« Les candidats sont gentils, les Recruteurs sont méchants. » Et si nous sortions de cette caricature pour prendre un peu de hauteur ?
C’est d’ailleurs ce que suggère Isabelle BIZE, Chargée de Recrutement IT :
« Moi je ne supporte plus qu’on fasse porter la faute de pratiques sociétales ancrées et vieillissantes à tour de rôle aux candidats ou aux recruteurs. J’aimerais qu’on puisse réfléchir avec beaucoup plus de hauteur aux sujets qui posent problème et qu’on tende tous ensemble à instaurer de bonnes pratiques. »
Le recrutement est un domaine en constante évolution, au fil du temps, des évènements et de ses révolutions, les Recruteurs doivent se renouveler constamment.
Parmi ces évolutions, quelques sujets brûlants régulièrement abordés, qui à force d’échanges, font eux aussi évoluer le métier.
Quels sont donc ces sujets à débat ? Pourquoi font-ils débat ?
Au-delà de dénoncer, comment améliorer et résoudre les problématiques recrutement, sans tomber dans de l’injonction ?
Cet article, tout en nuance et tout en transparence, vous apporte justement quelques pistes de réflexion, sans aucune incrimination, mais beaucoup de bienveillance.
La digitalisation du recrutement, un do ou un don’t ?
La digitalisation est venue bouleverser les codes du recrutement ces dernières années et est reconnue comme un réel progrès. La période COVID a notamment boosté le recours à la vidéo et à la visio. C’est indéniable, elle fait gagner du temps.
Elle répond aux attentes des nouvelles générations hyper habiles et à l’aise avec des supports différents, des campagnes de recrutement sur les réseaux sociaux, (la SNCF l’a fait sur TikTok en 2021), aux entretiens visio différés, en passant par le CV vidéo.
Toutefois, Sébastien DRAGON, Assistant RH en recherche d’emploi nous dit «Je fais partie des 42% de l’étude 2022 sur l’expérience candidat menée par Yaggo, CAASK et l’IFOP, se disant découragés lorsqu’un process de recrutement requiert de répondre à des questions dans une vidéo. La vidéo je trouve ça tellement impersonnel, il n’y a pas le contact humain avec un Recruteur.»
Si la digitalisation remet en question la proximité, que se passe-t-il pour les agences de travail temporaire qui très souvent, sont considérées comme des acteurs proches de leurs intérimaires, quand leur direction digitalise de plus en plus leurs pratiques ?
Et quid des candidats peu agiles avec les nouvelles technologies, quand d’autres font des prouesses techniques : la digitalisation ne renforce-t-elle pas les inégalités ?
C’est ce que j’ai pu observer lorsque je travaillais au sein du groupe ADECCO. Nos intérimaires n’étaient pas tous à l’aise avec la digitalisation, et puis, ils voulaient du contact. Nous les accompagnions dans l’utilisation des outils, surtout, nous conservions du lien, de l’échange, coûte que coûte.
C’était la marque de fabrique de ma collègue Géraldine NORIEGA, Chargée d’affaires et en particulier sur sa spécialité, le BTP.
Quand des talents s’associent à Adecco, ils s’associent avant tout à une agence, à une équipe, voire même à un Recruteur, parce qu’il y a ce lien fort qui est maintenu, digitalisation ou pas.
En bref, la digitalisation oui, mais, à condition de l’adapter à sa cible, en communicant clairement et en préparant au mieux à son utilisation et à conjuguer avec le maintien d’une certaine proximité. C’est bien là la clé finalement. Digitalisé ou pas, le recrutement doit de toute façon comprendre l’accompagnement des candidats tout au long du processus.
Ne pas omettre le fait que, certains Recruteurs ne sont pas plus à l’aise avec le digital, tout simplement, parce qu’ils n’y sont pas préparés. Des canaux performants sont mis à leur disposition, mais ça ne fait pas tout, si aucun investissement n’est engagé dans leur formation à utiliser ces outils.
La gamification : un jeu dangereux ou une réelle innovation ?
Censée mettre en lumière des soft skills comme le leadership par exemple, quand nous pensons gamification, nous pensons immédiatement à escape game.
C’est une des solutions apportées par BEJOUE, une agence créée par Coralie FRANIATTE et Isa TERRIER, qui proposent des ateliers ludiques pour les entreprises.
Les jeunes générations ou les profils compétiteurs sont par ailleurs généralement fans de ces dispositifs.
Cependant, qu’en est-il des introvertis ou simplement des plus discrets, seront-ils immédiatement exclus ?
La gamification vient casser le formalisme, et pourrait, afin de ne pas exclure les plus frileux pendant le process de recrutement, s’inviter plutôt dans la phase pré-onboarding ou onboarding, loin de tout enjeux, avec une visite virtuelle des locaux éventuellement.
Si elle se prête à certains contextes, elle doit néanmoins être qualitative, avoir un réel objectif, elle mérite aussi une bonne préparation en amont des participants.
