Cet été, pendant les Jeux Olympiques, de nombreux contenus sur les réseaux sociaux reprenaient une tendance :
“Mon trait de personnalité toxique, c’est penser que moi aussi je peux devenir champion olympique avec un peu d’entraînement.”
C’est drôle, et surtout c’est vrai : tout ce que je ne connais pas vraiment me semble accessible.
Faire du tir à l’arc ?
“Avec un peu d’entraînement, ça devrait le faire !”
De la course ?
“J’ai fait de l’athlétisme au collège, alors ça devrait revenir vite.”
Pour le sujet du recrutement, c’est pareil :
Recruter ?
“Ce ne doit pas être si compliqué, vu le nombre de demandeurs d’emploi.” Analyser des compétences ?
“Il suffit d’avoir un peu de jugeote et savoir analyser les gens”
Voilà : Vous venez de comprendre pourquoi les clients internes et externes des recruteurs desservent les intérêts des processus de recrutement.
Parce qu’ils pensent savoir - mais qu’ils ignorent qu’ils ne savent pas (oui cette phrase est compliquée).
En d’autres termes :
Comme quand je regarde de la GRS et que je me dis que si je me remettais un peu au sport, je pourrais moi aussi faire un grand écart suivi d’un triple lutz piqué, même si ça fait 6 mois que mon abonnement à Fitness Park prend la poussière.
Je fais exactement la même chose qu’un hiring manager qui pense sincèrement que recruter un responsable cybersécurité bilingue dans une bourgade de 1000 habitants, au salaire de 50K annuel, c’est possible.
Délulu- comme on dit aujourd’hui.
Pourquoi les clients/hiring managers ne comprennent pas notre métier de recruteur
Alors si certains de nos clients, internes comme externes :
- ne comprennent pas que non, il ne suffit pas de trier des CV pour recruter,
- ont parfois tendance à dévaluer notre travail,
- ou pensent qu'ils sont hyper bons pour recruter malgré un turnover abyssal,...
... ce n'est pas par malice ou par bêtise.
Mais à cause de plusieurs mécanismes qui vont opérer en même temps.
La première chose : moins j’en sais sur un sujet, plus j’ai l’impression qu’il est facile et que je l’ai compris, c’est le célèbre effet Dunning-Kruger.
Ici, on voit que la confiance monte quand je récolte les premiers éléments d'information sur un sujet.
À ce stade, je ne peux pourtant pas avoir une analyse objective et complète du sujet puisque je ne dispose que de bribes d’informations, mais je me persuade que je comprends l’entièreté du sujet.
Ma confiance se renforce de manière irrationnelle, et encore plus si on renforce cet avis à l’extérieur (ex : si des collègues me disent ce que je pense déjà savoir).
Dans le même temps, un autre mécanisme mental agit : la capacité à être réaliste avec moi-même au sujet de mes compétences réelles.
Ce concept est résumé par les quatre phases d’apprentissage :
Ce mécanisme explique pourquoi, même si je suis objectivement moyen ou mauvais dans un domaine, que je n’ai jamais été formé sur ce sujet, je peux sincèrement penser que je suis quand même compétent. Parce qu’on ne sait pas que l’on ne sait pas : on est inconsciemment incompétent.
Cette perception erronée de notre propre niveau explique aussi pourquoi en entreprise certaines personnes nous font la leçon sur le recrutement alors même que c’est notre propre métier à nous.
Enfin, si en plus de ces deux mécanismes, j’ai en moi quelques clichés sur le dit sujet, cela renforce le tout. Par exemple : “le recrutement est facile”.
En bref : on ne s’en sort pas, et c’est l’enfer pour le recruteur qui essaie désespérément de faire comprendre à son hiring manager ce qu’il fait au quotidien.
Pour faire sortir nos clients de l’idée selon laquelle le recrutement serait facile, il va donc falloir faire plus que simplement leur dire que “ce n’est pas aussi simple”.
