… et 2 de la garder. Il y a match !
Est-ce qu’il faut, oui ou non, interroger les candidats sur leurs loisirs ?
Voilà une question aussi clivante que celle de tolérer l’ananas sur la pizza.
Pour l’ananas, c’est non.
Pour les loisirs, je te laisse te faire ton propre avis.
Dans cet article, je te propose 3 arguments archi-contre.
Mais aussi 2 arguments pour.
Qui pourraient peut-être, après tout, faire pencher la balance.
Raison n° 1 : C’est illégal.
Tu savais qu’en France, poser la question des loisirs en entretien d’embauche, c’est une pratique illégale ?
Oui : Félicitations, tu es au point sur ton Code du travail.
Non : Merci pour ton honnêteté. Je ne suis pas surprise.
L’année dernière, on a réalisé un sondage sur la page Linked In de L’École du Recrutement.
Rien de scientifique, mais intéressant à titre indicatif.
Plus de 1500 personnes ont répondu, et… 80 % d’entre elles ignoraient que c’était une question interdite !
Pourtant, l’article L. 1221-6 du Code du travail est très clair.
« Les informations demandées, sous quelques formes que ce soit, au candidat à un entretien ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles. »
Est-ce qu’il y a un lien direct entre le conservatoire de trompette et le poste de responsable commercial ?
Non.
Alors, la question ne se pose pas. Au sens littéral : alors, tu n’as pas le droit de poser la question.
Demander : “Qu’est-ce que vous faites de votre temps libre ?” c’est une intrusion dans la vie privée des personnes.
De la même manière, on ne peut pas leur demander si elles ont des animaux, si elles sont fumeuses, ou si elles ont des enfants.
Raison n° 2 : Ce n’est pas pertinent.
Dans le recrutement, on doit se concentrer sur les compétences et les aptitudes professionnelles nécessaires pour le poste.
Et les loisirs ne sont pas des indicateurs fiables de compétences et d’aptitudes.
Imaginons qu’on reçoit le CV d’une personne qui indique : “Loisirs : foot en club.”
Je ne prends pas cet exemple au hasard. C’est la fédération qui compte le plus de licenciés en France. Plus de 2 millions de personnes.
Quel est le point commun de ces 2 millions de personnes, à part leur licence de foot ?
Est-ce que vraiment il y en a un ?
Il serait absurde de dire que leur point commun, c’est d’avoir un bon esprit d’équipe.
Pourtant, c’est une généralisation qui est très courante dans le recrutement.
De la part des managers, mais aussi, et c’est plus grave, de la part des recruteuses et des recruteurs.
Les clichés sur les loisirs ont la vie dure :
Sport collectif = esprit d’équipe, capacité à collaborer et à communiquer.
Sport individuel = ambition, auto-discipline et persévérance.
Voyages = ouverture d’esprit, adaptabilité et curiosité culturelle.
Lecture = curiosité intellectuelle, capacité d'analyse et réflexion.
Les qualités que l'on projette d'un loisir ne veulent rien dire de la personne.
En plus, une compétence dépend de son contexte.
Reprenons notre exemple du foot en amateur.
Le postulat : Une personne qui joue au foot a un bon esprit d’équipe et une bonne capacité à collaborer.
Dans le contexte du football, collaborer, ça serait :
- passer le ballon et faire des passes décisives plutôt que de tenter une action en solo,
- communiquer avec ses coéquipiers pour coordonner la stratégie de jeu,
- revenir en défense pour aider ses coéquipiers quand ils perdent la possession de balle.
Mais dans un contexte professionnel, collaborer, ça serait plutôt :
- être réceptif aux idées des autres,
- prendre et donner du feedback pour améliorer son travail et celui de l’équipe,
- apporter des idées constructives aux discussions de groupe et aux réunions .
C’est déjà un raccourci très serré de penser que les personnes qui font des sports d’équipe ont un état d’esprit de collaboration.
Mais alors de penser que cet état d’esprit sur le terrain se transpose au contexte de l’entreprise ?
Improbable.
Raison n° 3 : C’est discriminant.
La chercheuse américaine Lauren Riviera a analysé les pratiques de recruteurs en cabinet, et elle a remarqué qu’ils privilégient des personnes avec qui “ils aimeraient passer du temps.”
