S'extraire de l'injonction de chasser l'intuition pour la questionner

Pierre-André
S'extraire de l'injonction de chasser l'intuition pour la questionner

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L’intuition ?

L’intui quoi ? 

L’IN TUI TION

Ah ça ! 

Sujet épineux, clivant ? Dans lequel s'affrontent sensualistes et rationalistes. 

Pas une semaine sans un post sur le sujet ! Du supra sensoriel, au crypto-rationaliste, flair, feeling sixième sens pour les uns, charlatanisme ésotérique ou divinations bancales pour les autres, chacun y va de son argumentation, avec même parfois probabilités et statistiques à l’appui !

Mais au fait de quoi parlons-nous ? 
Vous reprendrez bien un peu d’étymologie ? 

Le mot Intuition vient du latin intuitio « acte de voir d’un seul coup d’œil » ou, selon le Gaffiot, « image réfléchie par un miroir ». Quant au verbe intuitere, il est défini comme “arrêter son regard sur quelque chose », « voir à l'intérieur ». 

Si l’étymologie porte une certaine polysémie en soi, l’intuition est aussi vue au travers de l’histoire comme l’Euréka d’Archimède, l’évidence première prémisse du raisonnement chez Descartes, l'inspiration poétique, les « images intérieures soudaines » ou le « discernement » chez Lorenz. À l’inverse, chez Spinoza, l’intuition est ce à quoi l’esprit arrive après une étude faite de manière rationnelle, c'est donc un résultat.

Par-delà les écoles philosophiques, selon les dictionnaires modernes, l’intuition est définie tantôt comme une « une forme de connaissance immédiate qui ne recourt pas au raisonnement », « un savoir instantané sans interposition de signes ni de procédés expérimentaux ou déductifs »,  « un acte simple par lequel on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et d'inexprimable ».

Dans le sens commun, l’intuition se réfère donc à « une forme de connaissance immédiate qui ne recourt pas au raisonnement », « un savoir instantané sans interposition de signes ni de procédés expérimentaux ou déductifs ».

En ce sens, l'intuition se différencie et s’oppose à la pensée réfléchie, discursive. 

Par ailleurs, elle ne porte pas en elle de garantie de validité : elle peut être tantôt vraie tantôt fausse, parfois fantaisiste, toujours fulgurante. L’intuition n’a que faire de la Vérité et du Réel. 

On ne compte plus ces histoires de dirigeants qui, sur une fulgurance, précipitèrent leur entreprise dans le mur… Alors que parfois, une simple évaluation de l’opération aurait suffi à écarter la catastrophe

C’est ainsi que le président Quaker, sur sa seule intuition, lance sa multinationale dans une l’acquisition hors de prix de Snapples, convaincu de reproduire un coût génial opéré avec Gatorade quelques années auparavant… Faisant fi des conseils, repoussant études et audits, il précipite son groupe dans une cette aventure hasardeuse… Celle-ci lui coûtera son poste et son groupe fragilisé sera finalement repris par Pepsi. Pour critiquer un prix déraisonnable et un trop important dans une acquisition les banquiers d’affaires ont depuis lors une expression : C’est un Snapples ! 

De même, aveuglé par une confiance en son intuition disproportionnée, Dick Fuld, président de Lehman Brothers, leader charismatique et instinctif, ne sut ou ne voulut pas anticiper les risques du marché immobilier américain, ni adapter sa stratégie face à la crise financière et resta sourd aux conseils de ses collaborateurs ou des autorités financières, se pensant plus visionnaire. La faillite de sa banque précipita la finance mondiale dans la crise financière la plus grave depuis 1929. 

Si ces exemples illustrent à quel point notre intuition peut faillir, nous ne pouvons pas non plus occulter qu'il est de certaines intuitions heureuses. Toutes ne finissent pas en catastrophe. 

Prenez ce Capitaine des pompiers qui par intuition fait évacuer son équipe d'intervention quelques instants avant que le plancher de la pièce où ils opèrent ne s'effondre. Où ce libéro qui sous la pression de l’attaque passe la balle au bon joueur pour que ce dernier égalise à la dernière minute du match ! 

Questionnés sur ce qui a pu motiver ces décisions, notre capitaine ou notre libéro ne sauraient l’expliquer de manière logique et rationnelle : perceptions extrasensorielles, prémonitions, visions ? 

Et si l’intuition était une fulgurance de la pensée ? 

Gary Klein, chercheur en psychologie, est un pionnier de " l'école naturaliste de la décision ". Une grande partie de son travail fut consacrée à l'observation de professionnels dans des situations réelles.

