Former et sensibiliser les managers aux biais cognitifs

Silvia Galo
Former et sensibiliser les managers aux biais cognitifs

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J’ai récemment découvert Jonathan Goldfarb en écoutant l’un de mes épisodes préférés du podcast “Histoires de Recruteurs” présenté par Marie-Sophie Zambeaux (le lien est partagé dans l’article).

Il a accepté de m’éclairer sur ses pratiques de sensibilisation des managers aux biais cognitifs.

👉 Mais qui est Jonathan Goldfarb ?

”Après avoir suivi des études de psychologie et d'économie en passant par le théâtre, j'ai finalisé mon projet par un master management des ressources humaines.

Plusieurs années d’immersions professionnelles m'ont permis de découvrir, apprendre, comprendre et apprivoiser l'univers de l'entreprise. Après une belle aventure au sein du Groupe Casino, je m'épanouis à présent, chez Synergie.

Passionné par les sports, que je pratique régulièrement ,je crois à la mise à profit des valeurs humaines dans ce contexte de mondialisation. Proactif, méthodique et réfléchi, j’aime être force de proposition. Échanger, explorer et anticiper sont mes directions dans la vie.”

Cet article a pour objectif :

  • de partager avec vous notre conversation tout en donnant des ressources pour approfondir ses propos avec des pistes qui peuvent être utiles si vous vous intéressez à la sensibilisation des Hiring Managers (mais aussi des différentes parties prenantes de vos recrutements) aux biais cognitifs,
  • puis aussi de vous donner quelques références de professionnels avec qui je discute sur ces sujets, toujours très disponibles.
    Rien de mieux que de bonnes rencontres qui contribuent à nous faire évoluer dans la pratique de nos métiers.

🖖 Bonne lecture.

Déconstruire les idées reçues sur les biais cognitifs

Commençons en rappelant quelques notions fondamentales sur lesquelles nous avons échangé avec Jonathan :

  • Les biais ne sont pas forcément mauvais. Ils font partie de notre raisonnement. Vouloir les annuler est à la fois impossible et inutile.
  • Il y a une chasse ouverte à l’intuition. Elle n’a pas bonne presse. Alors il convient de nuancer ce rapport à notre intuition. Je vous conseille l’excellent article de Pierre-André à ce sujet. Tout est dit dans le titre.
  • Ici nous allons parler de biais cognitifs, qui font partie d’un cadre théorique précis, mais il existe aussi d’autres types de biais. Par exemple, les biais perceptifs ou encore les attentionnels.
  • Prudence : Les biais cognitifs n’expliquent/justifient pas tout. Si l’on prend l’exemple de discriminations (telles que le racisme ou le sexisme…), il peut y avoir en effet des biais comme celui du stéréotypage qui interviennent, mais elles répondent plutôt à une histoire de structure sociale et sociétale, à un passif qui va rentrer dans nos modèles mentaux.
  • Les biais sont contextuels, ils ne sont pas inhérents à la personne. Il convient de les adresser de façon systémique. C’est-à-dire dans un cadre référentiel donné.

Comprendre ce qu’ils sont et comment ils se manifestent

💬 “C’est un mécanisme fainéant du cerveau, qui pour économiser le plus d’énergie, va essayer de trouver des raccourcis cérébraux logiques afin d’arriver à des conclusions et le tout nourrit, auto-alimenté par des renforcements d’occurrences observées.” Jonathan

Il existe une schématisation de la pensée qui lui attribue deux vitesses que Daniel Kahneman, psychologue, économiste et prix dit Nobel d'économie en 2002, explique dans son livre : “Système 1, Système 2. Les deux vitesses de la pensée” :

🐇 Système 1 : pensée rapide avec ces fameux raccourcis

🐢 Système 2 : pensée lente qui vérifie ce que le système 1 nous a suggéré.

