Pourquoi est-ce que le recruteur doit devenir un influenceur pour attirer sa cible candidat ? Et comment est-ce que cette posture peut façonner les processus de recrutement ?
Avant de répondre à cette question, et afin de pouvoir se concentrer sérieusement sur le sujet, je pense qu’il convient de laisser de côté la représentation que l’on peut se faire des influenceurs.
Et soyons clairs, je parle de ce type d’influenceurs 👇 🙅🏻 :
Nous allons plutôt nous concentrer sur cette définition (c’est celle du dictionnaire Larousse) 👇 :
“Personne qui, en raison de sa popularité et de son expertise dans un domaine donné, est capable d’influencer les pratiques de consommation des internautes par les idées qu’elle diffuse sur un blog ou tout autre support interactif (forum, réseau social, etc.).”
Rassam Yaghmaei, directeur du recrutement et du sourcing chez Doctolib et Mickael Sayad, expert en acquisition de talents dans l’IT pour ContentSquare ont accordé un live à cette question depuis leur chaîne Recruiters InDa house. Samira Sabbane était l’invitée.
Malheureusement je ne l’ai pas regardé en direct, alors j’ai voulu m’entretenir avec elle à ce sujet.
Biensûr elle a accepté de m’accorder son temps pour un tête à tête très intéressant que je vous partage sans plus attendre. 🔥
Pour ceux et celles qui ne la connaissent pas :
👉 Samira Sabbane est la fondatrice de RETCHEE et influenceuse en recrutement, communication RH et Marque employeur.
Après 15 ans d’expérience dans le recrutement, Samira décide de se donner à 100% dans la valorisation des candidats, et dans une démarche de redéfinition de la façon de communiquer, avec plus de simplicité et d’authenticité.
Elle crée alors RETCHEE, une plateforme d’entraide professionnelle et un outil digital de recherche d’emploi, centré sur le candidat et la transparence du recruteur.
💬 “On se rend compte aujourd’hui que la fonction de recruteur est hyper stratégique pour les entreprises et ça va l’être d’autant plus dans les années à venir. Il y a besoin de dépoussiérer le recrutement aussi bien sur le fond que sur la forme. Sur le fond, c’est dans la posture des recruteurs et dans la posture des entreprises. Et sur la forme c’est dans la façon dont les entreprises communiquent avec les candidats.”
Traiter les candidats comme des clients potentiels 🎯
De plus en plus de RH et de recruteurs, dont Samira, s’accordent à dire que le terme client ne fait plus uniquement allusion aux personnes qui consomment les produits et services qu’une marque commercialise.
Une marque a plusieurs casquettes ; celle de marque produit/service, puis celle de marque employeur. Elles communiquent entre elles s’enrichissent mutuellement dans un seul et unique but : contribuer à pérenniser l’entreprise.
🚨 Surtout qu’un client peut être aussi un collaborateur, ou encore un candidat. Le cloisonnement de ces deux territoires est contreproductif. Un exemple très parlant est celui de Virgin Média.
Leur directeur de recrutement avait chiffré le coût d’une mauvaise expérience candidat et donc d’une mauvaise marque employeur à £4,5 millions par an.
Des candidats ayant vécu des mauvaises expériences, notamment dans les phases d’entretiens, avaient tout simplement résilié leurs abonnements. Et oui, ils étaient candidats, mais aussi clients.
Ce changement de perspective, permet de s’ouvrir plus naturellement vers des processus de recrutement construits autour de l’expérience candidat.
Mais Samira précise qu’il y a encore des entreprises qui en ont une vision limitante.
💬 “L’expérience candidat ce n’est pas juste de pouvoir envoyer son CV en un clic. Tu n’inciteras pas un candidat à personnaliser sa candidature si toi tu ne personnalises pas de ton côté ton expérience recrutement et candidat.”
Elle explique cette vision par une communication qui demeure verticale, descendante et qui n’arrive donc pas à se nourrir des véritables attentes de sa cible.
💬 “Les entreprises sont restées dans une façon de communiquer qui est super formelle, hyper institutionnelle, hyper rigide et véhiculent des informations qui ne sont pas celles qui sont attendues par les candidats.91% des candidats souhaitent avoir des infos sur l’entreprise avant de postuler. Qu’ils soient en recherche active, en poste ou en veille ils veulent avoir accès aux coulisses.”