Il va falloir qu'on se retrousse les manches et qu'on communique sur notre travail.
On ne laisse pas bébé dans un coin
Le problème, c’est que les recruteurs ne communiquent pas souvent en interne des entreprises - ni en externe non plus, d’ailleurs.
Résultat : personne ne sait ce qu’ils font vraiment, et les clichés s’ancrent.
Pire : ils n’ont pas de visibilité et se retrouvent relégués dans un coin de l’entreprise, entre l’imprimante et la machine à café.
Cela explique en grande partie le manque de reconnaissance du métier, qui a des conséquences bien réelles :
➡️ Manque de budget et d’outils
➡️ Manque de présence dans les CODIR et les instances stratégiques de l’entreprise
➡️ Manque d’opportunités professionnelles et de mobilité de carrière
➡️ Pression maximale sur les recruteurs pour “justifier” un job mal compris de la direction.
Cela ne peut plus durer !
Finalement, c’est un peu l’enjeu de tous les métiers opérationnels : montrer la réalité de nos quotidiens, l’importance de nos missions, et passer de “petite main” à “partenaire indispensable”.
C’est un peu ce qui s’est passé avec les fonctions financières.
Quand je recrutais des contrôleurs de gestion en début de carrière, on leur demandait essentiellement des compétences analytiques et techniques.
Désormais, ils font aussi de la data-visualisation, savent communiquer avec des non-financiers, présenter leurs chiffres aux CODIR sans les ennuyer, et s’imposent comment des business partners en devant incontournables pour les BU.
C’est totalement le même enjeu en recrutement : réussir à démontrer sa valeur, se faire entendre, obtenir plus. En une phrase :
Communiquer sur son propre travail : 3 bénéfices majeurs
Les avantages à développer une bonne communication, que ce soit en entreprise ou en agence, se résument essentiellement en trois points.
1 - Se faciliter le travail au quotidien
Communiquer sur son travail va rendre les processus et les interactions avec les différentes parties prenantes bien plus simples et bien plus fluides.
Forcément : si votre client interne comprend votre métier, il comprend aussi la part qu'il doit jouer dans le processus de recrutement.
S'il comprend votre métier, il comprend aussi les efforts que vous produisez et il est plus à même de respecter ce que vous faites.
2 - Passer de “prestataire” à “partenaire”
Pour passer de la posture de “distributeur de CV”, interchangeable et peu important, à une posture de business partner respecté et écouté, vous devez travailler à renforcer votre crédibilité.
Et cela passe par expliquer ce que vous faites, comment vous le faites, et surtout, par démontrer vos résultats. Cela va avoir pour effet de créer de la confiance de la part des interlocuteurs.
Et non, montrer votre expertise n’est pas de l’arrogance.
Au contraire, en développant la communication autour de votre expertise, et de vos résultats, vous montrez que vous faites un “vrai” métier sur lequel les autres peuvent s'appuyer.
3 - Obtenir plus et mieux
À partir du moment où votre expertise est reconnue, où l’on comprend l’intérêt de votre démarche, il sera plus facile d'obtenir du budget, de nouveaux outils pour travailler correctement, voire même des ressources humaines supplémentaires.
Mais aussi, parce que lorsque l’on vous reconnaît comme un expert crédible, engagé dans votre travail et capable de relever certains défis, vos supérieurs commencent à vous proposer de nouveaux projets, les clients reviennent, et les recommandations se multiplient. Les opportunités se présentent alors naturellement.
Maintenant que nous avons vu tous les bénéfices de développer sa communication personnelle, voyons comment le faire concrètement.
Comment faire pour mieux communiquer sur son travail ?
1 - Se débarrasser du mindset de “l’homme invisible”
Voilà ce qui arrive à la majorité des recruteurs : ils espèrent que leur travail acharné finira par se voir et parlera pour eux.
Mais c’est faux (et cela porte un nom : le biais du monde juste).
