Et si les recruteurs avaient un superviseur (comme en psycho) ?

Loubna Benabderrazzak
Et si les recruteurs avaient un superviseur (comme en psycho) ?

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Psychologue recruteuse, de formation et de passion, je suis persuadée de l’impact que peut avoir la transmission des pratiques entre ces deux métiers.

Au-delà des compétences, le métier de psychologue puise sa force dans la construction identitaire et l’éthique professionnelle de chacun pour garantir des valeurs et un engagement fort. Le recrutement quant à lui, puise sa force dans son renouvellement constant et son impact social sur le marché de l’emploi.

Emprunter à la psychologie pour recruter mais aussi pour peaufiner ses apprentissages, construire son parcours, travailler entre pairs et faire évoluer ses pratiques : ça ne serait peut-être pas si mal, non ?

Dans ce cas, commençons avec la supervision. 😉

La supervision en psychologie, et si le recrutement s’y mettait aussi ?

La supervision, qu’est-ce que c’est ?

Je vous l’accorde, le terme ne fait pas sexy sur le papier. Pourtant il a tout pour plaire !

La supervision est une pratique en psychologie clinique qui renvoie à une activité professionnelle de soutien, d’accompagnement, d’évaluation et de développement des connaissances.

Communément dit, c’est quand un psy va voir un psy.

La supervision en recrutement

Cette pratique a donc une double composante : émotionnelle et intellectuelle. Très recommandée les premières années, elle permet aux jeunes psychologues de prendre du recul sur leur pratique, de continuer à se former et également de garder une ligne directrice éthique surtout lorsque le milieu du travail peut vite les faire déchanter : des attentes fortes, des demandes irrationnelles, un environnement peu adapté, des pressions constantes, etc.

Mais au delà de ces 3 blocs indispensables (montée en compétences, éthique et santé au travail), le superviseur peut prendre une place plus polyvalente dans le marché de l’emploi des psychologues. Héloïse Junier, dans un article du Cercle Psy, dépasse ces composantes pour rentrer dans des questionnements propres à l’essence même du travail : “Comment se positionner face à la hiérarchie ? Comment faire valoir sa pratique auprès des [professionnels] ? Quelle place dans le travail multidisciplinaire ? À quel salaire peut-on prétendre ? Comment aménager son temps de travail ?".

Des questions qui, parfois, sont difficiles à résoudre soi-même.

Dans ce cas, le superviseur peut-il aller jusqu’à être comparé à un super mentor saïyen ?

Quel est le rôle du superviseur ?

Personnellement, je dirai qu’on s’y approche. Attention, ça n’est pas un mentor. J’aime seulement faire cette comparaison car il est important de comprendre la relation superviseur-supervisé pour tenter de construire un équivalent chez les recruteurs et recruteuses.

Malgré ce que beaucoup pensent, le superviseur n’est pas le psy du supervisé : l’objectif principal est centré sur la pratique professionnelle. Les difficultés personnelles de vie, elles, sont travaillées en séance chez le psychologue. Le superviseur, par contre, peut conseiller le supervisé sur les angles thérapeutiques que ce dernier doit peaufiner de son côté, si cela influe sa pratique : là est la frontière.

Plusieurs questionnements sont donc abordés et analysés entre les deux durant des séances de supervision :

  • S’assurer du bien-être du psychologue : veiller à ce que la souffrance des patients ne fasse pas écho à son vécu.
  • Travailler sur l’estime de soi pour les jeunes psychologues : comment se sentir légitime dans sa pratique, quelle expertise peuvent-ils apporter ?
  • Libérer les souffrances et les tensions suscitées par le métier : conditions de travail, pression, blocages…
  • Analyser le travail effectué : le supervisé interroge de lui-même sa pratique, ses outils et ses stratégies mises en place. Il fait face à d’autres axes de lecture.
  • Actualiser son savoir-faire : cela permet au superviseur de transmettre ses connaissances et relever des incohérences ou des compétences à améliorer chez le supervisé.

Le point essentiel est que cette séance devient un espace sans jugement : libérer la parole pour améliorer son métier au quotidien.

