Les limites de la question des qualités et des défauts en entretien

Marie-Sophie Zambeaux
Les limites de la question des qualités et des défauts en entretien

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« Quels sont les qualités et défauts du candidat ? N’hésitez pas à mettre la personne en confiance lorsque vous posez cette question car elle est – à juste titre ! – redoutée des candidats. Et elle n’est finalement pas si souvent posée car les recruteurs l’appréhendent, craignant de susciter la gêne et de paraître inquisiteurs. […] Quand on questionne sur les défauts, c’est souvent à la deuxième ou troisième relance que l’on a la véritable réponse. » Extraits de « La méthode pour recruter les meilleurs: Les start-up qui réussissent partagent une recette : elles recrutent les meilleurs. Inlassablement. Avec méthode. ... et bâtissez une équipe imbattable » d’Antoine Freysz. [1]

Alors que je me réjouissais que la fameuse question « tarte à la crème » des 3 qualités et 3 défauts lors des entretiens de recrutement soit de plus en plus critiquée et tombe, petit à petit, en désuétude, j'ai été surprise de constater qu’Antoine Freysz, un entrepreneur à succès et au brillant parcours, préconisait fortement le recours à cette question dans son livre « La méthode pour recruter les meilleurs » publié en 2023.

Dans ce livre, non seulement il recommande de poser cette question mais il préconise même de revenir plusieurs fois à la charge et d’insister pour obtenir de vraies réponses et non de « faux défauts».

Comment vous dire,  je suis perplexe 😶… et le mot est faible ! Selon moi, si les recruteurs posent de moins en moins cette question ce n’est pas par appréhension ou crainte de susciter de la gêne mais parce qu’ils sont pleinement conscients de ses limites inhérentes et du fait qu’elle ne leur permettra pas de tirer grand-chose comme information pertinente. Je vous propose d’ailleurs de détailler ces limites dans cet article du jour. C’est parti !

Objectifs de cette question

Commençons par le commencement à savoir, quels sont les objectifs recherchés lorsqu’on fait le choix de poser cette question lors d’un entretien de recrutement ? Car oui, aucune question n’est neutre lors d’un entretien mais poursuit, au contraire, un ou plusieurs buts bien précis.

Il y a deux écoles concernant cette question :

  • La première école, c’est qu’on pose cette question afin d’obtenir de vraies réponses et d’en apprendre plus sur les réelles qualités et les réels défauts des candidats ;
  • La seconde école  - et j’aurais tendance à dire l’école majoritaire - est celle qui ne pose pas la question pour les réponses en elles-mêmes mais, avant toutes choses, pour voir comment le candidat va réagir face à ce questionnement.

Ma mission – et je l’ai acceptée – est de vous démontrer dans cet article que peu importe l’école à laquelle vous appartenez, cette question n’est guère pertinente et utile dans le cadre d’un processus de recrutement.

Pourquoi est-ce une mauvaise idée de recourir à cette question ?

Figure incontournable de tout processus de recrutement et passage quasi obligé, la question des 3 qualités et 3 défauts a commencé à perdre du terrain il y a une dizaine d’années sous le coup de nombreuses critiques et reproches.

Ces reproches peuvent être regroupés en 4 principales catégories :

😱 Une question qui déstabilise et/ou agace les candidats !

Le premier reproche à lui adresser, c’est que cette question n’est pas appréciée mais pas du tout par les candidats. Ils sont nombreux soit à la redouter, soit à être déstabilisés par cette dernière, soit à être horripilés et agacés. 

La principale raison ? Ils considèrent qu’elle n’a pour principal objectif que de les mettre en difficultés et de les piéger. En effet, s’ils avouent un défaut, ils risquent de fragiliser leur candidature mais s’ils ne répondent pas, cela leur sera inévitablement reproché. Le piège semble ainsi se refermer doucement mais sûrement sur eux et ce peu importe la réponse qu’ils apportent.

Or un entretien de recrutement n’a pas vocation à piéger les candidats. Loin de là et même au contraire !

Il ne faut, en effet, jamais perdre de vue que l’entretien de recrutement est « structurellement » un exercice déséquilibré et inégalitaire où le recruteur est manifestement « en position de force » puisqu’il joue en quelque sorte à domicile et sur son propre terrain.