Ses explorations lui permirent d’observer des situations où alors que le contexte et les enjeux commandaient une analyse précise afin d’envisager les différentes options, pour en déduire la meilleure solution, bon nombre de professionnels étudiés, s’affranchirent de ce modèle pour prendre des décisions importantes et parfois lourdes de conséquences en quelques secondes.

Quel est le guide de ces décisions ? 

S’il serait commode d’imaginer un sixième sens, ou de penser que certains individus puissent être dotés de pouvoir surnaturels. 

Les travaux de Gary Klein firent émerger le concept de " décision enclenchée par la reconnaissance " (recognition-primed decision). 

En ce sens, l'inspiration salvatrice serait en fait la capacité à reconnaître des analogies entre la situation actuelle et une situation antérieure. Par reconnaissance de ces patterns ou motifs situationnels déjà appréhendés l’individu peut alors décider.

Cette décision se fonde sur une compréhension globale de la situation, elle est immédiate et se manifeste sans recours au raisonnement.

Ainsi durant son intervention notre capitaine des pompiers perçoit un certain nombre de signaux objectifs.

En entrant sur les lieux d’intervention, un salon d’appartement, il remarque une température très élevée dans la pièce, mais aussi un volume sonore de l’incendie incohérent avec ses premières suppositions : un départ de feu dans la cuisine voisine. 

De même si le faible volume sonore peut être lié au fait que l’incendie débute, la température élevée régnante invalide son hypothèse. L’ensemble des signaux perçus sont alors incohérents avec le scénario qu’il projette - à savoir un foyer présent dans la cuisine qui se serait propagé dans le salon. 

Face à cette dissonance cognitive, il décide d’évacuer. 

La prise de décision s’est fondée sur la reconnaissance ou plutôt non reconnaissance d’un pattern connu. C’est donc l’expérience et la capacité d’identifier des signaux faibles qui a prévalu dans la prise de décision. C’est du reste ce que nous pouvons observer chez bon nombre de professionnels et c’est un peu ce que nous recherchons chez l’expert. 

C’est comme le Nutella: 50 ans d'existence (feront toujours la différence) ! 

pot de nutella

Ainsi donc, plus nous avançons dans notre pratique professionnelle, meilleurs nous sommes. 

C’est le sens de l’adage : “si jeunesse savait, vieillesse pourrait ! ” 

Voilà qui donne des perspectives aux recruteurs expérimentés ! 

De là à penser qu’en fin de carrière nous serons semblables aux Précogs de Philippe K. Dick, il n’y a qu’un pas.

Et pourtant ! Les experts se trompent ! 

Daniel Kahneman, psychologue et économiste & prix Nobel d’économie, travaille depuis de nombreuses années sur les biais cognitifs. Ses principales découvertes portent sur les anomalies boursières et les biais cognitifs et émotionnels qui les causent.

Les travaux de Kahneman viennent ainsi largement contredire l'omniscience de l’expert défendue par Klein.

Kahneman relève et pointe d’innombrables erreurs commises par les experts : selon lui, ces derniers surestiment la pertinence de leur expérience et leur capacité à extrapoler commettant ainsi de lourdes erreurs de jugement.

Demandant à des experts statistiques d'évaluer la taille d’un échantillon pour une étude, et bien qu’il existe des outils et formules pour déterminer la taille optimale desdits échantillons, les statisticiens préférèrent se fier à leur habitude et firent des estimations “à la louche”. Ces dernières se révélèrent erronées, engendrant, lorsque trop importantes, des surcoûts pour études ou, lorsque l’échantillon trop juste, l'incapacité d'en tirer des résultats pertinents.

Pour autant, ces experts étaient loin d’être débutants sur le sujet et avaient acquis une expérience qui supposait une capacité à tomber juste…

En matière de prévisions, l’intuition semble bien mauvaise conseillère. Prenons les intuitions économiques ou politiques de certains de nos experts et regardons combien de ces prévisions se virent confirmer à l’aune de l’analyse voire de l’histoire. En ce sens les travaux de Philip E. Tetlock démontrèrent que s’il pouvait être possible d’établir une prévision à court terme assez précise, les prévisions à long terme obtenaient les mêmes résultats avec le hasard ou lorsque des non-spécialistes s’exprimaient sur le sujet. 

Dans ce domaine éminemment " irrégulier ", l'intuition de l’expert est totalement dénuée de valeur. 

C'est à n'y rien comprendre ! 

À lire la synthèse des travaux de ces brillants chercheurs, j’en perds mon latin. 