Système 1, Système 2. Les deux vitesses de la pensée - Daniel Kahneman

Comme l’explique Olivier Sibony dans la vidéo qui va suivre, “on va avoir des biais cognitifs quand on va laisser notre système 1 souffler très fort la décision et que le système 2 ne va pas suffisamment la vérifier.

Il y existe différents (moultes) types de biais cognitifs, l’intérêt ici n’est pas de tous les citer. Si jamais votre curiosité est piquée, je vous conseille de lire l’ouvrage : “Encyclopédie des biais cognitifs : Le guide ultime pour bien décider et arrêter de se planter” de Boussad Addad.

Encyclopédie des biais cognitifs : Le guide ultime pour bien décider et arrêter de se planter” - Boussad Addad

Parmi les plus connus, on retrouve

  • le biais de confirmation : tendance à accorder plus de crédit aux faits qui confirment nos hypothèses et moins d’importance à ceux qui les contredisent.
  • le biais de stéréotypage : quand nous avons tendance à faire confiance à ceux qui nous ressemblent plutôt qu’à ceux qui sont différents de nous.
  • le biais du champion : quand nous accordons une plus grande crédibilité à un projet (par exemple) parce que c’est une personne en particulier qui le porte. En gros, on n’évaluera pas de la même manière le projet s’il était présenté par quelqu’un d’autre. 👋 influenceurs.
  • l’effet de Halo : quand notre impression générale sur une personne est fondée sur quelques traits disponibles ou frappants.
  • le biais de disponibilité : aussi appelé effet COVERA en français : Ce qu’On Voit et Rien d’Autre (en anglais WISIATI : What I See Is All There Is). Tendance à ne tenir en compte que les informations facilement accessibles ou plus récentes sans aller en chercher d’autres.

Bon, arrêtez-moi, je suis partie pour dresser la grande liste 🙅.

En prendre conscience, identifier les biais cognitifs et y travailler en équipe

La prise de conscience est déjà une partie du travail en soi.

💬 “J’avais un professeur qui me disait : “Souvent quand tu arrives dans une entreprise il y a des rumeurs qui circulent. Et ce qui donne de la force à la rumeur c’est qu’elle soit colportée et secrète.
On avait fait un exercice où il fallait trouver la meilleure façon de faire taire une rumeur.
Certains avaient essayé de la contrer sans succès.
Nous avons tout simplement proposé de l’écrire, de l’afficher à tout le monde sur une sorte de tableau des rumeurs qui disait “un tel est ainsi, puis un autre est ainsi”. Et le fait d’afficher la rumeur permettait de la tuer. Parce qu’elle n’a de sens que si elle est non dite et pas révélée.

Un biais il est un peu comme ça. À partir du moment où il se révèle à toi, il perd de sa puissance.“ Jonathan

Et il utilisera une image que je trouve très parlante :

💬 “C’est comme une espèce d’homme invisible sur qui tu jetais du talc.”

Mais voilà, ce n’est qu’un début. Encore faut-il avoir la volonté de continuer le travail.

💬 “Certains veulent travailler dessus et puis il y en a d’autres qui n’ont en rien à faire. C’est une réalité. Après on ne leur donnera pas de recrutement à faire”. Jonathan

🚨 On reviendra sur cette phrase dans quelques lignes.

À ce stade, on comprend ce que sont les biais, on découvre aussi un large éventail de types de biais, puis on comprend comment ils agissent.

On comprend que notre interprétation du monde n’est pas la seule interprétation qu’il existe. L’enjeu est alors de voir comment on peut avancer dans une incertitude inhérente au fait qu’on se retrouve souvent face à des informations incomplètes.

Et ici j’aimerais citer Albert Moukheiber, neuroscientifique et psychologue clinicien quand il partageait dans une interview accordée à Arte :

On a tendance à vouloir aller vers une cohérence interne et à éviter les dissonances. Et quand on se retrouve en dissonance il y a plusieurs façons de trouver une consonance. Des fois on va chercher les informations qui nous conviennent, des fois on va le faire en changeant d’avis. On parle alors de flexibilité mentale : combien je suis attaché à mon opinion. Est-ce que je suis plus attaché à mon opinion ? Ou à la raison pour laquelle j’ai cette opinion ?