Samira précisera 3 volets fondamentaux dans les informations que les candidats cherchent à valider avant de postuler :
- Les compétences : Est-ce que l’entreprise va me faire grandir ? Est-ce que je vais pouvoir mettre à profit les compétences que j’ai acquises ? Est-ce que l’entreprise va me permettre d’en développer d’autres ?
- L’équilibre vie pro/perso : télétravail, congés parentaux, flexibilité des horaires ...
- Les valeurs et la culture de l’entreprise : politique de rémunération, égalité salariale, ambiance et environnement de travail ...
💬 “Et pour ça les réseaux sociaux on beaucoup d’impact. Qu’est-ce qui fait que les influenceurs cartonnent ? C’est que tous les jours ils vont partager un peu de leur quotidien.”
Et cet ainsi que Samira insiste sur le besoin urgent de dépoussiérer le recrutement.
💬 “Il est aujourd’hui fondamental de comprendre comment mon candidat fonctionne, quels sont ses sujets d’intérêt, comment il aime qu’on communique avec lui, quel contenu il consomme et comment il le consomme.”
D’ailleurs elle continuera son raisonnement en expliquant que ce dépoussiérage sera aussi bénéfique pour l’image même du recruteur.
💬 “Le recruteur est très souvent considéré comme un juge qui est juste là pour évaluer des CVs, des numéros, un scanner de compétences qui fera ensuite zéro retour ou alors un retour mail générique dans le meilleur des cas.”
L’empathie revient souvent comme étant l’essence même du recrutement. Se mettre à la place du candidat pour mieux le comprendre et l’atteindre.
💬 ”Soigner le rapport avec le candidat dans sa façon de communiquer c’est uniquement possible si on se met dans une optique de lui apporter de la valeur. Quelles sont ses aspirations, ses valeurs, ses attentes ? C’est quoi les sujets qui l’interpellent ?”
Samira illustre directement ses dires par un exemple concret :
💬 “Ce qui est aujourd’hui reproché par les candidats dans les refus c’est le manque de feedback, ce n’est pas le non en soi. Ils veulent savoir ce qui motive ce refus. Et c’est pour cela qu’aujourd’hui sur LinkedIn il y a des coachs emploi qui sont sollicités, parce que les candidats sont en attente d’en savoir plus sur les compétences attendues, sur ce qu’ils doivent améliorer en entretien, puis plus globalement sur la vision qu’il y a sur le marché. 📍
Et qui de mieux que les propres recruteurs et services RH d’une entreprise qui ont une vision à 360° de toutes ces questions pour apporter des réponses utiles. Les recruteurs ont tout à gagner en se positionnant en tant qu’experts. Et cette expertise doit être mise au service du candidat. Ce sera bénéfique pour la marque entreprise et la marque employeur.”
Puis, si le fait de considérer vos candidats comme des clients potentiels permet de se focaliser d’avantage sur l’expérience candidat, il permet surtout d’ouvrir le métier du recrutement au marketing RH dans ses pratiques. Et Samira a largement mis en valeur cette nouvelle compétence lors de notre échange.
💬 “On estime que les nouvelles générations changeront 7 fois de métier dans leur parcours pro. Puis, 43% des salariés ont manifesté la volonté de changer de métier. Dans 4/5 ans si tu ne mets pas en place une stratégie de contenu, ça ne fonctionnera plus. Cette stratégie va te permettre peu à peu d’être visible auprès de l’expertise que tu veux attirer, des compétences qui t’intéressent, de faire du nurturing, de faire en sorte qu’un candidat qui a vu un post passe d’un lead froid à un lead chaud parce qu’il va chercher à postuler ou va demander un RDV. Et je ne dis pas par là que les jobboards ne sont plus utiles, mais ils sont complémentaires.”
Apporter de la valeur à sa communauté 💪
💬 “Quand je dis aujourd’hui que les recruteurs doivent être des influenceurs c’est de faire en sorte qu’ils s’adressent à une communauté, qu’ils apportent de la valeur et qu’ils établissent un lien de proximité. Vous avez un rôle fondamental dans votre entreprise, sur votre marque employeur.
On peut s’intéresser à l’entreprise parce que le recruteur a pris la parole sur LinkedIn par exemple et ça, c’est un levier puissant à partir du moment où tu te mets au service de ta communauté.”
