Recruteur maso ?
Si vous cherchez le plus grand club SM du monde, devenez recruteur/recruteuse. Jamais je n'ai vu une profession aussi liée à la douleur. Que ce soit celle qu'on s'inflige en tentant de trouver le candidat tant espéré et qui finalement préférera rester en poste dans son entreprise actuelle ou bien tous ceux qui vous diront non quand vous tenterez de les approcher avec vos petits messages soigneusement travaillés.
Mais tout ça, ce n'est rien comparé à toutes ces belles personnes qui viennent faire du recrutement pour “l’humain”. Ah, quels doux agneaux de Dieu que voilà, pleins d'espoirs, d'idéalisme, d'envie de faire changer le monde à travers le métier. Et puis... Le petit agneau se retrouve confronté à la réalité et c'est la boucherie. Au lieu de changer des vies comme tout espéré, on se retrouve bien plus souvent à briser des rêves. Des candidats qui se retrouvent avec leurs espoirs réduits à néants.
Et le meilleur dans tout ça ? La souffrance ultime que nous infligeons à nos candidats, c’est de ne jamais leur dire pourquoi nous brisons leur rêve. Quel plaisir de voir les gens se poser des questions sur le pourquoi du comment, qu'est ce qui a bien pu pêcher dans cette candidature qu'ils ont préparée avec soin. Des entretiens, des tests des prises de références, et tout ça... pour disparaître tel Mikael Myers à la fin du premier film.
J'ai beaucoup été candidat ma vie. À vrai dire je crois que j'ai été plus souvent candidat qu’en poste. Et bizarrement ça a fait généralement partie des périodes qui collent avec des phases dépressives. Étonnant quand on sait quel respect on peut témoigner pour les candidats.
Tellement de respect que plusieurs fois je me suis remis en question, en me disant que je n'étais pas assez bon, qu’au final, je ne méritais pas un retour de leur part tellement j’étais mauvais. D’ailleurs, il n’y a même pas un an je pensais complètement arrêter le recrutement à cause de ça. J’étais à deux doigts de me reconvertir…
Et pourtant je n'arrivais pas à me sortir de la tête pendant des semaines, l'attente de la réponse. Comme pour ce date pour qui vous avez eu le coup de cœur et qui ne donne plus signe de vie du jour au lendemain, mais que vous n'arrivez pas à oublier pour autant, en espérant recevoir à n'importe quel moment cette notification de lui.
C'est pour ça que le non est important. Pour permettre au candidat de passer vraiment à autre chose et de ne plus être un poids dans ses pensées. Pour clore définitivement la relation et ne pas laisser la porte entrouverte et laisser un espoir à la personne parce qu’elle n’est pas complètement fermée.
C'est pour ça que je me fixe pour objectif de toujours faire un retour rapidement. Pour que la personne puisse continuer sa recherche tranquille sans être parasité par nos échanges.
Mais parfois… J’ai du mal à m’y tenir.
Parce que j’appréhende la réaction de la personne. Que ce soit la colère, de la frustration ou de la peine, on peut vite se faire déborder par les émotions des candidats. Et si à chaque fois que vous devez dire non à quelqu'un, vous absorbez ses émotions, au bout d'un mois vous allez être à bout de forces sans savoir pourquoi.
Alors, voyant que j'avais parfois tendance à le faire, je me suis demandé comment je pouvais gérer les émotions des candidats. Toutes mes recherches n'ont emmené vers des articles comme "comment gérer la manipulation" ou des choses comme ça (Mais ça, c’est un autre sujet !). J'ai alors compris que ce n'était pas mon devoir de gérer les émotions des candidats à leur place.
Non, mon rôle à moi est de les entendre et de les comprendre en fixant des limites claires dans lesquelles ces émotions peuvent s'exprimer. Mais pas de les laisser s’imprégner en moi. La première chose est de bien comprendre que les émotions des gens sont légitimes. Mais que ce ne sont pas tes émotions et qu’elles ne doivent donc pas vous affecter vous.