Il parlera de raisonnement motivé et il utilisera la métaphore du détective et de l’avocat pour l’illustrer.

🕵️ Détective : je suis des preuves et j’arrive à une conclusion.

🧑‍💼 Avocat : J’ai mon client, je veux le défendre, je vais prendre ce qui existe dans le dossier pour pouvoir créer une argumentation qui arrive à la conclusion que j’ai déjà décidé à l’avance. (Raisonnement motivé).

Pour aller plus loin, je vous recommande d’ailleurs son livre : “Votre cerveau vous joue des tours.”

Votre cerveau vous joue des tours - Albert Moukheiber

Et bien qu’il y ait un travail individuel introspectif d’identification de ses propres biais, celui-ci ne peut être complet que par le collectif.

Et bien que la phrase qui va suivre sonne comme un slogan de campagne, il est important de savoir que seuls, nous ne pouvons rien contre les biais.

C’est ainsi que Jonathan me parlera des ateliers qu’il organisait pour adresser la problématique des biais cognitifs.

Le travail en session de groupe

💬 “Ce sont des modalités qui ont plutôt pas mal marché. C’est quelque chose d’assez décomplexé. À mon sens c’est plutôt un espace d’échange et de non-jugement assez libre sur la parole.
Pour te donner quelque chose de très concret, je me lance en premier en général. C’est-à-dire que je vais
aller afficher les biais, ou les stéréotypes en partant du basique.” Jonathan

Et il continue en expliquant :

💬 “Il y a des biais qui sont très faciles à énoncer, en tout cas c’est ce que je faisais avant. Par exemple je disais à des directeurs de magasin que j’avais en session : "aujourd’hui un jeune qui vient en jogging, c’est irrespectueux, on est d’accord".
Et là la parole se libère assez parce que
je les mets à l’aise sur le fait que j’affiche quelque chose que certains vont penser, alors qu’il y en a d’autres qui vont me dire, mais non absolument pas.

Et à ce moment-là il y a une discussion qui se crée.” Jonathan

Jonathan m’explique que c’est du langage parfois très caricatural.

L’objectif est de provoquer pour avoir de la réaction. Une fois que l’on a cette réaction, cette adhésion ou pas, on peut échanger sur qu’est-ce qui ne va pas, pourquoi on pense ça, comment on est amenés à penser ça, et de l’impact de penser ainsi.

💬 “Et surtout de décomplexer en se disant que ce n’est pas quelque chose de mauvais en soi, ce n’est pas volontairement négatif ou péjoratif, on a tous des stéréotypes et c’est pour mettre à l’aise sur ça. Ce n’est pas pour faire mal que vous faites ça, c’est plus parce que c’est habituel. Jonathan

Et puis la confrontation des raisonnements ouvre les portes à un travail qui laisse voir un système d’entonnoir.

Jonathan reprendra l’exemple de l’affirmation de la croyance : les jeunes qui se présentent en jogging en entretien, c’est irrespectueux.

Pour rappel, nous sommes dans le contexte de la grande distribution.

👉 Étape 1 : Qu’est-ce que ça travaille ? Qu’est-ce que ça provoque ?

Quand je vais recevoir ce jeune en jogging je vais déjà avoir un a priori négatif.

Cela implique que je vais aller chercher dans le discours du jeune des éléments qui vont venir confirmer ce que j’ai comme a priori négatif et que je vais gommer l’ensemble des éléments positifs qui pourraient venir contrer mes a priori.

On parle du biais de confirmation.