Pourquoi est-ce que dans certains cas, il semble que l’intuition soit pertinente ? 

Et alors qu’émerge la notion d’expertise et de motif, cette même expertise devient alors la limite chez l’autre. En poussant un peu, l’intuition de l’expert est positive chez Klein et négative chez Kahneman ! 

Conscients de cette opposition, les deux chercheurs bien loin de rester campés sur leur position respective, travaillèrent ensemble afin de dépasser cet antagonisme primaire. 

En 2009, ils publient « A failure to disagree », article d’anthologie. Ils y traitent la place de l’intuition dans le processus décisionnel.

Il ressort de ces travaux de synthèse un accord sur la validité de l’intuition dans la prise de décision dès lors que trois éléments sont réunis : 

  • L’environnement se révèle suffisamment régulier pour être prévisible ; 
  • Le sujet dispose de la capacité d'apprendre de ces régularités grâce à une pratique durable ", 
  • Le sujet est en mesure de recevoir un feedback rapide et clair. 

Dans cette approche, Kahneman concède à Klein, le fait que l’intuition puisse être la reconnaissance de situations déjà rencontrées, et que ce faisant l’individu peut s’y fier quand il a appris à reconnaître ces situations et à adopter la bonne conduite face à elles.

Pour autant cette approche n’est valide qu’à partir du moment où il y a une stabilité de situation, une possibilité de feedback immédiat - avec un acteur entraîné. 

C’est le cas pour notre pompier, ou notre libéro rencontré plus haut dans l’article. Ils évoluent dans des environnements qui leur sont familiers, connus, dont ils ont pu apprendre parfois même bien plus qu'ils n'en ont conscience.

Et dans le recrutement, qu’en est-il ? 

Si nous restons sur la logique de Kahneman et Klein quant à la validité de l’intuition dans la prise de décision sur un sujet comme le recrutement : le sous-jacent sera alors de savoir si la personne qui recrute a pu développer une expertise réelle dans un contexte suffisamment stable et qu’il ait pu ensuite avoir un feedback clair et rapide sur la pertinence de ces recrutements.

Dans le cas d’un professionnel du recrutement, il est vraisemblable d’acquérir une expérience similaire à celle de notre capitaine des pompiers ou notre libéro. 

Néanmoins, s’il est imaginable de développer une pratique suffisamment conséquente, et ce dans un environnement relativement stable, il est assez rare d’obtenir un feedback immédiat sur la pertinence d’une décision de recrutement. 

Dans un processus d’apprentissage le feedback, ou retour, est ce qui permet à l'apprenant de valider l’acquisition d’un savoir. Autrement dit, il valide ou non la justesse de la décision.

La pertinence d’une décision de recrutement s’apprécie rarement immédiatement mais dans le temps. 

De plus, l’expression “bon recrutement” sanctionne bien plus un parcours effectué dans l’entreprise et une contribution qu’une simple décision d’intégrer ou non une personne.

J’ai donc beau avoir du nez ! Me fier à mon flair ! À cette intuition si perspicace ! La décision qui en découle est bien plus liée au "j’aime/j’aime pas !" qu’à un processus rationnel ou à ma génialissime inspiration d’évaluateur ! 

On n'a pas deux fois l’occasion de faire une première impression ! 

Alex Todorov, chercheur en psychologie à l’université de Princeton s’est intéressé à cette première impression. Ces travaux lui ont permis d’observer comment nous répondons intuitivement à un nouveau visage : Le temps de réponse est si rapide, que nos capacités de raisonnement n’ont pas le temps d’influencer la réaction. Notre cerveau décide en un dixième de seconde si une personne est attirante et fiable. 

Todorov poursuit ses travaux par des tests semblables où il demande de juger de la compétence des personnes à leur simple présentation. Là encore sans surprise, les personnes exposées à de nouveaux visages décident en quelques instants si les individus présentés paraissent compétents ou non. 

Si la décision peut évoluer à la faveur de l’exercice de la pensée et du raisonnement, Todorov indique que la première impression induit tout de même un biais puissant sur l’évaluation qui pourra s’estomper voire s’inverser à mesure que les personnes commenceront à mieux se connaître.

Plus j’avance, et plus je suis enclin à me défier de cette intuition trompeuse ! Facétieuse, elle ne cesse de se jouer de moi ! Plaisantant de mes biais, elle ne cesse de me renvoyer à ma mesquine subjectivité ! 