Et la valeur elle émane d’une posture d’expert et d’une compréhension de son audience qui fait que son contenu est de qualité autant sur le fond que sur la forme.
👉 En termes de fond, Samira distingue 3 types de contenu :
- Le contenu sur le métier de recruteur et sur le marché : l’expertise sur le domaine du recrutement (que nous avons abordé quelques lignes auparavant et que vous pouvez retrouver avec le symbole📍).
💬 “En t’exposant, en véhiculant ta proposition de valeur, sur comment tu peux aider les candidats ... tu vas peu à peu faire venir ta cible ou des personnes qui sont intéressées par ton secteur d’activité et qui se reconnaissent dans tes valeurs, dans ta culture.”
Elle citera en exemple Pierre Allain 👇 :
- Le contenu sur l’entreprise ou sur l’environnement du recruteur (s’il est indépendant par exemple, ce sera sur les clients avec qui il travaille) : la culture, les différentes expertises métier, le quotidien et l’évolution des collaborateurs dans l’entreprise ...
💬 “Les candidats veulent aller beaucoup plus loin dans l’interaction dans le “je peux poser des questions si j’en ai besoin”, dans le “qu’est-ce que tu m’apportes”. Et le “qu’est-ce que tu m’apportes sur la partie RH” va concerner la partie métier ou la marque métier où tu vas avoir des sujets d’employabilité (et ça va être le sujet de demain), de reconversion professionnelle. Mais aussi des personnes qui veulent évoluer dans un métier et qui pourraient envisager un changement d’entreprise.
Les entreprises qui feront un gros focus métier auront des candidats qui s’orienteront directement vers eux. Ce levier de marque métier va être fondamental.“
Samira citera Isabelle Bize en exemple 👇 :
- Les offres d’emploi
💬 “Sur la diffusion des offres d’emploi il y a un truc que je ne comprends pas. Tu as 99,9% des offres d’emploi qui sont diffusées sur un pavé de texte qui sont souvent des copiés collés. Et après on s’étonne que les candidats ne postulent pas, ou qu’ils postulent sans de réel intérêt et avec des formulations qu’ils ont également copiées/collées !
💬 “Pour moi une offre d’emploi c’est un produit que tu vends au candidat. Et il faut que dans la façon dont tu vas le vendre, la communication soit différenciante. Il faut que le message soit visible parmi toutes les entreprises qui cherchent à recruter.”
Et c’est à ce moment-là que nous en sommes venues à parler des formats.
💬 “Tu as 80% des candidats qui consomment du contenu avec la vidéo. Quand je parle de l’offre d’emploi en vidéo, j’ai des candidats qui me disent que le seul fait de voir l’opérationnel avec qui ils vont bosser pitcher son offre d’emploi, c’est déjà énorme. C’est très simple et c’est un levier qui est super puissant. L’influence n’est pas juste une question de contenu mais aussi de format.”
⏯️ Et j’ouvre ici un petit aparté sur les opérationnels et les Hiring Managers.
Dans ce blog, il nous tient à cœur de souligner sans relâche la nécessité de travailler avec les Hiring Managers main dans la main dès le début du processus de recrutement. C’est-à-dire, dès qu’il y a un nouveau besoin qui est détecté.
Mais cela inclut également le contenu. Samira insiste là-dessus.
💬 “Inclure les opérationnels dans le contenu afin qu’ils parlent de leur métier est une manière d’apporter de la valeur.”
Et c’est aussi un moyen efficace de les impliquer.
Cela me fait penser au pair sourcing. Il n’est pas anodin qu’un opérationnel aide le recruteur dans l’approche candidat. Ils ont l’expertise de leur métier, peuvent inspirer davantage confiance aux candidats et booster les taux d’ouverture et de réponse des messages.
Collaborer avec les Hiring Manager dans la création du contenu va dans le même sens et nourrit le même cercle vertueux. 🌱
Enrichir et fluidifier son processus de recrutement ♻️
C’était une double question que je voulais absolument poser à Samira : quels sont les effets de cette stratégie et comment ils se font ressentir dans le processus de recrutement.
