Indiquer le salaire dans les offres d'emploi : oui, non, peut-être ?

Marie-Sophie Zambeaux
Indiquer le salaire dans les offres d'emploi : oui, non, peut-être ?

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Selon une enquête d’HelloWork de mai 2022 [1], 87% des candidats souhaitent que les offres d’emploi indiquent la rémunération proposée. Parmi les éléments accompagnant l’offre d’emploi, la rémunération est l’élément le plus demandé et plébiscité devant la culture d’entreprise (83%).

Pourtant, force est de constater que cela coince côté recruteurs – doux euphémisme - et même fortement puisque, dans les faits, le salaire n’est indiqué de manière systématique que par 30% des recruteurs. Et ils sont 30% à ne jamais l’indiquer tout simplement... [1] Oui, vous avez bien lu…

L’écart entre les souhaits des candidats et la pratique des recruteurs est prodigieusement hallucinant, vertigineux !! Il faut croire que les freins côté recruteurs sont extrêmement forts pour, à ce point, prendre le pas et l’emporter sur les attentes – bien légitimes – des candidats et l’expérience candidat prodigué.

C’est vraiment un tabou typiquement propre aux pays latins et tout particulièrement à la France du fait de son héritage catholique et socioculturel. Nous n’allons, en effet, pas retrouver ces « pudeurs de gazelle » dans les pays nordiques et anglo-saxons où la rémunération est affichée franco et d’emblée sur les offres d’emploi.

La bonne nouvelle c’est que bientôt, les recruteurs et, plus largement les organisations, n’auront plus leur mot à dire sur le sujet. Ils seront tout simplement contraints par la Commission Européenne et sa proposition de loi sur l’égalité salariale [2] à mentionner des informations sur le niveau de rémunération initial proposé ou a minima une fourchette. Purement et simplement. Que cela leur plaise ou non. Je ne peux que m’en réjouir.

Et je suis convaincue que tous les recruteurs devraient s’en féliciter également car les bénéfices sont nombreux.

D’indéniables avantages à mentionner la rémunération

Le premier avantage, est non des moindres, c’est un facteur clé d’attractivité !

Faire apparaître la rémunération permet d’accroître de manière notable la performance d’une annonce. Selon Indeed, la seule mention de la rémunération génèrerait 80% de clics supplémentaires et 20% de candidatures en plus que l’exacte même annonce sans informations salariales. C’est phénoménal !

Selon l’étude HelloWork évoquée, ne pas communiquer sur la rémunération reviendrait à se tirer une balle dans le pied et à « se couper d’une partie non négligeable des candidats, puisqu’ils sont 45% à être moins susceptibles de postuler si le salaire n’est pas fourni. » [1] De peur d’être déçus par la rémunération et de perdre leur temps, certains candidats préfèrent, en effet, s’abstenir de postuler.

Cela a aussi le don d’agacer considérablement les candidats. 34% d’entre eux déclarent qu’un salaire non mentionné est ce qui les « énerve » le plus dans une annonce. [3]

Autre avantage et non négligeable en termes de marque employeur, indiquer la rémunération véhicule un message positif sur la culture d’entreprise. Cela suggère que l’organisation est transparente quant à sa politique salariale ce qui est indéniablement un avantage concurrentiel ! C’est également perçu par de nombreux candidats comme une marque de respect envers eux.

Cela permet également de faire gagner un temps précieux aux recruteurs puisqu’ils reçoivent uniquement des candidatures de personnes ayant préalablement pris connaissance du niveau de rémunération proposé et l’ayant en quelque sorte pré-validé (moins de candidatures entrantes). Les recruteurs peuvent ensuite négocier plus aisément et rapidement la rémunération finale car elle a été cadrée au tout début du processus de recrutement via l’annonce.

Cerise sur le gâteau, divulguer la rémunération permet de combattre d’éventuelles discriminations à l’embauche et d’assurer une plus grande équité de traitement en luttant contre de potentielles inégalités entre un candidat qui saurait bien se vendre et un autre qui ne saurait pas. Cela envoie le signal que l’organisation est soucieuse de promouvoir l’égalité professionnelle et qu’elle met tout en œuvre pour éviter la discrimination à l’embauche.