Vraiment ? Que dire alors de ces articles louant l’intuition dans nos prises de décisions ? Que penser des travaux du chercheur Gerd Gigerenzer sur l'étude de la rationalité limitée et sur la place de l’instinct dans nos décisions ? 

Plus qu’une cause ou un symptome,  n’est-il pas temps de considérer l’intuition comme un moyen ? 

"L'esprit intuitif est un don sacré et l'esprit rationnel est un serviteur fidèle. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et a oublié le don".

Nous devons cette citation à Albert Einstein, l’un des esprits les plus éclairés du XXe siècle. 

Par-delà la citation, la légende voudrait que ce Génie conçût la théorie de la gravitation en imaginant une chute depuis la chaise sur laquelle il était assis. 

Je compris soudain que si une personne est en chute libre, elle ne sentira pas son propre poids. J’en ai été saisi. Cette pensée me fit une grande impression. Elle me poussa vers une nouvelle théorie de la gravitation.”

Les exemples d’intuition soudaine, de ces Euréka, sont légion dans l’histoire des Sciences. Descartes, lui-même revendique l’usage de l’intuition dans la recherche de la vérité comme préambule à la démarche discursive. 

Pour Poincaré , “Il est impossible d’étudier les Œuvres des grands mathématiciens, et même celles des petits, sans remarquer et sans distinguer deux tendances opposées,  [...] Les uns sont avant tout préoccupés de la logique ; [...]. Les autres se laissent guider par l’intuition et font du premier coup des conquêtes rapides, mais quelquefois précaires, ainsi que de hardis cavaliers d’avant-garde.

Et de conclure :

C’est avec la logique que nous prouvons et avec l’intuition que nous trouvons.”

Citation, vaut-elle démonstration ? 

Certes, non mais elles nous rappellent que les sciences dures reconnaissent un rôle majeur à l’intuition dans les découvertes. 

La science est l’aire d’expression favorite de la démonstration. Dans cette perspective, il convient d’apporter la preuve de ce qui est avancé. À force de logique, inductive, déductive et analogique, le scientifique démontre le bien-fondé de sa théorie. 

Peu de place ici à la fulgurance ! Le rationalisme est ici à l’œuvre. Et pourtant, l’intuition est souvent l’étincelle qui embrasa cette démarche. 

Plus qu’une cause ou un symptôme, l’intuition est à l’origination de la démarche analytique.

Des Origines et des fins 

Sous cette perspective ne pourrions-nous pas reconsidérer l’apport de l’intuition dans le recrutement ? 

Dans l'instantanéité d’un jugement et d’une évaluation à l’emporte-pièce, l’intuition se montre bien mauvaise conseillère, inapte à recruter en somme ! 

Mais, plutôt que de la considérer comme une fin en soi considérons-la comme un moyen, c’est-à-dire comme prémisse au raisonnement. Comme, ce détecteur de signaux faibles ? 

Combien de fois ai-je entendu, Untel je le sens bien sur le poste ou untel je ne le sens pas.

Qu’importe en définitive que je les sente, il est peu probable qu’on le laisse faire ! 

Ce qui m’importe sera de comprendre pourquoi j’ai ressenti et pensé que tel ou untel le ferai ou pas. 

Quels sont les éléments factuels qui viennent soutenir ce qui à ce stade tient plus du sentiment que d’une pensée étayée. 

Reprenons un instant l’approche de Kahneman et Klein : considérons cette fois non plus le recrutement dans sa finalité, mais uniquement le moment de l’interview.

L’entretien peut être un moment assez technique où l’interviewer recherche à valider si le projet pour lequel il recrute est conforme au projet du candidat interviewé et si en définitive la demande de compétences est ajustable à l’offre de compétence. 

Schématiquement, l’interviewer analyse des écarts entre sa demande de compétence et l’offre de compétence du candidat. 

L’interview est alors un élément stable de la pratique de l’interviewer, Dans cet exercice, l’interviewer a la capacité d’obtenir un feedback immédiat de la part de son interlocuteur. Le feedback s'apprécie ici à l'aune des réactions du candidat interviewé - bien que parfois sujettes à interprétation, elles permettent à l’interviewer d’ajuster son questionnement afin d’obtenir des éléments factuels lui permettant d’établir une analyse quant à la convergence ou divergence des projets. Ce faisant l’interviewer est en mesure aussi d’apprendre et d’affiner sa technique de questionnement d’une interview à l’autre. 

Dans cette perspective nous retrouvons là la possibilité de développer l’approche de Klein sur la " décision enclenchée par la reconnaissance ". 

