Le recrutement appartient-il aux managers ?

Marie-Sophie Zambeaux
Le recrutement appartient-il aux managers ?

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« Le recrutement est une discipline étrange. Après tout un recruteur n’a aucun pouvoir de décision finale. La seule personne qui décide c’est le manager qui recrute. C’est-à-dire la personne qui va travailler avec la nouvelle recrue. Selon l’entreprise, les recruteurs ont plus ou moins de pouvoir et sont plus ou moins écoutés. Mais il n’en demeure pas moins cette réalité clinique indépassable : on recrute pour un manager. Si ce manager ne veut pas travailler avec quelqu’un, personne ne pourra l’y obliger. » Extrait de « Le recrutement ne s’improvise pas » de Nicolas Galita [1]

Sauf à habiter dans une grotte, vous n’avez pas pu passer à côté de la sortie du livre de Nicolas Galita, premier salarié historique de l’Ecole du Recrutement, et plus exactement à côté de la promotion de son livre « Le recrutement ne s’improvise pas ». Ce livre, nous étions nombreuses et nombreux à l’attendre car les manuels exhaustifs en langue française sur le recrutement ne sont pas légion. Loin de là ! 

Et je n’ai pas été déçue par son contenu riche et pédagogique qui a le mérite de poser les bases du recrutement. J’ai tout particulièrement apprécié trois messages véhiculés par ce livre. 

Le premier, le recrutement est un vrai, beau et complexe métier qui ne s'improvise pas et il existe donc des techniques et des méthodes recommandées par la science pour améliorer la qualité de ses recrutements. Deuxième message, le recruteur a un indéniable rôle social et sociétal en tant que premier maillon de la chaîne de l'emploi. C’est lui qui permet ou non à un candidat de passer un premier filtre et de pouvoir défendre ses chances pour obtenir un poste. Troisième message, le recruteur occupe une place singulière dans le processus même de recrutement puisque que le recrutement appartient, in fine, au manager. 

C’est sur ce troisième message que j’ai choisi de m’attarder aujourd’hui dans cet article à savoir la place particulière du recruteur dans un processus de recrutement et les conséquences qui en découlent sur son rôle et sa manière de se positionner. C’est parti !

Le recruteur n’est pas décisionnaire

Dans son livre, Nicolas Galita rappelle que le recruteur n’est, majoritairement, pas décisionnaire dans le processus de recrutement.

S’il participe activement au recrutement sur les phases préparatoires (recueil du besoin, rédaction de l’annonce, sourcing, tri, premiers entretiens, passation de tests techniques…), son rôle s’arrête ou peut sembler s’arrêter, bien souvent, à la rédaction du compte-rendu du premier entretien. C’est ensuite le manager ou N+1 ou hiring manager, selon la terminologie que l’on préfère, qui prend le relais et qui décide, au final, de quel candidat il veut embaucher.

Perçue comme la personne qui « recrute » de bout en bout, décisionnaire donc des arbitrages et des choix effectués, le recruteur n’est, pourtant, pas la personne qui va réellement choisir le candidat retenu pour un poste. L’appellation est donc trompeuse. Le recruteur est, dans de très nombreux cas, un interlocuteur « chargé de tâches de recrutement » pour une tierce personne.

C’est, en effet, au manager même qu’appartient le recrutement. Ce positionnement, tout à fait atypique, fait toute la difficulté mais également tout le challenge de ce métier et impacte fortement la posture du recruteur. 

Car, comment se comporter et se positionner pour garantir la qualité des recrutements d’une organisation lorsque les choix finaux sont faits par d’autres personnes et majoritairement par les managers ? En voilà un défi intéressant que relève la majorité des recruteurs au quotidien ! Mais avant de creuser ce point, attardons-nous sur qui prend, dans les faits, la décision de recruter et/ou qui devrait dans l’idéal ?

Qui doit décider ? Le manager ? Le recruteur ?

Dans une majorité écrasante des cas, ce sont les managers, en France, qui sélectionnent le candidat retenu. Ils sont ainsi 85 % à participer à la phase du choix final selon une étude APEC de 2022 [2] et ils sont nombreux à être les ultimes décisionnaires.

Le recrutement appartient donc globalement au manager en France.

Extrait de l'étude "Focus le rôle des managers dans les recrutements" |novembre 2022 – APEC

Pourquoi ? Parce que c’est lui qui va être amené à travailler et à interagir au quotidien avec lui.  C’est lui qui va devoir remplir ses objectifs de manager avec ce collaborateur au sein de son équipe. C’est lui qui va le suivre et être chargé de le former, le suivre, le motiver et l’engager. Il semble donc normal que son choix et sa décision l’emportent sur celui du recruteur et des acteurs RH. 

Cela semble logique et couler de source mais à bien y regarder est-ce vraiment le cas ? Y a-t-il des alternatives ? Oui, elles font plutôt figure d’exceptions mais oui elles existent.

