Dans une réunion, regardez qui boit la dernière goutte de café sans demander la permission ni se sentir obligé d’en refaire et vous aurez une idée de qui à le pouvoir dans l’entreprise. À votre avis, qui du recruteur ou du manager se permettra plus facilement un tel comportement, et pourquoi le manager ? (Oui, c’est une blague de RH)
Bien que la relation Hiring Manager/Équipe recrutement soit une des plus évidentes et importantes dans l’entreprise, elle peut tout autant être une des plus dysfonctionnelles et explosives qui soit, fondée sur une méconnaissance mutuelle et, avouons-le sans rougir, en quelques occasions une bonne dose d’égo.
Recruteurs et managers sont-ils comme l’huile et le vinaigre, non miscibles ? Ou bien existe-t-il des moyens de les lier efficacement et de mettre en place un recrutement réellement collaboratif ?
Allons le découvrir.
Genèse d’une relation compliquée…
Loin de vivre sur des îles distantes et isolées, le recruteur et le manager sont deux espèces extrêmement proches, vivant au contact direct l’une de l’autre et partageant une relation écologique symbiotique. Si dans l’idéal on aimerait n’y voir que du mutualisme, chaque acteur tirant un bénéfice équitable de la situation, c’est bien de commensalisme dont il faudrait parler : une relation non obligatoire à la survie de l’un ou de l’autre, dans laquelle l’une des parties prenantes tirera un bénéfice particulier sans que l’autre ne soit lésée ou favorisée. Et parfois il s’agira de parasitisme, l’un vivant au détriment de l’autre afin de ne servir que ses propres intérêts.
Sans doute faut-il regarder l’histoire et les évolutions de ces deux fonctions pour comprendre ce qui les disjoint et ce qui les relie.
Fayol, Taylor puis Ford ont d’abord chacun à leur manière appuyée l’idée que les hommes sont à la fois la force indispensable d’une organisation et son principal point faible. Il convient donc de limiter leur autonomie en instaurant des méthodes de travail conçues par les managers, détenteurs du savoir par opposition aux ouvriers qui effectuent. Dans cette vision ultra-verticale, ce qui ne s’appelle pas encore RH se cantonne à des tâches bureaucratiques.
Il faudra attendre l’après-guerre puis les années 30 pour que la prise en compte du facteur humain élargisse les prérogatives de l’administration du personnel, avant que les revendications sociales et sociétales des années 60 et 70 accordent une portée stratégique à la fonction pendant que la fin des Trentes Glorieuses va plonger le management dans une crise de croissance dont il n’est probablement toujours pas sorti à l’heure actuelle.
D’un côté un département en pleine mutation qui cherche à asseoir sa légitimité, à s’installer durablement dans les CODIR et à prouver son utilité en se débarrassant de son image de centre administratif de coût et d’oiseau de mauvais augure qu’on ne voit que pour les mauvaises nouvelles et les situations conflictuelles. De l’autre un manager premier RH de l’entreprise car au contact direct de ses équipes et dont on attend qu’il soit leader, coach, et tant d’autres choses. Effectivement, le risque de se marcher sur les pieds et de voir naître des luttes de territorialité existe bel et bien.
Et cela sans compter l’asymétrie de traitement.
Le recruteur est objectivé et évalué sur ce qui est son métier. Il joue sa vie dessus. Le manager beaucoup moins. Les chances qu’il perde son emploi en raison de mauvais recrutements sont beaucoup plus minces, ce qui lui confère un pouvoir sur les équipes talent acquisition.
Mais il n’est pas que client. Il en est un acteur indispensable afin que le processus soit réellement collaboratif.
L’eldorado du recrutement collaboratif
S’il est un domaine dans lequel l’union fait la force, c’est bien le recrutement.