Imaginez dans le recrutement ! Oui j’ai le droit d’avoir, un jour, fait un écart en faisant preuve de discrimination dans un recrutement. Mais mon superviseur a été là pour me rappeler l’inconfort que ça me crée et me rappeler mes engagements et les valeurs de mon métier.

Vous commencez à voir l’intérêt du superviseur, même dans le recrutement, n’est-ce pas ?

Plus simplement, c’est se sentir écouté. Et en recrutement, on aurait bien envie d’être écouté de temps en temps vu notre quotidien. 🤔

Pour information et pour assouvir un peu plus votre curiosité, la supervision prend la forme de séance pouvant aller de 1h à 1h30. Au niveau des tarifs, cela peut varier de 60€ à 100€ la séance en moyenne.

La supervision en psychologie est réglementée : le superviseur doit posséder une expérience de psychologue d’au moins 5 ans, être donc titulaire d’un Master de Psychologie (étant le seul moyen de détenir le titre de Psychologue en France), et avoir lui-même été supervisé pendant un certain nombre d’années.

Il est également essentiel d’avoir complété son cursus par une certification en supervision.

Qu’en est-il de la supervision de groupe ?

Oui, dans certains cas, il est possible d’aborder les mêmes problématiques citées plus haut, mais en groupe.

Plutôt sous format “petit groupe”, l’objectif est que la dynamique qui se crée renforce le travail sur soi individuellement. Chacun partage un vécu suite à une situation abordée, on n’a plus 1 mais 2, 3 ou 4 points de vue différents. Contrairement à une séance en tête à tête, être en groupe c’est aussi prendre du recul : “je ne suis pas le seul psy (ça marche aussi avec “le seul recruteur”) à vivre des moments pareils”.

Le superviseur a une posture différente également. Un peu plus en arrière, l’effet de groupe devient sa base de travail et il n’y a plus cette relation privilégiée en face à face. En plus de maîtriser les transferts et contre-transferts, il doit maintenant donner un cadre supplémentaire à ces échanges, laisser suffisamment de parole, mais toujours apporter sa propre analyse.

Personnellement, je préfère le tête à tête. Un groupe ne nous laisse pas imperméable aux envies de se conformer et aux craintes du jugement : la relation de confiance est plus longue à se mettre en place et le groupe doit être stable avec peu de départs et d’arrivés pour vraiment consolider son effet de supervision.

Le juste milieu, pour certains et certaines, est de combiner les deux. Des séances individuelles et de groupe.

Mais là vous vous dîtes, comment on fait alors pour faire de la supervision dans le secteur du recrutement ?

PS : je me concentre dans cet article sur le recrutement (étant mon cœur de métier), mais je considère que tout métier en contact direct avec de l’humain, avec des émotions fortes, pourrait avoir besoin de la notion de supervision dans ses pratiques.

Pourquoi et comment mettre en pratique la supervision dans le recrutement ?

La dureté du métier

Dans le recrutement, nous avons un métier difficile humainement parlant. Gérer des individus c’est devoir gérer des émotions : nous rencontrons des humains, parfois dans des situations de détresse lié à l’emploi, nous les évaluons, nous les coachons, nous leur donnons de l’espoir, et bien souvent nous les refusons. C’est souvent un métier de remise en question constante avec des difficultés quotidiennes.

Dans tout un process, c’est aussi des managers, des hiérarchies, des décisionnaires, des opérationnels, que nous rencontrons. Certains à convaincre, d’autres déjà convaincus. Mais ça peut rapidement devenir épuisant voire démoralisant pour certains et certaines.

Un recruteur ne se contente pas d’appeler, évaluer, valider un recrutement. De plus en plus sollicité pour des tâches transverses : communicant, marketeur, copywriter, animateur… Il doit pouvoir prendre du recul à un moment donné dans sa pratique et revenir à l’essence même de son métier.

Souvent seul (premier TAM, consultant, freelance, RPO, etc.), il est peut-être temps que le recruteur aille voir un recruteur ?

Pourquoi ?

