Le replay
Cet article est une synthèse du live. Rien ne vaut le visionnage complet. ☕ Un grand merci à Anaïs, à Tania et à Anne.
Un débat plus complexe qu’il n’y paraît
Le recrutement est-il une affaire de savoir-faire ou de savoir-être ? Faut-il privilégier la personnalité ou les compétences techniques ? Ces questions, souvent posées avec l’espoir d’une réponse tranchée, cachent en réalité une grande complexité. C’est ce que le dernier épisode de La Caméra Café du Recrutement a brillamment démontré, avec deux invitées expertes : Anne Brochard, fondatrice de l’Étincelle RH et psychologue sociale, et Tania Ocana, formatrice à l’École du Recrutement et docteure en psychologie du travail. Pendant près de 45 minutes, elles ont débattu avec nuance et exigence des notions de compétence, de personnalité, de contexte, et de méthodes d’évaluation.
Retour sur un échange riche en enseignements, utile à tout recruteur ou manager souhaitant recruter avec justesse.
Clarifier les mots : de quoi parle-t-on quand on parle de compétence ?
Un constat s’impose : le vocabulaire du recrutement est flou, voire piégeux. Compétence, personnalité, savoir-être, soft skills... Ces termes sont souvent utilisés sans réelle précision. Pour y voir clair, Tania et Anne proposent une classification issue du monde académique :
- Les connaissances (ce que l’on sait),
- Les habilités ou savoir-faire (ce que l’on sait faire, techniquement ou relationnellement),
- Les aptitudes (cognitives ou physiques),
- La personnalité (structure stable et profonde de l’individu, souvent invisible sans outils adaptés).
Ces dimensions interagissent, mais ne se confondent pas. Une personnalité extravertie ne garantit pas à elle seule de bonnes compétences relationnelles. Celles-ci s’acquièrent aussi par la pratique et l’expérience.
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Le contexte, clé de voûte du recrutement
Il n’existe pas de réponse universelle à la question “personnalité ou compétences ?”. Tout dépend du contexte : poste à pourvoir, culture d’entreprise, enjeux temporels ou commerciaux.
Anne illustre ce point avec un exemple concret : celui d’un recrutement pour un poste d’innovation stratégique. L’entreprise savait que le profil recherché ne resterait pas dix ans, mais qu’il pourrait transformer l’organisation en trois. Résultat : un recrutement assumé pour une collaboration de courte durée, mais alignée sur les objectifs.
Le vrai enjeu, finalement, n’est pas de savoir quoi privilégier, mais pourquoi et dans quel cadre.
Le piège des stéréotypes et des outils mal utilisés
Un autre écueil fréquemment évoqué : les stéréotypes, souvent camouflés derrière des phrases toutes faites du type « je recrute à la personnalité » ou « il faut qu’il soit dynamique, autonome, curieux ». Ces termes vagues sont interprétés différemment selon les individus. D’où l’importance de définir, dès la phase de brief, ce qu’on attend concrètement, et comment cela se manifeste dans le poste.
Même prudence du côté des outils dits de “personnalité”. Le MBTI, le DISC… Ces tests, bien que populaires, ne sont pas adaptés au recrutement. Trop sensibles à la désirabilité sociale, trop rapides, peu robustes statistiquement, ils peuvent induire les recruteurs en erreur. Même les éditeurs de tests de personnalité pour le recrutement déconseillent leur usage dans un cadre de sélection.
En revanche, une fois le recrutement effectué, certains de ces outils peuvent servir à enrichir le travail d’équipe ou la connaissance mutuelle.
Recruter, c’est aussi se former (et se remettre en question)
Tania et Anne insistent sur un point crucial : évaluer la personnalité ne s’improvise pas. Cela demande des formations solides, de la rigueur et de la conscience éthique. Beaucoup de recruteurs utilisent des tests sans avoir été formés à leur interprétation, ce qui peut provoquer des erreurs de jugement.
Anne alerte également sur un biais peu connu : le biais d’immunité, qui touche les professionnels convaincus qu’ils ne peuvent plus se tromper parce qu’ils ont été “formés”. Ce piège de la surconfiance bloque l’apprentissage et la remise en question.
Le message est clair : la complexité humaine mérite qu’on s’en approche avec humilité et méthode, pas avec des recettes toutes faites.
Vers un processus d’évaluation sur-mesure
Le live se conclut sur une recommandation forte : chaque poste mérite un processus d’évaluation spécifique. On ne peut pas appliquer le même canevas à tous les recrutements. Selon le poste, les enjeux, le volume de candidatures, le niveau d’exigence technique ou l’implication du manager, les critères doivent varier.
Cela suppose un vrai travail en amont : construire une grille d’entretien adaptée, préparer ses questions, se détacher du “feeling” pour s’appuyer sur des éléments concrets, définir les priorités et les compromis acceptables. La préparation permet de réduire les biais et améliorer la qualité de sélection.
Conclusion : poser les bonnes questions, au bon moment
Recruter sur la personnalité ? Sur les compétences ? Les deux ? La réponse est : ça dépend. Mais pour que cela “dépende” vraiment de quelque chose, encore faut-il avoir fait l’exercice de clarification. Clarification du poste, du besoin, des critères d’évaluation, des outils utilisés, et du sens du processus.
C’est peut-être là, finalement, la leçon principale de ce live : avant de recruter, il faut réfléchir — sérieusement, méthodiquement, honnêtement.
Et si on commençait, tout simplement, par reprendre nos grilles d’entretien et se demander : suis-je vraiment prêt à recruter ?