Avant tout, il faut donc se sortir de la tête :
- que le métier de recruteur ne demande pas d'être en capacité de communiquer sur ce que l'on fait,
- que la qualité de son travail devrait suffire, à elle seule, à être reconnue.
La dimension transversale du métier de recruteur et sa posture d’interface permanente, font que la communication fait littéralement partie du job.
Considérez également que personne n'est dans votre tête : pourquoi les personnes devraient prendre de leur temps pour essayer de comprendre votre propre travail ? Elles ont déjà bien à faire avec le leur !
C’est à vous d’être proactif sur ce sujet.
En résumé : apprenez que le savoir-faire et le faire-savoir ne s'opposent pas, ils se complètent.
2 - Pas de fausse modestie !
Pour éviter de paraître prétentieux, beaucoup pensent bien faire en minimisant leur impact ou leur action :
- en ayant du mal à accepter les compliments : "ce n'est que mon travail", "ce n'est pas grand-chose",
- en utilisant des mots qui diminuent l'impact du travail : "on va mettre une petite stratégie en place"; "nous avons obtenu des résultats sympas",
- ou encore, en utilisant le "on" à la place du "je".
Non, soyez fiers de ce que vous accomplissez. Pour être certain de ne pas paraître arrogant, restez factuel et précis – apportez également un éclairage stratégique à ce que vous dites, afin d'offrir une réelle valeur à votre interlocuteur.
Exemples :
- “J’ai recruté 50 profils cette année sur des fonctions pénuriques en X temps, c’est intéressant parce que la moyenne du secteur est plutôt à Y.”
- “Mon taux de transformation est de 90%, quand la moyenne était de 50% l’année dernière. J’explique ce bon résultat par X, Y et Z.”
S'en tenir aux faits, en donnant une vision plus large, vous positionne comme un expert avec une démarche de conseil.
3 - Prenez l'habitude de parler régulièrement de ce que vous faites
Comment les autres peuvent-ils être au courant de ce que vous faites si vous ne le leur dites pas ? Apprenez à dire et montrer ce que vous faites, sans en faire trop.
Par exemple, expliquez votre actualité du moment, sur un ton positif : les projets que vous êtes en train de mener, les objectifs que vous poursuivez, les salons auxquels vous vous êtes rendus...
En bref : montrez que vous êtes actif.ve, et ce à tous les moments que vous pourrez saisir : en réunion, mais aussi dans des contextes plus informels. Par exemple : à la machine à café. On sait que c'est un endroit de small talk stratégique où le réseau et les avis se font.
Tous ces points de contacts vont permettre non seulement de rendre plus compréhensible ce que vous faites, mais aussi de commencer à élaborer votre marque personnelle au sein de l’organisation.
4 - Essayez le “build in public”
Le buil-in-public", c'est une technique de communication qui consiste à partager l'évolution d'un projet dès ses premières étapes de développement. On communique donc sur les coulisses de ce projet, afin d'impliquer l'auditoire dans l'aventure.
Pour communiquer de la façon la plus juste possible, sans avoir l'air de se vanter, n'essayez pas de démontrer uniquement de bons résultats.
Exprimez simplement ce que vous avez fait, les problématiques sur lesquelles vous avez buté, les solutions que vous êtes en train de mettre en place.
Vous pouvez expliquer les défis que vous rencontrez et les solutions que vous envisagez.
Vous pouvez aussi documenter les processus et les tests mis en place et en faire des use-case, que vous présentez ensuite à vos clients.
5 - Apprenez à valoriser vos résultats
C’est le point majeur de notre sujet. Pour montrer vos résultats, vous devez déjà les suivre : piloter vos indicateurs clés de performance va permettre d’avoir une meilleure compréhension de votre propre activité et de pouvoir en parler.
Ensuite, n’hésitez pas à provoquer des REX (retours d’expérience) ou des RDV bilans avec les parties prenantes, pendant lesquels vous revenez sur les recrutements réalisés, les difficultés rencontrées, les stratégies mises en place et les résultats obtenus.