👉 Étape 2 :

Dans ma façon de m’exprimer envers lui et ce que je vais lui retourner par effet miroir (par rapport à ce stéréotype que j’aurais via le biais de confirmation), je vais avoir une attitude qui va peut-être induire chez lui des choses inconscientes du style effet Pygmalion.

Je vais induire des choses où il va venir se comporter comme j’attends qu’il se comporte.

Et là je suis sur un effet d’attente.

💬 “C’est systémique, on va étudier l’ensemble des biais qui peuvent se déclencher par un simple jugement qui est que les jeunes en jogging c’est irrespectueux. C’est très pédagogique en fait.” Jonathan

Puis il parlera aussi d’effets de cascades, puis d’effets rétroactifs :

💬 “Par exemple, il y a un détail que tu n’avais pas vu sur le CV : le jeune est en jogging, mais c’est un passionné de foot.
Et moi je suis aussi passionné de foot donc je vais venir contrer mon premier biais et je vais me dire ok, c’est un jeune en jogging mais il fait du foot.
Et là je rentre dans
un biais de projection qui va venir contrer les biais d’origine mais qui en même temps va introduire d’autres.” Jonathan

Une grande partie du travail du formateur repose sur le fait d’instaurer un système de confiance. C’est le seul moyen de susciter des conversations ouvertes et de provoquer l’échange.

💬 “Ils parlent à un pair, pas à quelqu’un qui est là pour les juger ou avoir des positions asymétriques.” Jonathan

Ainsi, Jonathan n’hésite pas à exposer ses propres biais pendant les sessions.

Puis, il met en lumière le fait que c’est loin d’être un travail facile :

💬 “C’est déjà arrivé que dans des sessions il y ait des gens qui sortent de la pièce parce que ça a touché à des valeurs profondes chez eux qu’ils n’étaient pas prêts à mettre en mouvement. Mais ce sont des conversations qui sont reprises par la suite puisque cette résistance peut aussi faire partie du travail. Et c’est normal.“ Jonathan

Le choix des méthodes et outils contribue également à mettre les participants à la session en confiance.

💬 “Il s’agit d’utiliser plein de méthodes pour faire prendre conscience que c’est normal. Pour moi la clé c’est surtout ça. Ne pas en avoir peur. C’est normal de les ressentir, c’est qui est plus difficile c’est quand on se laisse aller.” Jonathan

Il me donne quelques exemples :

👉 Le jeu de rôles

💬 “Le fait de mettre un masque permet aussi de protéger ce qu’on pense vraiment. Quand je voyais que c’étaient des groupes qui rencontraient un peu plus de difficultés à parler on jouait au théâtre. Ils prenaient le rôle de quelqu’un qui pense de telle manière et souvent cette façade permettait de libérer d’autres choses.” Jonathan

👉 Les photos d’inconnus

💬 “Je leur passe des photos et je leur demande de me dire quels métiers ils pensent que ces personnes exercent, et pour quelles raisons. Physiquement ce sont des personnes qui ont une apparence qui est connotée à un métier. Statistiquement on a souvent les mêmes métiers qui ressortent alors que la personne en question sur la photo ne fait absolument pas ce métier-là.” Jonathan

👉 La logique cérébrale et les trompe-l’œil

“Ma femme ou ma belle-mère” - La logique cérébrale et les trompe-l’œil
💬 “Tu vas introduire les biais par un aspect plus scientifique. L’interprétation de cette image dépend de processus neuronaux, du fonctionnement du cerveau, mais elle répond aussi à une interprétation liée à une logique générationnelle et donc cela permet de mettre en avant le stéréotype d’une autre manière.” Jonathan

Pour la petite histoire, cette image intitulée “Ma femme ou ma belle-mère” est inspirée d’une carte postale. En 1915, elle sera publiée dans un magazine humoristique.

Elle fera un siècle plus tard l’objet d’une expérience qui cherche à étudier si “les préjugés liés à l’âge affectent l’interprétation initiale d’une image à un niveau subconscient.”

