diversité cognitive sont 19 % plus innovantes.
📍Ainsi, plus un groupe est hétérogène, plus il est en mesure de sortir des sentiers battus, de penser en dehors du cadre et de développer des idées innovantes et disruptives !
3. Un moteur de bien-être et de productivité
Un environnement inclusif est aussi un puissant levier de bien-être au travail et de productivité. Des environnements de travail inclusifs où chacun se sent respecté et légitime favorisent un sentiment d'appartenance, ce qui se traduit par une réduction des risques psychosociaux et une augmentation de l'engagement des employés.
À l’inverse, devoir cacher une part de son identité – comme c’est le cas pour une personne LGBT+ sur deux au travail – entraîne une augmentation significative de la charge mentale et des risques de burn-out. Cette dissimulation impacte directement la santé. Selon une étude de l'Organisation internationale du Travail, les collaborateurs qui ne se sentent pas inclus sont plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale, ce qui peut affecter leur performance et leur satisfaction au travail.
Et l’impact économique est tangible : remplacer un salarié peut coûter jusqu’à 200 % de son salaire annuel.
📍Miser sur un onboarding inclusif et des initiatives favorisant la co-construction et la valorisation des singularités permet non seulement de protéger la santé des équipes mais aussi de limiter le turnover et d’améliorer la performance globale.
4. Un atout économique majeur
Enfin, la diversité et l'inclusion sont aussi des enjeux économiques. Au-delà de l’aspect moral, les entreprises qui les négligent s’exposent à des pertes significatives.
Selon une étude de France Stratégie, les discriminations coûtent chaque année 150 milliards d'euros à l'économie française. Le rapport met également en avant un potentiel de 600 000 emplois supplémentaires si l'égalité de traitement entre toutes les populations était assurée. Cela permettrait d'augmenter le PIB de 3 à 14 %. Vertigineux, non ?
📍 Et ce n'est pas qu'une question macroéconomique : les entreprises qui s'engagent activement sur ces sujets constatent une réduction significative de leurs tensions de recrutement et une meilleure fidélisation des talents. En clair : investir dans la diversité et l'inclusion n'est pas une dépense superflue, c'est un pari gagnant pour l’avenir.
⁉️Comment surmonter les obstacles : de la catégorisation à la dé-catégorisation
Si les politiques de diversité et d’inclusion (D&I) sont aujourd’hui remises en question, ce n’est pas toujours par rejet du principe, mais souvent en raison de limites dans leur mise en œuvre. Lorsqu’on aborde ces questions sous un angle strictement légal et punitif, les entreprises peuvent percevoir la D&I comme une contrainte plutôt qu’un levier de progrès et d’innovation.
Il est donc essentiel d’adopter une approche positive et proactive, en mettant en avant les bénéfices concrets comme ceux détaillés précédemment : attraction et rétention des talents, coopération renforcée, réduction des conflits et amélioration des conditions de travail.
L’un des écueils les plus courants est la catégorisation excessive qui peut rapidement devenir contre-productive. Comme l’expliquent Sébastien Durand et Jérôme Lecombe dans leur ouvrage :
« Vouloir combattre les discriminations en se focalisant sur des actions ciblant des minorités spécifiques part d’un bon sentiment, mais c’est prendre le risque de basculer dans le communautarisme où chacun est perçu pour son appartenance à une minorité (endogroupe) plutôt que pour ses qualités intrinsèques. C’est également prendre parti pris de n’embarquer qu’une partie de la diversité. Sortir de la logique des silos permet d’éviter que chacun cherche à revendiquer son appartenance à un groupe. » [2]
En segmentant les collaborateurs en catégories distinctes (femmes, seniors, LGBT+, etc.), on risque de les enfermer dans des stéréotypes et d’alimenter des revendications cloisonnées. Pour éviter ces dérives, mieux vaut dé-catégoriser et adopter une approche transversale. Voici quelques pistes :
1️⃣ Privilégier une approche thématique : Plutôt que de cibler des groupes spécifiques, concentrez-vous sur des besoins communs et des problématiques partagées : équilibre vie pro/perso, équité salariale, développement des compétences. Cette méthode évite le piège du communautarisme et favorise une cohésion globale. Exemple : Une agence de communication a repensé son organisation en réponse à des demandes de salariées souhaitant partir plus tôt pour récupérer leurs enfants. Plutôt que d’appliquer cette mesure aux seuls parents, elle a proposé une flexibilité horaire pour tous, adaptée aux besoins individuels : un collaborateur souhaitant suivre un cours de sport, un autre devant gérer des contraintes médicales… Résultat : une satisfaction générale et une réduction des frustrations.
2️⃣ Favoriser les contacts intergroupes : Les études le démontrent, les interactions entre différents groupes réduisent les préjugés et développent l’empathie. Organiser des ateliers transversaux, des projets communs et des moments d’échange permet de briser les barrières et d’encourager une compréhension mutuelle.
3️⃣ Créer un environnement inclusif et sécurisant : La sécurité psychologique est indispensable pour que chacun puisse s’exprimer librement et contribuer pleinement. Il ne suffit pas d’afficher des valeurs d’inclusion : encore faut-il créer des espaces où chaque voix compte et est respectée.
📍 Dé-catégoriser, ce n’est pas nier les différences, c’est les intégrer dans un tout cohérent. En adoptant cette approche, on bâtit des politiques D&I solides, efficaces et perçues comme justes par l'ensemble des collaborateurs.
Conclusion
Les déclarations de Mark Zuckerberg ont ravivé un débat récurrent : faut-il freiner ou accélérer les politiques de diversité et d’inclusion (D&I) ?
Les chiffres, eux, sont sans appel : la D&I n’est pas un luxe, encore moins une tendance passagère.
C’est une nécessité pour toute entreprise souhaitant rester compétitive dans un monde globalisé. Innovation, engagement des collaborateurs, attractivité des talents, performance économique : les bénéfices sont documentés et indéniables. Comme le disait si bien Walt Disney :« Arrêtons de parler. Commençons à agir. »
Mais par où commencer ?
1️⃣ Réalisez un audit : analysez vos pratiques, identifiez vos points faibles et affrontez la réalité, même si elle dérange.
2️⃣ Fixez des objectifs clairs : diversifiez vos viviers, éliminez les biais algorithmiques et rédigez des annonces inclusives.
3️⃣ Mobilisez vos leaders : les dirigeants doivent incarner les valeurs de l’entreprise et agir en modèles.
4️⃣ Misez sur des actions rapides : lancez des projets visibles et concrets pour maintenir l’élan collectif.
En somme, la D&I n’est pas un supplément d’âme, mais un moteur de performance durable. Le choix est simple : avancer et prospérer ou reculer et s’exposer à des pertes en talents, en innovation et en compétitivité. Alors, freiner ou accélérer ? Vous connaissez désormais la réponse.
Références
[1] Article Numerama : « C'est terrifiant » : la Nasa tue son programme de diversité sur ordre de Trump et encourage la délation
[2] « Diversité et inclusion : incarner ses valeurs pour mieux les communiquer » de Sébastien Durand et Jérôme Lecombe – éditions Dunod
[3] Etude “Diversity wins” de McKinsey & Company – may 2020
[4] Article Les Echos : La mixité, vecteur de croissance de Sodexo
[5] Etude « How Diverse Leadership Teams Boost Innovation » du Boston Consulting Group