  • Pour ne pas altérer les parcours des candidats à cause de la fatigue, ou d’un ras-le-bol légitime. Le recruteur est humain, mais le candidat n’a pas à en pâtir.
  • Pour prendre du recul sur sa pratique : mon expérience candidat est à améliorer, ma manière d’évaluer à structurer, mon organisation à automatiser ?
  • Pour toujours garder une éthique face à sa pratique : recruter sans discriminer, recruter équitablement, recruter justement.
  • Pour défendre ses idées face à des décisionnaires, grâce à des conseils, du soutien et une analyse de sa propre approche : l’art de la négociation, ça s’apprend et ça se travaille.
  • Pour continuer à développer ses compétences : quelles innovations sont en cours dans le recrutement, lesquelles m’intéressent, que font mes pairs de leur côté ?

Le recruteur superviseur a donc une position de veilleur du bien-être, de guide des pratiques et de transmetteur de ses connaissances.

Prenons un exemple de situation où la supervision serait efficace.

Claire, jeune diplômée dans les RH, a rejoint une petite société spécialisée dans le textile depuis presque un an. Face à une certaine pénurie, les décisionnaires sont dépassés : ils lui demandent de recruter vite et bien mais ils ne sont jamais disponibles et Claire n’ose pas s’affirmer. Les recrutements prennent du retard et sont difficiles. Elle n’a pas de manager, étant la seule recruteuse de la société. Claire se sent fatiguée, mais pense ne pas avoir le droit de le dire : comment peut-on être déjà fatiguée alors qu’on vient de commencer à travailler ? On lui conseille de prendre un superviseur.

Le superviseur va pouvoir travailler avec Claire sur :

  • Le sentiment de fatigue : un travail de fond pour préserver son bien-être moral, lui permettre d’évacuer ce stress, gérer ses émotions, etc. Gérer les émotions négatives pour qu’elles ne l’emportent pas, ça s’apprend.
  • Son organisation : le nombre de recrutements demandés est-il faisable pour elle ? Il s’agit de déterminer, avec ses compétences actuelles, ce qu’elle peut réaliser. A-t-elle les bons outils à disposition (trop ou pas assez) ? Les bonnes méthodes ? Le superviseur va pouvoir lui partager ici sa propre expertise pour la conseiller. D’ailleurs il remarque qu’elle manque de compétences innovantes en sourcing pour répondre à cette pénurie et peaufine cela avec elle.
  • Sa communication : Ayant du mal à prendre la parole face aux décisionnaires, le superviseur conseille Claire sur les façons de transmettre ses messages. Il détermine avec elle la personne cible vers qui elle peut aussi s’appuyer en interne. Le superviseur fait un travail de fond pour comprendre le fonctionnement de la société et l’étayer.
  • Des pistes de réflexion : comment inclure les décisionnaires dans le process ? Quel type de process elle peut proposer ? Comment instaurer des bonnes pratiques ? Il lui parle de sujets qu’elle ne connaissait pas, mais qu’elles souhaitent approfondir.
  • Les réalités : si Claire se sent dépassée. Elle a le droit de demander aux décisionnaires le recrutement d’une personne plus experte pour l’accompagner : le superviseur est là pour lui rappeler cette possibilité, peut-être même que ce serait mieux pour elle. Cela ne remet pas en cause ses compétences, c’est une occasion pour elle d’évoluer professionnellement.
  • Sa propre pratique : D’ailleurs, Claire en allant vite, fait peut-être mal. Le superviseur fait en sorte de questionner cet aspect. Il lui demande comment elle réalise ses recrutements, vérifie que sa déontologie et son éthique n’est pas impacté par la pression du travail, etc.

Aujourd’hui de nombreux slacks et communautés existent. Ces rencontres permettent parfois de répondre à nos questions et sont aussi des moyens de libérer notre frustration en partageant le quotidien : “je ne suis pas le seul à galérer en ce moment”. Mais ce n’est pas toujours un format adapté pour tous et toutes. Il faut pouvoir oser poser des questions dans ces réseaux (accepter sa propre ignorance), il faut savoir organiser le trop pleins d’informations et l’expérience propre à chacun qui y est partagé, pour sélectionner ce qui nous convient.