Anne-Marie Hussser, DRH d’Amazon, explique ainsi dans une interview [3] que si le manager est certes partie prenante du processus de recrutement, il n’est pas pour autant décideur. « En fait, [le jugement du manager] est forcément biaisé. Il a un calendrier à respecter avec l'urgence de pourvoir un poste pour renforcer son équipe. Il est tenté, certaine fois, de réaliser des choix de compromis. Son second biais repose sur son envie de travailler avec telle ou telle personne mais nous recrutons pour Amazon et pour le long terme, pas simplement pour étoffer une équipe ».

Ainsi chez Amazon, c’est ce qu’ils appellent un « bar raiser » qui va prendre la décision ou non de recruter. Il s’agit d’une personne, certifiée sur le processus de recrutement d'Amazon, qui anime le débrief des entretiens et prend la décision de recruter ou non le candidat guidé par cette seule question  « le candidat  fera-t-il parti des 50% des meilleurs recrues dans sa catégorie ? »

Au sein de certains cabinets de conseil, d’ESN et de start-up, c’est toujours un interlocuteur RH (responsable du recrutement, RRH, DRH…) qui prend la décision ultime de recruter et non le futur manager ou le futur ingénieurs d’affaires en charge de son suivi. Ces derniers sont trop focalisés sur le court terme et la possibilité de faire un placement et un + 1 dans leur équipe et ne prennent pas forcément en compte l’intégralité de la situation et le long terme. 

En théorie, je partage cette vision. C’est un recruteur ou un responsable du recrutement ou un interlocuteur RH qui doit arbitrer et sélectionner les meilleurs candidats pour l’organisation de manière générale et non pour un manager en particulier. Ce sont eux qui sont garants de la qualité du recrutement mais aussi de la performance au quotidien des collaborateurs. On ne doit pas embaucher un candidat juste parce qu’il a un fit spécial avec le manager car ce dernier peut très bien quitter la structure dans les prochains mois.

Mais si je partage cette vision ce n’est qu’en théorie car, dans les faits, imposer un candidat à un manager est contre-productif et voué à l’échec.

La faute en incombe à un biais cognitif bien connu appelé prophétie autoréalisatrise à savoir « ce que je prédis se réalise ». Dans ce cas précis, un manager qui a des réserves sur un profil se comportera différemment avec lui, de manière consciente ou non d’ailleurs, avec de grands risques que le nouvel embauché n’aille pas au bout de sa période d’essai. Il sera moins pédagogue avec ce dernier, perdra plus rapidement patience, ne retiendra que les éléments qui accréditent ses doutes et le vase se remplira jusqu’à ce qu’il prenne la décision de s’en séparer… Quant au candidat, s’il perçoit qu’il a été imposé malgré les réticences du manager, il risque d’être mal à l’aise et de moins bien performer concrétisant ainsi les doutes initiaux du manager.

Aussi, il me semble plus pertinent et sain que ce soit effectivement les managers qui décident des candidats qu’ils embauchent et qui rejoignent leur équipe mais toute la difficulté et le challenge du poste de recruteur consiste à avoir suffisamment préparé le terrain pour que les choix effectués par les managers soient les meilleurs non seulement pour eux-mêmes et leur équipe mais aussi pour l’organisation dans sa globalité. Une véritable gageure !

Recruteur, un chef d’orchestre avant toutes choses !

S’il n’est pas le décisionnaire final des candidats embauchés, le recruteur est cependant responsable de la qualité des recrutements ou a minima co-responsable avec le manager. 

Il doit avoir suffisamment œuvré en amont du choix final pour que ce dernier soit le bon. C’est ça la réelle réussite de tout recruteur. Réussir à se rendre éventuellement dispensable sur les phases purement opérationnelles du recrutement et l’arbitrage final sans que cela n’impacte la pertinence et la performance des recrutements.

Le rôle d’un recruteur est ainsi celui d’un véritable chef d’orchestre. Ce n’est pas forcément lui qui effectue et participe à tous les entretiens, ce n’est pas lui qui décide ou non de recruter mais c’est lui qui a posé le cadre global, c’est lui qui a architecturé le processus de recrutement, c’est lui qui a proposé et formé à une méthodologie pertinente pour que, in fine, chaque personne puisse, en toute autonomie, recruter de manière optimale et homogène.

L’essentiel du travail du recruteur se joue ainsi en amont de l’entretien candidat-manager et du choix final.

Pour parvenir à ses fins, 5 prérequis sont essentiels et incontournables :

1. 🤝 Nouer une relation saine, fluide et de confiance avec le manager : J’enfonce une porte ouverte mais il est primordial, pour un recruteur, d’établir une collaboration harmonieuse avec le manager pour lequel il recrute et cela afin de faciliter la réussite de ses recrutements. Pour ce faire, il est important d’écouter le manager afin de cerner au mieux ses besoins et attentes, de l’impliquer à chaque étape, de lui donner un maximum de visibilité et de le challenger le cas échéant. C’est seulement ainsi qu’un recruteur pourra se positionner comme l’expert en recrutement et qu’il assoira sa légitimité. Pour reprendre l’expression de Nicolas Galita, il faut que les recruteurs « s’allient aux managers » et créent une vraie relation avec eux. Cela passe principalement par de l’informel autour de la fameuse machine à café, à la cantine, en posant des questions aux managers sur leur métier, leurs enjeux, leurs prochains défis. Cela passe par la création de « moments de rencontre ». 