La majorité des jeunes participants repèrent la jeune femme, alors que les plus âgés eux voient l’autre personnage.

👉 Les photos partielles ou les échantillons d’image

💬 “Tu vas montrer des photos par exemple d’un homme avec des tatouages et un débardeur, tu vas demander quel est le stéréotype que vous avez vis-à-vis de lui. Et quand tu vas voir l’image dans l’ensemble, tu vas t’apercevoir qu’il a une blouse de médecin. Et tu vas être surpris par ce que tu pensais.” Jonathan

👉 Les études sur la symétrie du visage et l’effet de Halo

💬 “Je me sers aussi beaucoup d’études sur la symétrie du visage, qui fait que tu vas considérer quelqu’un plus ou moins performant parce qu’il est perçu comme beau parce qu’il a le visage symétrique et il sera perçu comme plus performant et il aura plus d’évolution. Je m’appuie aussi sur des écrits scientifiques là-dessus”. Jonathan

À ce stade, nous avons introduit le travail collectif via l’exemple des sessions de groupes et ateliers dont nous a parlé Jonathan.

La force de ce genre d’initiative réside dans le fait que vous travaillez main dans la main avec vos potentielles équipes de recrutement. Ce travail vous permet de désamorcer des points bloquants/pénalisants dans vos choix futurs.

Reste maintenant à prendre tous ces éléments en compte pour (re)construire un système de prise de décision le plus solide possible.

Et en transition parfaite vers la prochaine partie de cet article, je vous conseille le livre : “Vous allez commettre une terrible erreur !” d’Olivier Sibony.

“Vous allez commettre une terrible erreur !” - Olivier Sibony

Structurer le processus de recrutement

Le but ici n’est pas de vous donner une recette miracle du processus prêt à l’emploi.

Mais plutôt de partager ce que l’on a spontanément abordé avec Jonathan.

👉 Le besoin en recrutement

C’est la toute première étape, souvent sous-estimée et qui pourtant est INCONTOURNABLE.

Objectif : obtenir des critères précis dans un contexte donné.

Jonathan parlera de cartographie du besoin ou encore d’analyse systémique. C’est-à-dire, d’aller chercher une vision à 360° du poste.

Dans son épisode de podcast 👇, il parle de questionner non seulement le manager mais aussi des membres de l’équipe, ou la personne sortante par exemple.

Mais il y aborde également l’usage d’un test qui s’inspire du Big 5 pour faire l’analyse de son poste. Car il considère que le poste est une sorte “d’entité vivante qui évolue avec le temps et les personnes avec lesquels elle va interagir.

En complément de ce que partage Jonathan, je ne peux que vous conseiller ces deux articles :

📍Les coulisses du besoin en recrutement

📍Exemple de trame pour définir votre besoin en recrutement

Recruter est un métier, et ce n’est pas celui du manager. Son expertise est ailleurs.

Il aura tendance à simplifier le besoin, et pour minimiser les risques liés au recrutement il aura parfois tendance à chercher des candidats qui cochent une liste de cases.

Tout l’enjeu de la prise du besoin est dans le questionnement du raisonnement qui conduit à cette énumération.

Puis, de chercher à formuler des critères précis tout en les pondérant.

Jonathan me donne un exemple de case à cocher : celle de l’école.

Il me parle d’un manager qui dans la sélection des stagiaires voulait exclusivement des candidats qui venaient d’HEC.

💬 “Il se trouve que la personne venait elle-même d’HEC. Je venais d’arriver dans l’entreprise et ça m’a surpris. Personne n’avait jamais remis en question ce sujet-là.
J’y suis allé, j’ai discuté et j’ai lui ait posé des questions pour lui faire prendre conscience que c’était étonnant comme raisonnement.

Je lui ai demandé de me donner des exemples de personnes qu’il trouvait spécialement performantes dans l’entreprise.
Il me donnait des noms.
Je lui demandais alors : est-ce qu’elles viennent d’HEC ?
La réponse était : Non.