Pour recruter sur un/une Gestionnaire d’appels d’offres, pourquoi pas envisager un cas concret sur lequel les candidats pourraient travailler en sous-groupe, sur un format type serious game. Tandis que pour recruter un/une Commercial, le jeu pourrait devenir un pitch challenge ou comment promouvoir une entreprise en moins de 3 minutes.
Le jeu doit évidemment rester cohérent vis-à-vis du poste et doit pouvoir s’adapter à une cible précise, il en va de la crédibilité de l’entreprise et de la qualité de sa marque employeur après tout. Ce qui amène à un dernier point : la gamification doit être alignée à la culture de l’entreprise. Une entreprise dont la culture est portée par un mode de fonctionnement formel ou strict ne semble pas être la plus légitime pour avoir recours au recrutement ludifié.
Une entreprise comme l’agence de pub DARE.WIN l’a bien compris et c’est pourquoi en 2018 elle a opéré un recrutement gamifié : the Fortnite job interview. Les candidats pouvaient se retrouver face aux Recruteurs sur le célèbre jeu vidéo Fortnite pour échanger, mais avaient tout autant le choix de postuler de manière classique, l’entreprise est restée très flexible. Grosse opération marketing saluée par les médias.
Le recrutement sans CV, une alternative sans encombre ?
Ces dernières années, nous sommes spectateurs de concours de CV plus marketés les uns que les autres et de véritables compétitions de créativité.
Bien que ça puisse se prêter aux secteurs créatifs ou à la communication, à nouveau, la question du pied d’égalité se pose face à toutes ces évolutions des codes du recrutement, amenant certains professionnels à réfléchir à des alternatives.
Cela reste un triste constat, rappelant combien les candidats doivent se démener pour se faire remarquer.
C’est pourquoi certains prônent un nouveau mode de recrutement : le recrutement sans CV.
Nous ne le présentons plus, mais le test de personnalité en fait partie et reste un outil complémentaire. Il ne peut se substituer au professionnalisme du Recruteur, d’autant plus qu’il peut activer un biais de désirabilité sociale. En effet, des candidats sont tentés, consciemment ou inconsciemment, de répondre ce que l’on attend d’eux, plutôt que de répondre de manière objective.
Pourquoi pas envisager un outil, qui combinerait à la fois les soft skills, mais aussi les hard skills ? Tout en préservant l’anonymisation ?
C’est la promesse de Freddy Sallaberry et Sandra Alonso, fondateurs de la solution recrutement ATYPIKALL. "Trop d’inégalités et parfois même de discriminations persistent dans le recrutement. AtypikAll est née de cette constatation. Sur notre plateforme, nous pratiquons un recrutement éthique et accessible à tous en utilisant entre autres l’anonymisation."
L'anonymisation ne rime pas avec déshumanisation et pour soutenir ce propos, ils ont développé non seulement un outil mindmapping* (*carte mentale), qui permet de visualiser la personnalité, mais aussi un score de connaissance, offrant une vision 360 du potentiel. La cerise sur le gâteau, ils ont développé une communauté conséquente dans la sphère tech où il y a énormément d’entraide.
Certains persisteront à dire que ça rajoute toujours plus de distance, dans un monde où nous voulons davantage d’échanges. Et si finalement, tout était question de dosages ? Car après tout, l’utilisation de ces outils n’est pas incompatible avec de l’accompagnement, de la rencontre, et du maintien de lien.
Le ghosting : comportement inacceptable… ou compréhensible ?
Les statistiques tombent régulièrement : les candidats souffrent de l’absence de réponse de la part des Recruteurs. C’est indéniable.
Une réponse face à ça ? "Je reçois trop de candidatures, je n’ai pas le temps de répondre." : Un premier point pourtant à souligner ici.
Pour rappel, l’objectif d’un Recruteur, est non pas de recevoir plein de CVs, mais le moins de candidatures possibles, plus qualitatives. C’est toute une stratégie à revoir.
Un audit de poste bien cadré et une annonce rédigée de manière ciblée pour affiner son sourcing forment déjà de bons axes d’amélioration. Se poser également la question : "ce besoin nécessite-t-il que je publie une annonce ?". Un besoin n’est pas forcément synonyme de publication d’annonce !
Prenez en exemple mon erreur, lorsque j’étais Consultante pour un cabinet en Angleterre. Un véritable cas d’école :
Je recrutais dans le monde entier et j’ai notamment eu dans mon carnet de commandes, un poste de Responsable Juridique H/F pour une entreprise spécialisée dans l’industrie des pierres précieuses. Ce poste nécessitait un profil trilingue, avec minimum 10 ans d’expérience en droit du commerce, droit des sociétés, et une bonne maîtrise du marché africain.
De plus, j’avais manqué de maîtrise vis-à-vis du brief client, l’audit de poste n’était pas cadré, des critères étaient régulièrement ajoutés par le client, aucune hiérarchisation n’avait été faite pour les compétences demandées, bref, la catastrophe.
Autant vous dire, que ce profil était très rare et appelait à faire de la chasse de tête et de l’approche directe. Publier une annonce, n’avait que pour seul intérêt, de donner une visibilité à mon cabinet.