2. 🧠  Mettre en place un processus de recrutement réfléchi et adapté à l’organisation, aux postes à pourvoir et aux attentes des candidats : Pour ce faire, il convient de ne pas céder aux sirènes de la mode et des tendances ( 👋bye-bye recrutainment [4]) mais de se fonder sur les conclusions de nombreuses études en sciences sociales dont celles qui prônent le recours à l’entretien structuré. Pour rappel, la validité d’un entretien augmente proportionnellement à son degré de structuration.

3. 📚 Former les managers au recrutement : Pour que les managers - à qui appartient le choix final de recruter - sélectionnent les meilleurs futurs collaborateurs, il est indispensable de les former aux rudiments du recrutement (cadre légal - aspects réglementaires – critères de discrimination, identification des critères pertinents de recrutement, mise en œuvre de l’entretien structuré, manière d’effectuer un feedback aux candidats, fondamentaux de l’expérience candidat…). 

C’est une des conditions sine qua non pour qu’ils puissent faire les choix le plus éclairés et judicieux. Ils sont d’ailleurs 77 % à juger utile d’être formés pour mieux contribuer à la définition du profil et des compétences recherchées et 76 % à la réalisation des entretiens d’embauche. [2]

Extrait de l'étude "Focus le rôle des managers dans les recrutements" |novembre 2022 – APEC

4. 📍 Mettre en place des KPI et les suivre de manière régulière : « Ce qui ne se mesure pas ne s’améliore pas » ! Cette célèbre citation de William Edwards Deming s’applique parfaitement au recrutement. Un recruteur se soit de monitorer l’activité recrutement : qualité des candidats embauchés, taux de turnover, taux  de fin de période d’essai, délais de recrutement, satisfaction globale des candidats quant au processus… C’est seulement ainsi, en prenant en compte les retours du terrain et l’évolution des indicateurs qu’un recruteur pourra évaluer la performance de son processus de recrutement et l’ajuster, le remanier ou le refondre le cas échéant. « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ; Polissez-le sans cesse et le repolissez » Nicolas Boileau

5. 👀Rester en veille sur les évolutions juridiques et les nouvelles pratiques : Enfin, en tant que chef d’orchestre, tout bon recruteur se doit d’être en veille sur les actualités et les innovations liées à son secteur d’activité ( cadre juridique, nouveaux outils, évolution du marché du travail, attentes des candidats, nouvelles études en sciences sociales…). C’est seulement ainsi qu’il pourra conseiller au mieux son organisation et les managers et permettre ainsi de maintenir un niveau de qualité élevé et stable de l’activité recrutement.

Conclusion

A de très rares exceptions près, le recruteur n’est pas décisionnaire dans le processus de recrutement. Ce positionnement, assez atypique, fait d’ailleurs toute la difficulté mais également toute la saveur et le défi de ce beau métier.

Un recruteur est missionné par un manager pour l’accompagner au mieux dans son projet de recrutement mais c’est ce dernier qui a, globalement, le dernier mot. Dès lors, comment faire en sorte que le manager choisisse bien les meilleurs candidats et non, par exemple, les candidats qu’il apprécie le plus ?

That is the question… Eh bien, en se positionnant comme un véritable chef d’orchestre garant de la qualité globale des recrutements et en donnant aux managers toutes les clés, en amont, pour qu’ils fassent les choix les plus éclairés. Cela passe indéniablement par l’acquisition d’un solide bagage en recrutement, par la création d’une relation harmonieuse au quotidien avec les managers, par la formation des managers, par le suivi étroit d’indicateurs pertinents et par une veille active sur l’écosystème du recrutement.

Si le recruteur n’est pas celui qui choisit les candidats, il ne peut pas, pour autant, se laver les mains des choix effectués et ne doit pas se contenter d’être un simple fournisseur de candidatures préqualifiées aux managers. Si tel est le cas, il se fourvoie et ne remplit pas son rôle tel qu’il devrait le faire. 

« Strong recruiters will help hiring managers get candidates over the finish line by helping their companies create a positive candidate experience as well as organizing and managing the interview and offer process.  » [5]

« Les meilleurs recruteurs aideront les managers à faire passer la ligne d'arrivée aux candidats en aidant leur entreprise à créer une expérience positive pour les candidats et en organisant et en gérant le processus d'entretien et d'offre. »

Références

[1] « Le recrutement ne s’improvise pas »  de Nicolas Galita | avril  2024 – éditions Eyrolles

[2] Focus le rôle des managers dans les recrutements |novembre 2022 – APEC

[3] Article «  Recrutement Amazon : comment postuler, quel processus » | JDN, 2021

[4] Article Taleez « Que penser du « recrutainment » et des méthodes originales en recrutement ? »

[5] Livre “Evidence-Based Recruiting: How to Build a Company of Star Performers Through Systematic and Repeatable Hiring Practices (English Edition) » de Atta Tarki

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À propos de l'auteur·e
Marie-Sophie Zambeaux
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Fondatrice @ReThink RH, éditorialiste RH, host du podcast "Histoires de Recruteurs".