C’est le principe du test de l'aéroport - encore proposé dans certains best-sellers du management.
Le test en question : “Est-ce que tu voudrais être coincé dans un aéroport avec ce candidat ? S’il serait de bonne compagnie, c’est bon. Sinon, c’est non.”
C’est ce que vulgarise Nicolas Galita dans son article : “L’étude qui montre qu’on cherche toujours à se recruter soi-même”.
Sous couvert d’évaluer le “fit culturel”, les recruteurs évaluent en réalité si la personne partage ses affinités personnelles.
Ils utilisent leurs propres expériences comme grille d'évaluation.
Par exemple, un recruteur sportif valorisera les candidats sportifs, tandis qu'un recruteur académique valorisera le parcours scolaire.
Sur la question des loisirs, l’étude va encore plus loin. Elle démontre que les candidats qui indiquent avoir des loisirs associés aux milieux les plus aisés sont favorisés.
Concrètement, une candidate qui indique “Loisirs : ski alpin, voile et collectionneuse d’art contemporain” aura plus de chances d’être choisi qu’une candidate qui mentionne “Loisirs : jeux de société, ukulélé et cueillette de champignons”.
Évidemment, aucun recruteur n’assume faire ça de manière consciente - et heureusement.
Mais les biais sont bien là : inconscients.
Quand j’étais recruteuse, je me souviens d’un candidat qui avait mentionné sur son CV un intérêt pour une race de chiens que j’aime beaucoup (l’épagneul breton !). Pour être honnête, je ne me souviens pas si je l’avais spécifiquement interrogé dessus. Mais dans l’échange, il me dit qu’il chasse avec son chien. Ascenseur émotionnel : je ne comprends pas du tout cette passion, et disons le clairement : je suis anti-chasse. J’ai essayé d’en faire abstraction, mais je me souviens très bien avoir pris sur moi pour défendre son profil à la réunion business hebdo.
Alors, on l’enlève, cette rubrique “loisirs” ?
Maintenant que tu es convaincu(e) de l’inutilité d’aborder la question des loisirs en entretien… Laisse-moi semer le doute ! Elle n’est vraiment jamais utile ? À deux détails près.
On la garde pour les expériences de bénévolat.
Quand la seule différence entre une expérience professionnelle et une expérience de bénévolat, c’est le fait d’avoir une rémunération en contre-partie … ça justifie une place sur un CV.
Par exemple, en ce moment, c’est la Coupe de France du Recrutement. On est au stade de la demi-finale. Les recruteuses et recruteurs en compétition ont reçu un brief de poste. Leur mission est d’écrire l’offre d’emploi associée.
Il s’agit du poste de Référent Ressources Bénévoles pour les Restos du Cœur.
Le job : répondre aux candidatures, rechercher et recruter des bénévoles, gérer et suivre les intégrations, comptabiliser le temps de bénévolat des personnes, …
Bref : des missions qui nécessitent de vraies compétences.
Simplement… c’est un travail bénévole.
Pas de contrat de travail = pas une expérience professionnelle.
Pour autant, cette expérience associative pourrait totalement fournir des “informations avec un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles.”
Du coup, ça serait très pertinent d’en discuter.
On la garde si elle sert uniquement d’ice-breaker.
On vient de revoir la règle du Code du travail.
Alors précisions que, ce qui est interdit, ce n’est pas de parler des loisirs. C’est de se baser sur les loisirs de la personne pour évaluer ses compétences aux postes.
En revanche, on a tout à fait le droit de parler de ses passes temps en dehors du cadre de l’évaluation.
Par exemple, au début ou à la fin de l’échange, pour avoir un moment de conversation plus spontané, moins formel.
Dans ce contexte-là, les loisirs peuvent être le sujet de conversation facile. Comme la pluie, le beau temps, les JO, les problèmes de stationnement en ville,…
Conclusion
Il est crucial de se rappeler que l'objectif principal du recrutement, c’est de trouver les compétences nécessaires pour le poste, et pas de chercher des affinités personnelles.
Si les loisirs sont mentionnés, ils ne doivent jamais être utilisés pour évaluer les aptitudes professionnelles du candidat.
Et toi, quel est ton avis ? Retirer ou conserver cette rubrique ? Le débat reste ouvert et je suis curieuse de te lire en commentaire !