Et c’est ce que j’ai fait, en prenant soin de diffuser la rémunération à hauteur de 100k dollars annuels, pour une localisation aux Émirats arabes unis. Cette offre alléchante a attiré, puisque j’ai reçu plus de 500 candidatures et aucune ne correspondait à mon besoin. Une perte de temps pour tout le monde. Sans parler de l’impact négatif sur l’image que nous renvoyions.
Il est important de rappeler ce qu’il se passe sur le terrain : des managers, des directions, des clients, peuvent imposer LEUR stratégie, comprenant le fait de bâcler l’audit de poste, de publier massivement des annonces volontairement larges et de simplement automatiser les retours candidats.
Des Recruteurs subissent des pressions et composent avec, c’est une réalité, quand d’autres, sont simplement mal à l’aise à l’idée de devoir dire non.
La prise de conscience ne doit pas rester à l’échelle des Recruteurs, mais être collective.
Rappelons que, faire des retours personnalisés, c’est :
- Revalider les critères et les attentes du poste en définissant les raisons pour lesquelles chaque profil est rejeté,
- Aider les candidats à améliorer leur recherche d’emploi, d’autant plus quand leur profil est très éloigné du poste, c’est qu’ils sont bel et bien perdus,
- Gagner leur confiance et leurs potentielles recommandations : qui sait qui se trouve dans leur réseau ?
- Laisser une bonne image et leur donner envie de re-postuler… Marque Employeur bonjour !
- Ne pas oublier que derrière chaque candidat, il y a un client potentiel,
- Redonner du sens à son rôle de Recruteur et avoir un réel impact !
- Se professionnaliser en intégrant des outils de communication tel que le feedback constructif.
Enfin, il faut définitivement adopter l’idée que la réponse fait partie intégrale du job de Recruteur et un temps doit être alloué à ça, chaque semaine.
Maintenant, il faut convaincre les entreprises.
Les Recruteurs influenceurs, à suivre ou à fuir ?
"On m’a dit de mettre ça sur mon CV, et un autre m’a dit d’enlever ci", "Donner des conseils quand c'est dans son intérêt (mise à jour CV) mais pas parce que c'est la "mode" de faire comme ça", "C'est tellement subjectif".
Catherine, Jérémy, Carole, ou encore Aurélie en formation RH chez STUDI sont unanimes : c’est la confusion face à cette multitude de tips qui parfois se contredisent ou paraissent trop tranchés.
Les posts pour dispenser des conseils auprès des candidats ne manquent pas sur LinkedIn et c’est plutôt positif me direz-vous : les Recruteurs s’engagent et nous pouvons d’ailleurs parler de Marque Recruteur.
Il est pourtant primordial de rappeler que :
- Les Recruteurs ne prennent pas forcément en considération tous les contextes et n’ont que leur propre cadre et secteur en référence,
- Les candidats eux, doivent rester libres de leurs choix dans leur manière de candidater et faire appel à leur bon sens.
J’ai en tête une situation précise. Une Britannique de mon réseau avait pris pour habitude de ne pas mettre sa photo sur son CV, car, c’est ce que préconisait la grande majorité de Recruteurs sur LinkedIn en Angleterre. Un jour d’entretien en visio, elle se retrouve confrontée à une RH qui lui annonce qu’elles ne poursuivront pas l’entretien, car elle porte le voile.
Au final, cette candidate a fait appel à son libre arbitre et a décidé que désormais, elle mettrait sa photo sur son CV, portant son voile, pour ne pas avoir à subir de nouveau ce genre d’humiliations. Au moins, elle écarte dès l’étape candidature, toute entreprise qui serait tentée de la discriminer.
Mettre sa photo ou pas sur son CV, prendre des notes en entretien ou pas, mettre la bannière OpenToWork sur LinkedIn ou pas, porter un tee-shirt ou un costard cravate en entretien, finalement, le compromis serait simplement que :
Tout conseil est le bienvenu, mais reste finalement très subjectif et ne doit pas devenir une injonction, aussi, les candidats doivent agir en fonction des codes propres à leur secteur et selon leurs propres aspirations.
D’autre part, cette conclusion s’applique même dans le cas de Recruteurs qui partagent des pratiques idéales à d’autres Recruteurs. Je suggère de miser sur l’exemplarité, plutôt que sur la culpabilisation et ne pas oublier que, si la Direction ne suit pas, il peut être difficile de bouleverser les codes en interne.
Nuance et bienveillance, les mots à retenir ?
Comprendre les visions et les réalités de chacune des parties face à l’ensemble de ces sujets, aide à réconcilier candidats et recruteurs. Il est important d’entendre les différents sons de cloche et d’appréhender leurs cadres respectifs.
Vous l’aurez compris, l’amélioration passe, à la fois, par la considération des candidats, et par la prise en compte de la réalité du terrain des Recruteurs.
Cette équation, doit inclure les directions et les clients, l’entreprise et la société plus largement, pour un véritable changement positif, sans ça, la théorie idéaliste ne pourra pas être mise en œuvre.