Et c’est ainsi que tu essayes d’ouvrir des petites brèches.

À la campagne de recrutement d’après, ce manager en question m’avait appelé et m’avait dit qu’il cherchait un stagiaire et sur la plaisanterie il a ajouté “tout sauf HEC”.

Et c’est drôle parce que je pense aussi que
parfois par le poids de l’autorité tu ne remets jamais en question des directives alors que ça peut se challenger en toute bienveillance juste par le questionnement.” Jonathan

👉 L’évaluation candidat : entretiens et tests de personnalité

Objectif : créer le cadre qui permette d’évaluer le plus efficacement possible les candidats en fonction des critères et du contexte du poste préalablement définis.

💬 “Chez Franprix beaucoup étaient persuadés qu’une préqualification téléphonique + un entretien de 10/15 minutes suffisaient à être en capacité d’évaluer quelqu’un.

Alors, pour faire évoluer cette idée, dans un premier temps on confronte le raisonnement en expliquant
par exemple que :
Le groupe Casino s’est construit sur la mission de “nourrir un monde de diversité” mais que si tu présélectionnes des gens dans les filiales par téléphone, tu ne peux pas savoir :
si la personne rencontrait des difficultés à s’exprimer,
ou si elle n’avait pas le temps de répondre (parce qu’elle était appelée sans prise de RDV préalable),
ou si elle est timide et/ou qu’elle ne sait pas se vendre au téléphone …

Ce manque d’information barrait l’entrée ne serait-ce qu’à l’entretien physique, ce qui est antinomique avec le fait de se dire que tu nourris un monde de diversité et d’égalité des chances.

Ensuite, on introduit de nouvelles façons d’évaluer en apportant des résultats qui montrent que non seulement tu peux gagner du temps, mais qu’en plus tu peux t’ouvrir à de nouveaux profils en défendant des valeurs qui sont chères au groupe.
” Jonathan

Et c’est ainsi que nous en sommes venus à parler des parties prenantes du processus recrutement, de celles et ceux qui mènent les entretiens et d’outils d’aide à la décision tels que les tests de personnalité.

🚨 Revenons quelques lignes en arrière.

Jonathan mettait en lumière que tout le monde n’adhérera pas à la démarche de remettre en question son raisonnement.

💬 “Quand tu as conscience d’avoir des biais, que tu es ok avec ça et que tu te laisses aller dedans sans vouloir travailler dessus, pour moi, dans ce cas tu n’es pas en mesure de sélectionner quelqu’un correctement et c’est négatif pour l’enseigne.

C’est aussi une position à assumer.
C’est comme un permis de conduire. Tu ne connais pas le code de la conduite et bien tu ne peux pas conduire. C’est pareil ici. Tu n’as pas les codes du recrutement, tu ne peux pas recruter.” Jonathan

Bien que j’étais 100% d’accord avec ce qu’il disait, je n’ai pas pu m’empêcher de trouver ce positionnement compliqué à assumer dans toutes les entreprises.

Est-il réaliste/possible de dire, telle personne n’est pas en capacité d’évaluer correctement les candidats, alors on l’écarte du processus ?

💬 “Tu as une façon de le faire en diplomatie, ce n’est pas un procès, ce n’est pas une règle RH qui le stipule, c’est une règle personnelle.
C’est la relation que tu vas avoir avec le manager qui va faire qu’en tant que chargé de recrutement (ou alternant, ça m’est arrivé quand j’étais alternant) de dire écoute aujourd’hui quand tu recrutes, tu te laisses aller à des interprétations qui pour moi pénalisent le candidat donc je préfère ne plus t’envoyer de candidats. Tu te débrouilles de ton côté.