L’intuition est alors au service de l’interview non pas pour évaluer la pertinence de la candidature, mais pour guider l’interviewer dans son questionnement afin de collecter des informations structurées et structurantes destinées à lui permettre cette fois-ci d’évaluer l’offre de compétences; l’intuition se met ici au service de l’analyse. D’une certaine manière, elle la guide, d’autant plus fortement que l’interviewer développe son expertise de l’entretien. 

Dans cette approche, il n’est plus question de nez, flair et autre sixième sens mais de développer et d'entraîner son écoute active, d’apprendre à connaître ses biais pour mieux les tenir à distance, d’apprendre à prendre du recul. 

Dans cette perspective, l’interviewer développe une expertise dans la conduite d’entretien et développe ainsi des réflexes dont à terme il n’a plus conscience. 

C’est en substance ce que défend Fernand Gobet, professeur en psychologie à l’université de Liverpool. 

Pour cet universitaire, l’intuition est perçue comme “la reconnaissance rapide et automatique de motifs ou de relations entre les éléments de notre environnement”.

Dans une perspective de pratique assidue d’une discipline, où notre cerveau est exposé à des motifs, il constitue une base de données qu’il est capable d’exploiter instantanément lorsqu’il reconnaît une situation familière. L’intuition agit alors dans ce cas en défricheur. Cette habileté grandit avec l’expérience. Maître des échecs, F. Gobet a conduit une grande partie de ses observations dans cet environnement familier. Il y observe aussi que certains processus de jeux s’ils font appel à une démarche cognitive consciente chez les débutants, cette dernière tend à s’estomper dans le temps par la pratique. 

Cela ne va pas sans rappeler certaines remarques de recruteurs débutants expliquant parfois les difficultés qu’ils rencontrent dans la conduite d’entretiens. 

Ainsi chez les recruteurs débutants une partie des processus cognitifs, liés à l'écoute, à la formulation d’hypothèses et la compréhension du discours se font d’abord de manière consciente - impliquant un temps de réflexion parfois laborieux durant l’entretien, ce qui peut parfois nuire à la fluidité de l’interview. Mais plus ils avancent en expérience, plus cette réflexion s’opère de manière inconsciente. 

photo de légo

C’est pour cela qu’il sera difficile de parler d’intuition chez un novice. Pour parler d’intuition, il faut que la décision prise de cette façon livre un résultat meilleur que le hasard. 

Cela n’est possible qu’à partir du moment où l’interviewer aura développé un minimum d’expérience puisque c’est cette expérience qui rejaillit au moment de la prise de décision instantanée.

L’intuition ne doit s’envisager donc qu’en corrélation avec la connaissance d’un sujet où elle s’opère, sans cela, il s’agit ni plus ni moins que de hasard. 

Une question cependant reste en suspens ? L’influence de l’imaginaire dans la création d’intuition

Si l’intuition découle en partie de la mobilisation de notre mémoire, peut-on alors la nourrir par l’apprentissage de situations données à l’image du joueur d’échecs mémorisant des parties historiques.

Dans quelle mesure, la fiction ne pourrait-elle pas nous inspirer la reconnaissance de motifs et plus largement favoriser notre capacité d’interaction sociale et notre intuition. 

C’est en partie ce que l’on pourrait déduire d’une étude menée par le chercheur en psychologie social David Dodell-Feder de l’Université de Rochester - Dans une méta analyse menée par son équipe sur 14 études en psychologie sociale en 2018, il ressort un lien entre la cognition sociale et l’exposition à la fiction et la littérature entre autres. Lien tenu mais pourtant réel, qui permet d’adopter le point de vue de l’autre, et de développer la capacité à l’empathie.

La littérature présente l’avantage de pouvoir expérimenter, à travers la fiction, des situations improbables. Ce faisant, l'œuvre de fiction nous permet d’adopter un regard sur le monde au travers des différents narrateurs et auteurs, ce sont autant de vies que l’on multiplie, et autant d’expériences acquises au fil des pages.

L'intuition, l’imaginaire sont des leviers et des composants puissants de la pensée, dès lors qu’ils ne règnent pas en maître mais entre en résonance avec la raison. 

Des pensées sans matière sont vides, des intuitions sans concepts sont aveugles.” Kant

Références

Gary A. Klein, (1998) "Sources of Power: How People Make Decisions", MIT Press, Cambridge, Mass, pp. 1–30.
Daniel Kahneman & Gary Klein, (2009), “Conditions for Intuitive Expertise : A Failure to Disagree”

David Dodell-Feder, (2018), “Fiction reading has a small positive impact on social cognition: A meta-analysis.”

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