Aussi inutile d'en rajouter sciemment en posant des questions pièges pour décontenancer les candidats dans le pseudo-espoir de capter un moment de vérité. Il me semble, au contraire, plus sain et pertinent de mettre à l'aise les candidats afin de les évaluer à leur maximum plutôt que de tenter de les déstabiliser.

Et dans un contexte de « guerre des talents » fortement concurrentiel, où les organisations éprouvent de grandes difficultés à recruter, éviter les questions qui déplaisent et agacent les candidats et soigner l’expérience candidat prodiguée me paraît, doux euphémisme, une piste à privilégier.

🎭 Une question préparée à l’avance !

Outre le fait d’être détestée, cette question est surtout bien connue des candidats et donc globalement archi-préparée et ce dès les études supérieures Il  existe d’ailleurs de nombreuses ressources pour donner des conseils sur les meilleures réponses à apporter à cette question.

Il est ainsi de notoriété publique que les candidats ne répondent pas la vérité à cette question mais vont piocher, parmi des listes toutes faites à disposition sur internet, des qualités et surtout des défauts qui ne leur porteront pas trop préjudice voire les mettront en valeur. Et qui pourrait le leur reprocher ?!?

A de rares exceptions près, les réponses données par les candidats ne sont donc pas sincères mais sont les réponses jugées les plus adéquates et les plus susceptibles de plaire aux recruteurs afin de bien se positionner et de décrocher le poste. Bref, tout cela est un jeu de dupes et n’apporte rien. Du temps perdu...           

Petite digression que vous me pardonnerez j’espère, cette propension à donner des réponses dans le but de se présenter de manière favorable aux autres plutôt que de refléter honnêtement ses propres opinions, attitudes ou comportements est un biais cognitif bien connu sous le nom de « biais de désirabilité sociale ». Les individus sont globalement influencés par le désir de paraître socialement acceptables ou désirables, ce qui peut fausser leurs réponses dans les enquêtes, les questionnaires et, plus largement, dans toutes formes d’interactions sociales. 

Assez logiquement et au vu de l’enjeu, ce biais cognitif est tout particulièrement présent et visible lors des processus et entretiens de recrutement. Un candidat va ainsi minimiser ses comportements socialement indésirables ou exagérer ses comportements socialement souhaitables afin de se conformer aux normes sociales perçues. 

Cela interroge fortement sur la validité et la pertinence des réponses apportées par les candidats, non ?!?

❓ Des réponses peu pertinentes et utiles !

Comme nous venons de le voir, les réponses apportées par les candidats sont de l’ordre du « pur déclaratif » et peuvent aisément ne pas être le reflet authentique de la réalité. 

En tant que recruteur, il y a ainsi de très fortes chances que vous passiez votre journée à entendre comme qualités le trio « rigoureux, dynamique et forte aisance relationnelle ». Quant aux défauts, alors là c’est encore plus « formaté » avec l’incontournable « j’ai les défauts de mes qualités » et les fameux « je suis un peu trop perfectionniste », « je reconnais, je suis un chouïa impatient » ou « j’avoue, je ne suis pas très politique ». Bref des défauts « bateau » qui ne porteront pas préjudice aux candidats. Après,  peut-on légitimement attendre de la part de candidats qu’ils dévoilent des défauts véritablement bloquants pour l’obtention d’un poste ?!? 

Jérémy Lorca vient d’ailleurs d’en faire un mini sketch hilarant sur Instagram. Il remet tout particulièrement en cause l’intérêt de cette question des trois défauts et y apostrophe les RH en leur demandant si on leur a, un jour, fait la réponse suivante : « Bah, écoutez, moi je me drogue tous les week-ends ; du coup le lundi et le mardi, je suis un peu en descente donc je ne suis pas très efficace. » [2]

Comme on peut le voir, ce genre de question insipide engendre généralement des réponses tout aussi insipides. A ces réponses formatées et attendues, s’ajoute également la problématique de réponses peut-être honnêtes et sincères mais dont on ne sait pas trop bien quoi en faire de manière concrète. 

Je m’explique : par exemple, que faire de la réponse d'une personne vous révélant qu'elle est mauvaise en prise de parole en public alors qu'elle est candidate à un poste de mécanicien ou de comptable ? Vous voilà bien avancé...

Difficile de tirer une conclusion utile et pertinente d’une question aussi large et vague ne ciblant pas précisément les critères du poste à pourvoir.