Après c’est plus une position personnelle qu’une position défendue par l’entreprise. Si c’est une entreprise qui défend ça, c’est à toi aussi de le vendre à l’entreprise pour que ta DRH soit en phase avec ça.

Souvent c’était conflictuel, c’était frontal mais bon après ça ne veut pas dire que c’est négatif. Quand tu es en conflit avec quelqu’un c’est que quelque part tu touches quelque chose chez lui qui provoque une réaction. Si tu rentres avec quelqu’un en conflit il peut y avoir un échange.
” Jonathan

Et il me parlera aussi d’autres types d’ajustements tels que
👉 ne plus confier la présélection des candidats à la personne et de lui présenter des candidats en shortlist,
👉 ou encore de lui faire conduire les entretiens systématiquement en binôme.

Bien que quoi qu’il en soit, il préconise systématiquement ce système d’entretien en binôme pour pouvoir croiser deux lectures d’un même échange.

💬 “C’est très difficile d’évaluer quelqu’un tout seul. Je pense qu’il faut avoir une capacité introspective au-delà de la moyenne et se connaître déjà très bien pour savoir qu’on a un biais actuellement et ne pas aller dedans.” Jonathan

Quant aux tests de personnalité, Jonathan souligne que ce n’est qu’un outil d’aide à la prise de décision. C’est un moyen, pas une finalité. Il appelle à une prise de distance dans l’interprétation des résultats.

💬 “C’est comme les statistiques, tu peux tout faire dire à des chiffres. Ce que j’aime bien comme bonne pratique c’est de prendre des personnes différentes. D’un côté je fais passer l’entretien physique et de l’autre je fais lire le test à une autre personne. Ensuite je vais leur demander de décrire d’une part l’entretien avec le candidat et les interprétations, puis de l’autre de faire de même avec les résultats du test.

Souvent quand tu fais du recrutement tu aimes cette sensation de cerner le candidat, de comprendre ce truc un peu mystique ;  “Je le perçois”.

Alors que la personne à la lecture du test, elle va dire, ça ne correspond pas à ça forcément. Et
ce sont donc deux discussions qui vont venir se nourrir l’une et l’autre.” Jonathan

Puis, en guise de dernier conseil, il préconise aussi de multiplier les modalités d’évaluation pour prendre du recul.

💬 “Tu peux avoir un entretien en face à face, puis une mise en situation par exemple”. Jonathan

Évidemment le but n’est ni :

❌ de construire des processus interminables
❌ de dupliquer les évaluations de façon systématique à tous les postes.

Il n’existe pas de processus divin ni universel.

En écoutant tout ce qu’il a partagé pendant l’heure et demie qu’a duré notre conversation, je n’ai pas pu éviter de faire le parallèle avec les 4 éléments clés d’un système de prise de décision selon Olivier Sibony (et qui font une bonne conclusion à cet article) :

On est dans une équipe et ce que l’on ne peut pas résoudre individuellement, on peut le résoudre en équipe à condition d’avoir un système de prise de décision”.

✅ Des critères explicités

✅ Chercher la contradiction : plutôt que de se demander ce qui fait que mon choix est le bon, se demander, qu’est-ce qui fait que mon choix est mauvais. Je vais chercher la contradiction.

✅ Exprimer le désaccord et chercher à le résoudre pour décider d’y aller ou pas

✅ Parler ouvertement des incertitudes

3 personnes avec qui aller plus loin sur le sujet :

👉 Jonathan Goldfarb (évidemment)

👉 Marie-Sophie Zambeaux

👉 Loubna Benabderrazzak

Bien sûr il y en a plein d’autres mais je vous donne les noms des personnes avec qui je discute régulièrement, pour de vrai.

Je suis preneuse aussi de références de votre part. 😇

Et une dernière pour la route

Je ne peux que vous recommander en clap de fin de cet article l’excellente interview d’Albert Moukheiber. Ok, elle fait 1h30 mais croyez-moi, elle vaut l’écoute. 🤓

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