Pas vraiment de formule magique ici, il faut établir des règles claires avec le temps que l'on peut accorder à la personne ou la limite des réponses que vous allez pouvoir donner. Le plus important est de vous protéger. Au risque sinon de rentrer chez vous avec toutes ces émotions qui ne vous appartiennent pas. On a déjà bien affaire de soi-même et de comprendre nos propres émotions et ça, c’est l’autoroute vers le débordement d’émotions. Et pour éviter tout ça, il faut évidemment faire un retour qui soit constructif.
Comment procéder au Non ?
Pas le choix, faut y aller et faut structurer un minimum ton process. Oui c’est un mot qui fait peur, mais là il s’agit simplement de déterminer des vrais critères pour déterminer si oui ou non, on continue avec la personne. Et si le cas échéant c’est un non, lui expliquer concrètement pourquoi et ne pas se limiter à un simple “Non mais on ne t’a pas senti, on n’a pas eu le feeling.”
Ce qui se cache derrière ça en général c’est que vous n’êtes pas du même milieu, que vous ne pensez pas de la même façon et que les gens ont plutôt tendance à recruter des clones plutôt qu’à vraiment s’ouvrir à la diversité.
Et ça rejoint ce que disait Léo dans un article précédent : Il faut prendre le temps de bien identifier le besoin. Un recruteur peut être bien différent d’un autre recruteur. Quels sont les facteurs de réussite sur le poste chez toi ? Être organisé ou plutôt pouvoir naviguer dans le chaos ? Faire plutôt que de demander la permission ou bien suivre la procédure ? Tu vas te retrouver ainsi avec une liste de critères que tu vas pouvoir évaluer en entretien. Je te partage une partie de ma trame d’entretien pour te donner un exemple concret :
Voilà pour le critère d’autonomie, des exemples de questions que je vais poser. Je détermine au préalable avec le manager l’importance de ce critère par rapport au poste. Et j’attribue ainsi un coefficient à ce critère dans l’évaluation globale. Chaque question posée va être notée entre 1 et 5, ce qui va donner un score à la fin de l’entretien avec l’application du coefficient en plus.
On détermine un score global qui nous sert de base de sélection pour avancer avec un candidat ou non. Ensuite pour lui faire un retour argumenté il y a simplement à reprendre la trame pour voir les points qui ont pêché et lui dire “Ok, voilà ce que vous nous avez répondu pour tel critère, et non on se situe plutôt comme ça. On est en décalage sur cet aspect-là et ça va compromettre votre réussite sur le poste. Par contre nous avons retenu que vous maîtrisiez très bien X et Y, mais ce sont des points secondaires sur ce poste. “
Et comme ça, pas de sélection biaisée, au feeling, au doigt mouillé et pouvant même être discriminante.
Appliquer des méthodes structurées dans le recrutement permet de se focaliser sur des critères liés à l’emploi. Michel le manager ne peut plus vous sortir “Non… Je ne l’ai pas senti. Je n’ai eu pas le feeling.”
Et voilà, vous avez de quoi poser des bases pour un feedback sain et mettre en place des limites claires pour votre retour.
Pour terminer je soulignerais juste une chose, comme je le disais un peu plus haut le recrutement est un métier qui à un impact social fort. Dans le sens où, pratiquement toutes les personnes dans ce monde auront un jour affaire à un recruteur ou à une personne qui recrute.
Et vu l'importance que revêt le fait d'avoir ou non un emploi dans notre société, en termes de liberté financière et de perception que peut avoir la société des gens au chômage par exemple (car aussi dur que ce soit, aujourd'hui aux yeux de certains, vous n'êtes rien si vous n'avez pas d'emploi), la moindre des choses alors c'est de faire un retour à ses candidats. Dans cette situation, les candidats dépendent énormément de nous autres recruteurs. Essayez et vous verrez que même un non peut devenir source de plaisir.