Ces réponses formatées découlant du « biais de désirabilité sociale » sont bien connues et depuis fort longtemps par les chercheurs en recherche sociale et scientifique. Ils ont ainsi recours à des techniques spécifiques pour atténuer l’impact de ce biais telles que l'anonymat des réponses, l'utilisation de questions indirectes pour obtenir des réponses plus honnêtes ou bien encore l’observation directe des participants. 

Si l’anonymat n’est pas une solution viable en recrutement, l’utilisation de questions indirectes - ou en tout cas moins directes que «  quelles sont vos qualités, quels sont vos défauts ? » - et centrées sur les compétences indispensables à la réussite d’un poste me semble une piste à privilégier - coucou entretien structuré 👋- tout comme la mise en situation réelle.

🤔 Impossibilité à évaluer la capacité réelle d’un candidat à s’analyser !

Dernier argument avancé par les défenseurs de la question des qualités et des défauts et par les tenants de la seconde école, on pose cette question plus pour étudier et évaluer la manière de réagir et de répondre des candidats que pour les réponses en elles-mêmes. 

Ce serait la réaction qui serait intéressante à étudier, à scruter et à analyser. Elle permettrait d’évaluer la capacité d’un candidat à prendre du recul sur ses pratiques, à se remettre en question, à être lucide sur ses propres forces mais également ses faiblesses, à faire preuve d’humilité en exprimant et avouant aussi bien ses qualités que ses défauts à un recruteur.

La réponse apportée permettrait de juger et de jauger de la capacité d’un candidat à s’auto-analyser, ce qui, je le concède, est une qualité importante pour tout candidat et, plus largement, pour tout être humain.

Mais si cela est très séduisant sur le papier, je pense qu’on se fourvoie en pensant de cette manière. 

En effet, vu qu'on ne connaît pas le candidat – hormis 45 à 60 minutes d’échange -, on est bien incapable d'émettre un quelconque jugement sur la justesse et la pertinence des qualités et défauts  mentionnés par ce dernier et donc sur son éventuelle lucidité !

Si quelqu’un que je viens de rencontrer à l’instant m’indique manquer de rigueur, comment puis-je savoir s’il dit vrai ou pas et s’il est ainsi lucide et conscient de ses propres limites ?!? Je serais bien en peine d’arbitrer sur le sujet et de tirer une quelconque conclusion sur son honnêteté et ses qualités d’introspection.

Conclusion

Comme vous l’aurez compris, je ne suis pas la plus grande fan de la « fameuse » question des qualités et des défauts. Pour tout vous dire, je me faisais même une joie de constater qu’elle commençait à disparaître de la panoplie des recruteurs pour devenir un vieux souvenir. Malheureusement, j’ai été surprise de découvrir que dans un livre de 2023 écrit par une personnalité connue du monde des affaires et des start-up, elle était non seulement préconisée mais fortement remise à l’honneur ! 

Comme j’espère avoir réussi à vous le démontrer, outre le fait de ne pas apporter de valeur ajoutée dans un processus de recrutement, elle a, de plus, tendance à déstabiliser les candidats voire les agacer ce qui, vous en conviendrez aisément, n’est guère un objectif recherché par un quelconque recruteur.

Aussi, par pitié, cessons avec cette question des qualités et des défauts qui, certes, stresse les candidats mais qui, surtout, n'apporte aucune information pertinente aux recruteurs ! C'est à ces derniers que revient la charge de débusquer et d'identifier les défauts ou plus exactement les freins à une éventuelle embauche. Pour ce  faire, je préconise plutôt le recours à l’entretien structuré, aux questions comportementales et situationnelles ainsi qu’aux mises en situation concrètes.

PS : un passage de ce livre, centré sur la question des qualités et des défauts, avec lequel je ne suis pas d’accord m’a inspiré cet article. En revanche, je reconnais que ce livre a le grand mérite d’insister sur l’importance à accorder au recrutement et sur la nécessité de mettre en place une réelle méthodologie et des processus bien définis en amont.

Références

[1] « La méthode pour recruter les meilleurs: Les start-up qui réussissent partagent un recette : elles recrutent les meilleurs. Inlassablement. Avec méthode. ... et bâtissez une équipe imbattable »  d’Antoine Freysz | avril  2023 – éditions Eyrolles

[2] Sketch de Jérémy Lorca

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À propos de l'auteur·e
Marie-Sophie Zambeaux
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Fondatrice @ReThink RH, éditorialiste RH, host du podcast "Histoires de Recruteurs".