Petite digression sur ce sujet de la négociation salariale que vous me pardonnerez j’espère. Les femmes sont moins nombreuses à négocier leur rémunération. Ainsi, seules 34% des femmes ont osé négocier leur premier salaire contre 41% des hommes. [4] Les femmes seraient, de plus, moins bien perçues quand elles négocient leur salaire. C’est ce qu’on appelle l’effet de double contrainte. « La négociation salariale est un processus dont les femmes ressortent perdantes. Pourquoi ? Si elles n’osent pas négocier leur rémunération elles sont perdantes financièrement. Si elles osent négocier, elles seront jugées négativement, car considérées comme déviantes de la norme. Elles sont perdantes socialement. » [5] Les femmes qui négocient comme les hommes sont, en effet, jugées autoritaires, trop sûres d’elles ou directives. Mais fin de la digression, revenons à nos moutons !

À me lire, il n’y aurait que des avantages 🙂 et aucun frein ni difficulté à faire apparaître la rémunération. Vous vous doutez bien que ce n’est pas aussi « simple » sinon les recruteurs ne s’en priveraient pas. J’estime cependant que les avantages l’emportent largement sur les inconvénients et qu’il existe des manières pour contourner ces derniers ou minimiser, du moins, leur impact.

Je vous propose donc de passer en revue les principaux freins et solutions de contournement !

Les principaux freins et solutions de contournement

1er frein : des candidats risquent de ne pas postuler si la rémunération est trop basse

Selon l’étude HelloWork évoquée, 65 % des candidats postulent parfois même si le salaire mentionné est inférieur à leurs attentes et 15% postulent quand même systématiquement. Ce ne serait donc rédhibitoire que pour « seulement » 20% des candidats, ceux qui sont, a priori, le plus attachés à un certain niveau de rémunération et qu’il aurait été, de toute façon, difficile voire impossible de recruter in fine car la rémunération, à un moment ou à un autre, aurait été évoquée et aurait posé problème.

Afin de « perdre » un minimum de candidats, je préconise, outre la rémunération, de bien détailler les différents avantages proposés par l’organisation qui pourraient contrebalancer la rémunération jugée faiblarde. Et par « avantages », j’entends les « vrais » avantages réellement différenciants et non les avantages légaux comme le remboursement du Pass Navigo à hauteur de 50%. Ça c’est juste l’application de la loi. Il n’y a pas de quoi s’en enorgueillir ! Quelques exemples d’avantages extra-légaux particulièrement plébiscités : contribution aux frais de garde des enfants, jours de maladie supplémentaires, accès à une salle de sport…

Après, si la rémunération proposée est vraiment en dessous du marché et que le profil recherché est pénurique, eh bien… il n’y aura pas de miracle malgré des avantages sympathiques. La seule solution restera, in fine, d’augmenter la rémunération afin de s’aligner sur les prix du marché et de mettre un maximum de chances de son côté pour attirer des candidats, les recruter mais également les fidéliser.

2ème frein : on risque de « payer plus cher » les candidats !

Ne nous voilons pas la face, certaines organisations ne mentionnent pas la rémunération car elles estiment que cela leur permet d’avoir plus de marge de manœuvre pour négocier au mieux - à savoir au plus bas - la rémunération de leur futur collaborateur. Cela est particulièrement le cas pour les jeunes diplômés et les candidats peu expérimentés.

Cela me hérisse au plus point.

Il me semble tout à fait navrant de débuter une collaboration en tentant de  « faire des économies sur le dos d’une nouvelle recrue » et en comptant sur le fait qu’elle connaîtra mal les salaires pratiqués sur le marché, qu’elle se sous-estimera ou bien encore qu’elle n’osera pas négocier. C’est une vision très court-termiste qui, d’ailleurs, se retournera tôt ou tard contre l’organisation.

3ème frein : cela risque de semer la zizanie en interne !