Fondé sur une réelle collaboration recruteur/manager, il compte de nombreux avantages parmi lesquels :
Un recrutement de meilleure qualité
La diversité des points de vue, sous réserve d’entretiens structurés, permet de limiter les biais et de mieux traiter la complexité. La prédictibilité ne sera jamais de 100%, mais on peut facilement arriver à 60, 70% au bout de 3 entretiens et sachant qu’un recrutement en CDI raté (rompu dans la 1ère année) va chiffrer dans les 45.000 euros, les calculs semblent aisés.
L’amélioration de la marque employeur en interne comme en externe.
D’une part, cela permet d’impliquer des collaborateurs et de les responsabiliser vis-à-vis d’une action capitale pour l’organisation. Et si à terme vous arrivez à les fidéliser suffisamment pour en faire des ambassadeurs, souvenez-vous que vous pourriez alors abaisser vos coûts de recrutement de moitié par personne recrutée et diviser par 2 le time to fill, ce qui aura pour conséquence ultime de pacifier le binôme manager/recruteur en résolvant un des plus gros points de tension : la rapidité d’action.N’oublions pas que ce qui se vit à l’intérieur d’une entreprise se voit à l’extérieur : un recrutement réellement collaboratif et bien huilé est une garantie sérieuse d’une expérience candidat de qualité, donc d’une image de marque positive et d’une plus grande attractivité. Qui ne rêverait pas d’un tel cercle vertueux ?
Une meilleure intégration des nouveaux salariés et une culture d’entreprise authentique :
Le recrutement collaboratif prend le meilleur des deux mondes pour compenser les faiblesses de l’autre. Les RH et les recruteurs ont une vision globale mais peu détaillée de l’entreprise, quand les managers ont une connaissance précise des métiers mais pas toujours la big picture.
Les RH sont les garants du droit et vont empêcher les glissages vers la discrimination et l’illégalité, les managers auront un questionnement pointu. Le recruteur est un ambassadeur de la culture corporate, le hiring manager pourra parler des heures de la microculture de son équipe. Si tout cela se fait au bénéfice du candidat-bientôt-salarié, on peut imaginer que ce dernier trouvera plus facilement ses repères après avoir fait un choix éclairé et en conscience. Qu’on soit team culture fit ou culture add, les bénéfices sont évidents.
Quelles actions entreprendre ?
Séduisante et évidente sur le papier, la relation mutualiste manager/recruteur n’est ni utopique ni facile à mettre en place.
Elle requiert quelques conditions et décisions fortes à plusieurs niveaux de l’organisation, au premier rang desquelles un soutien des directions RH et opérationnelles.
À titre d’exemple, j’ai pu former aux entretiens les directeurs de magasin d’une enseigne de sportswear afin de faire baisser le taux colossal de turn-over.
Le message à relayer était simple :
Mieux vaut passer de temps en temps 1h30 structurée avec un candidat qui restera plusieurs mois ou années dans l’entreprise que 10 minutes à l’arrache et au fil de l’eau pour recruter des profils qui tiendront 48h et qui ne feront que repousser voire amplifier les urgences.
N’étant issu ni du retail ni de la vente, c’est ma légitimité qui a été remise en question. Qui suis-je pour leur apprendre quoi que ce soit si je ne connais empiriquement leur métier ? Rares ont été les directeurs de boutique à suivre les recommandations.
Cette action aurait dû être activement soutenue par les Directeurs de Région, conjointement avec la Direction des Ressources Humaines. L’exemplarité n’est pas une option lorsqu’il faut faire vivre le recrutement collaboratif au niveau opérationnel. Idem en cas de conflit : le recruteur doit pouvoir compter sur le soutien de sa ligne hiérarchique, dès lors qu’un opérationnel s’attaque à sa compétence ou qu’il doit être sanctionné en étant totalement hors des clous.
