La vérité si je mens ... en recrutement

Etienne DIGUET
La vérité si je mens ... en recrutement

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« Je suis sûr•e que ce candidat m’a menti pendant l’entretien. »

Quelle personne, amenée à recruter, n’a pas prononcé cette phrase au moins une fois au cours de sa carrière ?

Oui, les candidats mentent.

Il est difficile d’avoir des données fiables sur le sujet.

Dans de nombreux articles, nous pouvons lire que 75% des CV seraient « améliorés », voire carrément mensongers.

Ce chiffre est tiré d’une étude de l’institut Florian Mantione, réseau spécialisé dans le conseil en Ressources Humaines, datant de 2013. 

L’institut a réalisé une nouvelle étude en 2022, et le pourcentage de CV trompeurs serait tombé à 65%. [1]

Le manque de transparence continue évidemment lors des entretiens.

Mensonges sur les diplômes obtenus, les compétences, les postes occupés, les projets gérés, les dates de présence dans l’entreprise, les raisons du départ…

Toujours d’après l'institut Florian Mantione, 70% des candidats trouveraient d’ailleurs normal de tricher pour être recrutés…[2].

Nous pourrions débattre des conditions de réalisation de l’étude et de la pertinence des résultats.

Cela ne remet pas en cause cette triste vérité, sur laquelle tout le monde s’accorde : le recrutement est un jeu de dupes.

Mentir c’est mal, nous l’avons tous appris étant enfants.

Mais alors pourquoi autant de candidats le font-ils ?

Ils savent pourtant bien que découverte de la vérité = risque de dossier écarté.

Quels sont les principaux motifs qui poussent les candidats à ne pas être transparents ?

Les recruteurs et les opérationnels amenés à recruter n’auraient-ils pas leur part de responsabilité ?

Un candidat qui ment sur l’obtention d’un diplôme ou d’une certification, difficile de lui trouver une excuse valable.

Même chose s’il prétend maîtriser un logiciel alors qu’il n’en est rien.

Mais qu’en est-il des autres cas ?

Les soucis personnels

Rupture, divorce, souci familial…

Personne n’est à l’abri de vivre une situation de ce genre, qui peut impacter la carrière.

Et qui peut, le cas échéant, expliquer un trou dans le CV.

Mais un candidat peut-il / doit-il l’avouer ?

« J’ai divorcé, ça a été dur, je n’avais plus la tête au travail, j’ai fait un abandon de poste ».

En tant que recruteurs, n’allons-nous pas penser qu’il est fragile, qu’il a manqué de professionnalisme ?

Évidemment, un candidat n’a aucune obligation de parler de sa vie privée au cours d’un entretien d’embauche.

Mais nous le savons tous, vie personnelle et professionnelle sont étroitement liées.

L’une explique souvent l’autre, et vice versa.

En tant que recruteurs, nous avons souvent envie de creuser, de tout comprendre.

Mais si nous attendons des candidats qu’ils soient honnêtes et transparents, nous devons en échange faire preuve d’ouverture d’esprit et ne pas écarter une personne qui aurait connu un accident de vie.

Le burn-out et les arrêts maladies de longue durée

Évidemment, un arrêt maladie de 2 jours ça n’impacte pas une carrière.

Mais une maladie grave, une opération, un burn-out, oui.

Et ça peut arriver à n’importe qui.

Nous devrions tous faire preuve de compréhension et d’empathie face à un candidat ayant vécu ce genre de choses.

Mais j’ai entendu tellement de gens dire des choses comme :

« si c'est arrivé une fois, ça peut arriver encore » 

« est-ce que la personne est vraiment rétablie ?» 

« on ne peut pas prendre le risque d’embaucher quelqu’un qui va rechuter et désorganiser le service.» 

« même si la personne semble remise, est-ce qu'elle va vraiment être à fond ? »

Que je comprends que les candidats aient envie de passer certains événements malheureux sous silence.

Les gens qui reviennent dans leur boîte après un arrêt longue durée sont malheureusement parfois mis au placard et/ou regardés de travers…

Nous pouvons donc comprendre que les candidats n’aient pas envie d’être jugés et écartés de la même façon.

Comme avec les soucis personnels évoqués ci-dessus, ils seraient ainsi presque incités à mentir pour ne pas nous effrayer.

Et pourtant, tout ce qui est arrivé par le passé n’est pas forcément amené à se reproduire.

Les gens qui guérissent d’une maladie font-ils tous une rechute ? 

Évidemment non, fort heureusement.

Un candidat avait craqué à cause de son ancien manager, visant la place de N°1 au classement des pervers narcissiques ?

Il n’y a aucune raison qu’il fasse la même chose chez vous.

Et en parlant de burn-out, voici une vidéo que je vous conseille fortement.