La supervision fait ce qu’une communauté ou une personne ne peut pas faire de manière optimale et centralisée. Elle va bien plus loin.

Et dans les faits ?

  • Se baser sur l’existant

Une petite recherche LinkedIn rapide montre qu’environ 900 recruteurs et recruteuses en France ont fait un master de psychologie et sont actuellement en poste de chargé de recrutement, consultant en recrutement ou responsable recrutement (freelances inclus).

Et si nous débutions par ce chiffre. 900 personnes qui, si elles le souhaitent, peuvent compléter leur pratique de psychologue du travail avec de la psychothérapie et de la supervision. En entamant une démocratisation de cette pratique dans la psychologie du travail et en sensibilisant, c’est alors 900 personnes qui ont la possibilité de se positionner comme recruteur superviseur. Elles peuvent proposer des séances aux autres recruteurs : une sorte de spécialisation dans la supervision. 🤔

L’enjeu de cette pratique est qu’ayant une formation de base en psychologie, nous, recruteurs et recruteuses psychologues, sommes en capacité de comprendre l’enjeu. Il s’agit d’adapter ce modèle, avec nos compétences, à une situation métier différente de la thérapie : le recrutement.

Et le point essentiel est l’aspect thérapeutique. Aurélien Boutaudou, de l’Ecole du Recrutement, disait récemment à un meetup sur Nantes, qu’apprendre permettait de maintenir sa motivation car beaucoup de recruteurs et recruteuses quittent le métier au bout de quelques années seulement. Je rajouterai à cette analyse très pertinente qu’il a partagé, que le superviseur permet de consolider également cette motivation : ayant un métier demandant beaucoup de résilience, il est plaisant de pouvoir décharger la frustration et les tensions du métier pour ne pas finir écœurer. Mais ce n’est pas tout le monde qui peut réceptionner cette frustration sans vous décharger la sienne également : le superviseur y est formé.

D’ailleurs, la supervision de groupe devient intéressante dans ce cas : si nous avons parlé du cas des jeunes recruteurs pour lesquels je favorise des séances individuelles, pour les recruteurs ayant quelques années et perdant la passion, la motivation, l’énergie du recrutement, les séances de groupe ont un potentiel intéressant pour faire renaître la flamme.

  • Innover et transposer

La solution de se baser sur l’existant, bien que faisable, reste assez complexe : peu de recruteurs sont psychologues du travail et ces mêmes psychologues doivent pouvoir (et vouloir) compléter leur formation initiale pour avoir ensuite la compétence de superviseur. Ça peut paraître décourageant de prime abord surtout si la supervision est peu connue.

Alors en vient la question des pratiques existantes s’y approchant : le parallèle avec le copy buddy et le task buddy m’ont interpellé.

En attendant de démocratiser la pratique de la supervision dans le recrutement, il y a certains blocs qui sont transposables. Pourquoi pas commencer par là ?

Si l’aspect thérapeutique (gestion des tensions, des souffrances et de l’estime de soi) ne peut pas en faire partie ; le partage de connaissance, l’analyse de la pratique d’un confrère, la mise en place d’un cadre, à contrario pourraient en faire partie.

Cela fait quelques temps que j’ai une copy buddy pour mes posts LinkedIn. Il nous arrive de parler frustration, créativité, persona cible, ressentis à la lecture d’un post, stratégie… Elle me partage ses connaissances. Elle analyse mon post, et me faire un retour. Elle ne juge jamais le contenu de mes posts. Chaque fin de session est animée par un débrief et par des tâches évaluées comme primaires à réaliser pour s’améliorer chacune.

On se fait sortir de nos zones de conforts respectives.

Ces sessions encouragent ma prise de recul, enrichissent mon analyse, me font me découvrir un peu plus chaque fois. Je sens que j’évolue dans la création de contenus LinkedIn, et que ma personnalité se dessine un peu plus. C’est un long travail au final, mais sans ces sessions, je serai la même que lors de mon premier post.

Alors comment faire pour ne pas être la même que lors de mes premiers recrutements ? Il ne me reste plus qu’à trouver mon recruteur superviseur on dirait. 🤭

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