3ème frein et non des moindres : la peur de « mettre à feu et à sang » l’organisation en affichant, au grand jour, les salaires proposés aux candidats et en révélant ainsi des écarts de salaires conséquents entre candidats et collaborateurs déjà présents ainsi qu’entre collaborateurs. Cette crainte d’ouvrir la boîte de Pandore est belle et bien réelle et compréhensible.

Il est évident que si un collaborateur découvre qu’à un poste similaire et avec une expérience équivalente, il a une rémunération inférieure à celle indiquée sur l’offre d’emploi et ce, malgré son ancienneté au sein de l’organisation et des évaluations annuelles concluantes, il va très mal le vivre et cela va créer, de son côté, du mécontentement, du désengagement et éventuellement son départ à terme.

Afficher la rémunération sur les annonces de recrutement ne se décrète donc pas du jour au lendemain mais nécessite, comme prérequis indispensable, qu’un profond travail ait été mené en interne pour mettre en place une politique salariale équitable et transparente avec une grille interne des rémunérations claire et carrée.

C’est d’ailleurs pour cette raison que l’affichage de la rémunération est autant apprécié par les candidats qui, comme écrit précédemment, en tirent une conclusion positive sur la politique salariale globale de l’organisation.

Mais maintenant que les principaux freins ont été levés, comment procéder concrètement ?

Comment procéder concrètement ?

Comme vous l’aurez compris, je suis une fervente partisane de la mention de la rémunération.

Ceci étant dit, il n’est pas toujours facile de pouvoir indiquer une rémunération vraiment précise sur une annonce, cette dernière étant, en partie, liée à l’expérience accumulée, aux compétences réellement détenues et pour certaines structures au(x) diplôme(s) obtenus… oui, je sais ☹…

Aussi, je recommande aux recruteurs d’indiquer une fourchette de salaire afin de se préserver une marge de négociation. Cela tombe bien puisque comme nous le révèle l’enquête HelloWork, recruteurs et candidats plébiscitent le recours aux fourchettes ou tranches salariales. Ces tranches ne doivent cependant pas être trop larges sinon elles perdent franchement tout leur intérêt.

L’idéal serait d’indiquer une tranche avec un écart de « de moins de 10 000 euros entre la fourchette basse et la fourchette haute (91% des cas), ce qui correspond aux attentes d’une majorité de candidats (49% souhaiteraient une fourchette de 5 000 euros, 19% de 10 000 euros). » Idéalement et si possible, il est recommandé de découper la tranche en deux ou trois parties et d’indiquer clairement quel niveau d’expérience fait atterrir un candidat sur quelle sous-tranche…

Conclusion

En France, l’omerta sur la rémunération a la vie dure et la rémunération reste vraiment « Celle-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ». C’est typiquement français et franchement regrettable.

Mais oyez, oyez, cela devrait changer prochainement sous l’impulsion d’une proposition de loi de la Commission Européenne. C’est une excellente nouvelle et cela permettra d’aligner, enfin, les pratiques des recruteurs sur les attentes des candidats qui sont 87% à réclamer, à cor et à cri, que la rémunération soit annoncée d’emblée sur l’annonce de recrutement.

Les entreprises ont tout à y gagner que ce soit pour recruter mais également pour fidéliser leurs collaborateurs. Mais cela nécessite d’avoir préalablement retravaillé de fond en comble sa politique salariale et d’être parfaitement au clair sur ses grilles de salaires !

Références

[1] selon les études et enquêtes menées par HelloWork ou bien Indeed

[2] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN-FR/TXT/?uri=CELEX:52021PC0093

[3] Enquête RégionsJob

[4] Etude KPMG « Les françaises négocient moins et sont discriminées »  de novembre 2019

[5] Pourquoi est-il plus difficile de négocier son salaire quand on est une femme ? https://blog.adatechschool.fr/pourquoi-plus-difficile-negocier-salaire-femme/

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À propos de l'auteur·e
Marie-Sophie Zambeaux
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Fondatrice @ReThink RH, éditorialiste RH, host du podcast "Histoires de Recruteurs".