Elle partagera 4 points d’enrichissement du processus :
- Attirer des profils qu’il fallait auparavant aller chercher :
💬 “Quand j’étais DRH il y a moins de deux ans, j’avais des budgets fous pour aller chercher les candidats et j’avais du mal à trouver ma cible. Et aujourd’hui depuis que je communique sur LinkedIn, j’ai naturellement des gens qui viennent à moi. Des gens pour qui je passais par des cabinets il y a encore deux ans pour aller les chasser.”
- Approcher plus facilement les candidats :
Souvent quand on est sollicités par un recruteur, la première question qu’on se pose est “qui est cette personne?”. Et d’ailleurs, le fait qu’elle soit inconnue ou qu’il existe très peu d’infos sur elle n’est pas un gage de confiance.
Un recruteur qui a cette posture d’influenceur et qui communique, partage, échange régulièrement sur ses valeurs, sa vision du métier, son expertise, son entreprise, son environnement de travail ... pourra plus facilement inspirer confiance aux personnes qu’il approche.
- Entretenir un vivier de candidats qui généralement dort au fond des tiroirs des ATS :
💬 “Aujourd’hui quand tu es recruteur tu as ton vivier mais il est utilisé dans moins de 3% des cas par les recruteurs. C’est-à-dire que tu diffuses tes annonces, tu as des personnes qui te répondent et se retrouvent dans un vivier statique. Et quand un nouveau besoin se présente, il est rare de se tourner vers ce vivier. Alors que si tu as du nurturing, tu peux te servir de ton contenu pour entretenir le lien avec ces candidats afin de pouvoir plus facilement les solliciter pour de futurs besoins.”
- Attirer et dissuader pour des candidatures plus qualifiées :
💬 “À partir du moment où tu communiques clairement sur un contenu métier qui est en phase avec la façon de former les équipes en interne, comment tu les aides à grandir ..., comment se passe l’équilibre vie/pro, vie perso ..., le candidat va adhérer (ou pas) au contenu que tu diffuses, voire réagir régulièrement ... Et ce sera un premier filtre pour les personnes qui ne se reconnaissent pas dans ta culture d’entreprise. Ça va attirer autant que ça va dissuader.”
Mais surtout, Samira insistera sur le fait que l’importance de se tourner vers la posture d’influenceur en tant que recruteur fait partie d’une évolution plus générale du métier :
💬 “Un recruteur il a tout intérêt à se former au marketing RH, au nurturing, à toutes les méthodes commerciales, c’est l’avenir. C’est vraiment parce qu’on se rend compte que le candidat postule de moins en moins et que le challenge aujourd’hui c’est que le candidat mette l’entreprise dans son panier.”
D’ailleurs cette évolution fera que le recrutement mobilisera ses ressources et les organisera en fonction d’un tunnel de conversion, tout comme les services marketing se mobilisent aujourd’hui pour attirer de nouveaux clients.
💬 “Et dans l’organisation des services recrutement, tu verras comment ils seront transformés d’ici deux ou trois ans. On commence déjà à le voir de plus en plus. Et la porte d’entrée c’est le recruteur.”
Mais bien sûr, il faut d’abord dédiaboliser le marketing. Et là je cite Rémi Vocel, qui dans son article invité sur la thématique de la marque employeur avait dit : “Non le marketing, n’est pas une compétence de charlatan, non le marketing ce n’est pas vendre des produits inutiles à des gens qui n’en ont pas besoin. Le marketing c’est analyser, comprendre, proposer et convaincre.”
⚠️ Attention aux coquilles vides
Nous avons très naturellement conclu notre échange en parlant des limites, de tout ce qui est nuisible si l’on tombe dans le brand washing, dans les discours creux ou la course à l’égo. Voici sans transition, son mot de la fin.
💬 “À partir tu moment où tu prends la parole, où tu décides en tant que recruteur ou en tant qu’employeur de t’exposer, il faut être sûr que tes pratiques en interne soient en adéquation avec ce que tu véhicules comme message parce que sinon le retour du bâton va faire mal. Et c’est aussi ça la puissance des réseaux sociaux. Et si tu le fais correctement ça peut être viral pour ta boîte. Si tu mens ou tu fais du fake, ça peut devenir compliqué.”
C’est la fin de cet article. J’espère qu’il vous aura été utile et je vous dis à très vite pour de nouveaux sujets passionnants. ✌️