Une fois ce prérequis posé, il convient de travailler sur l’empathie et l’interconnaissance. « Recruter c’est facile » est aussi insupportable pour le recruteur que « mon fils de 3 ans pourrait faire mieux » pour l’amateur d’art face à un parent un peu béotien devant un Malevitch. Pour cela une seule solution : la formation. Elle est non négociable, portant évidemment sur les entretiens structurés, le questionnement, les aspects légaux, la non-discrimination et la marque employeur, mais également sur les tendances et réalité du marché. Il incombe au recruteur d’accompagner le manager dans la mise à jour de ses modèles mentaux et ses représentations, en lui faisant également expérimenter les coulisses du recrutement : le timing, les difficultés, les faits propres à chaque étape du processus. Elle est à double sens : le recruteur doit pouvoir tester, pourquoi pas en immersion, les réalités opérationnelles du manager et de son équipe. In fine, chaque acteur doit pouvoir adopter le point de vue de l’autre afin de reconnaître son expertise sans qu’il y ait quelque forme de hiérarchie.
Vient ensuite la question de l’organisation
Même si le recrutement est l’affaire de tous, son pilotage reste l’apanage du recruteur qui est habituellement rattaché à la direction des ressources humaines. C’est donc au moment du brief, qui est systématique même s’il s’agit d’un poste déjà traité par le passé, que va se jouer une bonne partie de la collaboration. Si on considère le recrutement comme un projet, il semble indispensable d’associer tous ses acteurs à son kick-off. Admettons que le recruteur s’appuie sur une personne en charge du sourcing, cette dernière doit participer à la définition du besoin et du Candidat Minimum Viable, afin d’être identifiée et elle aussi légitimée.
N’oublions pas que le brief ne se résume pas à la production d’un profil de poste et de profil ou à une scorecard, on en sort avec une idée précise de ce qu’on a à offrir aux candidats et une définition claire du qui fait quoi et quand. C’est le moment pour le manager d’exprimer au recruteur ce qu’il attend de lui, les synergies et les complémentarités sur lesquelles il mise. C’est le moment pour le recruteur d’interroger sur les modes de fonctionnement personnels (type de communication, canaux de prédilection, sensibilités, patterns de prise de décision…), de refaire le point sur les biais, de traduire et reformuler les propos du manager avec des mots définissant des contextes qui soient compréhensibles des candidats et utiles à ces derniers pour se positionner ou non…
Impliquer le manager passe par la communication et des points réguliers, inscrits dans son agenda. Le recruteur est le garant du rythme, mais il a un devoir de transparence et ces points plus ou moins formels ne doivent pas se limiter à évoquer un volume de candidatures ou servir de séance de défouloir. Il y est question de l’actualité dans son ensemble du recrutement, de faits plus que d’opinions, de questionner les émotions et les ressentis sans les remettre en cause. Le rythme idéal est celui qui aura été défini en commun, et qui changera selon la progression du processus, notamment quand il s’agira de statuer et d’informer les candidats. À ce sujet, la communication avec les candidats est un enjeu fondamental de l’attribution des rôles et responsabilités entre recruteur et manager, puisque facteur clé de l’expérience candidat !
On en parlait en introduction, mais la responsabilisation du hiring manager passera vraisemblablement par la mise en place d’objectifs et d’incentives sur les recrutements, avec des metrics qualitatifs plus que quantitatifs en lien avec les expériences candidat et collaborateur.
Des indicateurs qui seront d’autant plus faciles à partager que les outils comme les ATS seront collaboratifs, en veillant à ce que chacun ait des droits bien définis au risque de mettre un sacré bazar.
Une relation fragile et précieuse témoin de la culture d’entreprise
La relation manager/recruteur est un bon crash test pour la culture d’une organisation, car sa nature et sa qualité sont liées aux intentions de la direction générale, au positionnement de la DRH, à l’implication des directions opérationnelles, aux arbitrages en cas de conflit, aux moyens mis à disposition. Bref, à la considération portée au recrutement.
Bien entendu cette relation viendra se confronter à des principes de réalité assez rapidement, ne serait-ce que dans les visions long terme / court terme qui peuvent opposer recruteur et manager. Et c’est au révélateur d’un recrutement sous stress qu’on verra si le recrutement collaboratif est une réalité qui ne s’arrête pas à l’arrivée du nouveau collaborateur mais qui se poursuit dans l’accompagnement à l’intégration.