Vous pouvez aussi créer une présentation à destination de votre manager afin de lui montrer vos statistiques de manière régulière.
Vous pouvez même créer une mini-newsletter du recrutement que vous diffuserez aux parties prenantes.
Un conseil judicieux serait, dans tous les cas, de créer des dashboards, si possible simples et colorés, afin de rendre toute votre action à la fois lisible et extrêmement puissante.
6 - Communiquez au quotidien avec vos clients
Rappelez-vous : les clients ne sont pas censés savoir ce que vous faites au quotidien. Donc, il est probable que si un manager opérationnel vous “harcèle” au téléphone ou ne comprend pas pourquoi vous n’avez aucun CV à lui proposer, ce soit pour cause de mauvaise communication de votre part.
Je m’explique : plusieurs de nos actions sont invisibles des clients, comme le sourcing par exemple.
Après le brief, l’erreur serait donc de ne reprendre contact avec votre client que quand vous lui envoyez des CV.
Or, c’est l’inverse qu’il faut faire : instituer dès le départ des RDV, par exemple hebdomadaires, pour faire le point sur la recherche.
Même (et surtout) s’il y a encore peu de résultats !
Cela permet de montrer que l’on ne fait pas rien, d’ajuster la stratégie et in fine, de lui montrer comment nous travaillons et les défis auxquels nous sommes confrontés.
Cela permet aussi de l’engager dans le processus.
Vous pouvez créer un tableau récapitulatif de vos actions hebdomadaires pour les envoyer à vos clients internes ou externes.
Ils seront contents de voir concrètement des chiffres, ce qui renforcera mon point précédent.
7 - Faire de la pédagogie
Nous l'avons vu, il peut être difficile de faire comprendre aux hiring managers que leur perception du recrutement peut être erronée.
Pour cela, vous devez aussi user de pédagogie.
D’abord, dans votre manière d’aborder les personnes : rien ne sert d’y aller frontalement, de confronter les croyances des hiring managers- cela aurait l’effet inverse, à savoir créer de la résistance par rapport à vous.
Rien de sert non plus de râler parce que ce même hiring manager ne “comprend rien au recrutement”.
Non, ce qu’il faut, c’est plutôt questionner ses croyances en douceur. Amenez-le, par un jeu de questionnements, à revoir sa position et faites preuve de patience en expliquant d’autres positions, sans le brusquer.
De la même façon, vous pouvez créer des mini-formations afin de sensibiliser vos clients à certains sujets (l’entretien, la discrimination…).
Dans ce cas, mon conseil est de construire des mini workshops très concrets et amusants, qui vont permettre concrètement de faire monter les parties prenantes en compétences, et par effet de ricochet, renforcer votre posture d’expert.
Enfin, ne perdez jamais une occasion d’expliquer des concepts, et des sujets de recrutement, même dans une conversation lambda avec vos clients.
C’est en fait la répétition qui va permettre d’insuffler une culture du recrutement plus forte chez vos interlocuteurs !
8 - Cultivez votre réseau
Votre capacité à rendre visible votre travail sera grandement facilité, si on vous connaît, vous.
Créer et entretenir son réseau pro est un moyen efficace pour cela. Intéressez-vous aux autres, posez-leur des questions, faites la démarche d’aller les voir.
Par exemple, créez des moments de convivialité avec vos hiring manger et leurs équipes, voir, des “vis à ma vie” pour comprendre leur réalité.
Entretenez votre carnet d’adresses en prenant des nouvelles, participez à des événements,… Cela va permettre de diffuser une image positive de vous et votre communication s’en trouvera facilitée.
Conclusion
Savoir parler de son travail, n’est pas accessoire.
Communiquer sur son travail permet aux recruteurs de sortir de l’ombre et d'obtenir la reconnaissance qu’ils méritent.
Vous avez désormais tous les outils en main pour reprendre le pouvoir.
Et faire reconnaître le merveilleux métier qu’est le recrutement, ainsi que votre propre valeur !