Les pauses, tout simplement

Négocier une rupture conventionnelle puis prendre quelques mois pour des vacances, des voyages, des travaux dans son logement : cette pause professionnelle est de plus en plus répandue.

Et pourtant, toujours pas très bien vue.

Un candidat peut vite passer pour un glandeur et / ou un profiteur.

Beaucoup de personnes préfèrent donc taire le fait qu’elles ont été sans activité professionnelle pendant un temps.

Et pour cela elles trichent, notamment sur les durées de leurs expériences professionnelles passées.

« Je ne vais pas dire que j’ai fait 20 mois dans l’entreprise et 4 mois en vacances, je vais dire que je suis resté en poste 2 ans ».

Mais si, en tant que recruteur, nous demandons un certificat de travail ou une attestation employeur, ou que nous souhaitons réaliser un contrôle de références, il va y avoir un souci, non ?

Ne vaudrait-il pas mieux créer dès le départ un climat de confiance, et permettre au candidat de tout dire, sans jugement ?

Il a pris plusieurs mois pour des vacances ou des travaux ? Tant mieux pour lui.

Cela ne veut pas dire qu’il va refaire la même chose au bout d’un an chez son nouvel employeur.

C’est fait, c’est du passé.

A nous, recruteurs, de nous concentrer sur l’avenir.

Le départ en mauvais termes

Les ambiances de travail pourries et les managers toxiques existent, tout le monde le sait.

Mais un candidat n’a pas le droit d’en parler librement en entretien.

Pourquoi ?

Parce qu’il existe une règle absolue, un dogme : ne pas critiquer son ancien employeur !

Donc au lieu de dire « mon ancien manager était insupportable » ou « mon ancienne direction mettait une pression atroce, les gens venaient la boule au ventre », les candidats vont sortir des platitudes du genre « je suis parti(e) parce que nous n'étions plus en phase à propos des méthodes de travail »…

Cette quasi-interdiction de critiquer un ancien employeur m’a toujours énervé.
Elle force le candidat à mentir, le mettant ainsi dans une position délicate.

Car il y a de fortes probabilités qu’en tant que recruteurs nous détections le mensonge et pensions « oh il ne me dit pas tout, il y a un loup ».

Et que, potentiellement, nous écartions la candidature…

Donc finalement, à quoi sert-il de demander aux candidats « pourquoi voulez-vous partir » ou « pourquoi êtes-vous parti(e) ? », si nous ne voulons pas entendre la vraie raison ?

Le licenciement 

Encore plus touchy peut-être que le départ en mauvais termes…

Un candidat peut-il / doit-il dire qu’il a subi un licenciement ?

Un ancien salarié licencié pour faute lourde avérée ou insuffisance professionnelle réelle, je ne vais pas chercher à lui trouver d’excuse.

Mais qu’en est-il des autres cas ?

Une personne peut être licenciée pour un motif économique.

Ou parce que son manager ne l’aimait pas et l’a poussée vers la sortie.

Y a-t-il alors un lien avec les compétences du candidat ? Non, aucun.

Mais dans la tête de nombreux recruteurs, le mot « licenciement » déclenche une alerte rouge.

Si le candidat a été licencié, c’est qu’il le méritait. 

Ou du moins qu’il n’était pas le meilleur élément, sinon il aurait logiquement été conservé.

Encore une fois, pour éviter d’être catalogués, les candidats préfèrent taire la vérité.

A nous, recruteurs, de travailler sur nos biais, aprioris et préjugés, pour éviter d’écarter injustement un candidat qualifié.

Conclusion

Finalement, si nous excluons les compétences et les diplômes prétendument possédés, nous voyons bien que la plupart des mensonges des candidats ont simplement pour but de ne pas déclencher de préjugés / aprioris chez les recruteurs.

Je pense que nous avons tout à gagner à mettre en place un climat de confiance lors des entretiens, à travailler sur nos biais, nos aprioris et nos préjugés.

Les candidats devraient pouvoir être honnêtes et transparents, parler des soucis qu'ils ont pu avoir, qu'ils soient professionnels ou personnels, sans craindre que leur candidature soit écartée.

Nous pourrions ainsi vraiment, réellement, comprendre leurs parcours et leurs motivations.

Nous aurions les arguments pour défendre leur dossier au mieux, si besoin.

Et s’il ne fallait retenir qu’un seul argument, ce serait celui-ci : tant que nous écarterons les candidats parce qu’ils disent la vérité, nous ne devrons pas nous étonner qu’ils continuent à mentir.

Références

[1] 9e étude du Florian Mantione Institut, publiée en 2022, sur les CV trompeurs

[2] article paru dans Figaro Recruteur, évoquant l’étude du Florian Mantione Institut

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À propos de l'auteur·e
Etienne DIGUET
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Manager chez FID RH, passionné de "vrai" Recrutement