Le mot de la rédac :
Cet article est long. Il est à lire dans l'ordre, dans le désordre. À votre guise.
Un grand merci à Anaïs Le Digarcher pour sa participation en coulisses de cet article.
Bonne lecture !
As-tu déjà été témoin d’un acte de discrimination à l’embauche ?
Peut-être l’as-tu vu, entendu ou toi-même reproduit ?
- “Il est trop vieux”,
- “Elle n’a pas bossé depuis 2 ans, elle a dû tomber enceinte”
- “Pas sûre qu’elle puisse tenir le rythme, elle a 2 enfants. Elle va me demander de partir à 16h”.
- “Elle porte le voile, l’appelle pas, ça ne passera pas”.
- “Un peu efféminée sa photo, il est homo ?”
Ces phrases que tous les recruteurs ont déjà entendues dans leur carrière, du plus junior au plus expérimenté.
En théorie, l'article L1131-2 du Code du Travail impose une obligation de formation à la non-discrimination pour toutes les entreprises spécialisées dans le recrutement ainsi que pour celles comptant plus de 300 salariés au moins une fois tous les cinq ans.
Mais cela ne suffit pas.
Recruter sans discriminer implique une véritable introspection individuelle et collective sur notre fonctionnement, ainsi qu'une volonté de transformer les pratiques d'entreprise.
Comprendre les mécanismes des biais, des stéréotypes, et des préjugés débloque une prise de conscience essentielle : nous sommes tous concernés.
Tu souhaites aller plus loin dans la réflexion et la mise en place d’actions concrètes ?
Si tu es ici, c’est certainement pour une bonne raison.
Biais, stéréotypes, préjugés, discrimination : de quoi parle-t-on ?
Tout d’abord un peu de contexte avec des définitions pratiques pour entrer dans le vif du sujet.
Les biais cognitifs
Les biais sont une déformation cognitive qui influence nos jugements. Tels des filtres, ils peuvent parfois nous aider à voir certaines choses plus clairement, mais ils peuvent aussi déformer notre perception de la réalité.
📌 Dire aux biais ses 4 vérités :
- Ils opèrent souvent de manière inconsciente et rapide. Ils sont automatiques.
- Ils se produisent de manière prévisible et répétée dans des situations similaires. Ils sont systématiques.
- Tous les êtres humains sont sujets aux biais cognitifs, indépendamment de leur intelligence ou de leur éducation. Ils sont universels.
- Même lorsqu'on en est conscient, il peut être difficile de les surmonter complètement. Ils sont persistants.
🧠 Les biais cognitifs peuvent influencer notre perception des événements, nos souvenirs, nos décisions ainsi que nos jugements sur les autres et sur nous-mêmes.
Le stéréotype
Les stéréotypes sont les croyances partagées sur les caractéristiques d'un groupe de personnes. Des croyances sur leurs traits de personnalité et/ou sur leurs comportements.
📌 Un stéréotype peut être positif ou négatif :
Exemple de stéréotype négatif : Les femmes sont moins aptes à diriger que les hommes.
Exemple de stéréotype positif : Les Asiatiques sont bons en mathématiques.
🐣 D’où viennent-ils ?
- Les stéréotypes, on les acquiert au cours de la socialisation ; au travers de l'éducation et de toutes les personnes que l'on va côtoyer dans notre environnement (famille, collègues, amis, voisins...)
- Mais aussi d'observations et ou d’expériences vécues.
🧠 Quelle est leur utilité ?
Trier, simplifier, ranger.
- Le monde est complexe, avec beaucoup d'infos, donc cela aide à les traiter plus rapidement et en faisant et en faisant moins d'efforts.
- Utilité sociale car comme connus et partagés par les membres d'une société/communauté, tous ses membres verront les choses de la même façon.
Le préjugé
Le préjugé c'est la conséquence du stéréotype.
On attribue une caractéristique à quelqu'un parce qu'il appartient à un groupe qui est stéréotypé.
Le préjugé est la disposition à agir défavorablement à l'encontre d'une personne sur la base de son appartenance à un groupe.
Le préjugé est toujours défavorable. Il oriente nos comportements, et souvent le comportement en question est un comportement de discrimination.
La discrimination
La discrimination est un traitement inégal ou injuste envers une personne ou un groupe de personnes en raison de caractéristiques spécifiques, souvent protégées par la loi. Ces caractéristiques sont regroupées en 25 critères de discrimination.
Enfin 25 +1. Et oui, le Défenseur des Droits reconnaît un 26ème critère de discrimination : “la qualité de lanceur d’alerte, qualité de facilitateur d’une alerte ou lien avec un lanceur d’alerte”.
La discrimination se manifeste lorsque ces caractéristiques sont utilisées comme base pour prendre des décisions ou pour adopter des comportements qui désavantagent certaines personnes par rapport à d'autres.
Allez Jamy, zoom sur les types de discriminations :
👉 Discrimination directe : Lorsqu'une personne est traitée moins favorablement qu'une autre dans une situation comparable en raison d'une caractéristique protégée.
Exemple : Refuser d'embaucher une femme parce qu'elle est enceinte.
👉 Discrimination indirecte : Lorsqu'une règle ou une politique apparemment neutre a un effet défavorable disproportionné sur un certain groupe.
Exemple : Exiger une expérience professionnelle récente : Ce critère peut pénaliser les personnes ayant pris un congé parental ou ayant eu une interruption de carrière pour raisons familiales, ce qui affecte souvent plus les femmes.
👉 Discrimination structurelle : C'est un ensemble de pratiques institutionnelles qui perpétuent des inégalités pour un groupe particulier, souvent de manière implicite. Certaines cultures d’entreprise peuvent alimenter une discrimination systémique.
Exemple : Des politiques d'entreprise qui empêchent les femmes d'accéder aux postes de direction.
👉 Discrimination positive ou "affirmative action" en anglais (plus sympa et moins connotée, non ?) : C'est un ensemble de mesures visant à corriger les désavantages subis par certains groupes historiquement marginalisés, en leur offrant des opportunités spécifiques.
En France, l’expression est paradoxale et porte d’emblée une connotation négative. Elle est d’ailleurs critiquée par certains. Mais je pense qu’elle est efficace lorsqu’elle est justifiée, qu’elle porte des objectifs clairement définis, et qu’elle est définie dans le temps.
Voici quelques mesures de discrimination positive qui peuvent être mises en place légalement, sous certaines conditions, visant à rétablir l’égalité hommes/femmes par exemple :
- Quotas : L'instauration de quotas dans les conseils d'administration des grandes entreprises pour assurer une représentation minimale des femmes, comme cela a été mis en place dans plusieurs pays européens.
- Programmes de formation spécifiques : Des programmes destinés uniquement aux femmes pour les aider à acquérir des compétences dans des domaines où elles sont traditionnellement sous-représentées, comme les STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques).
- Plans d'action pour l'égalité professionnelle : Des plans négociés au sein des entreprises pour promouvoir l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, qui peuvent inclure des mesures spécifiques pour augmenter le nombre de femmes dans des postes de management ou dans des secteurs d'activité spécifiques.
- Mesures de soutien à la maternité : Des politiques d'entreprise qui vont au-delà des exigences légales pour soutenir les femmes en maternité, comme des extensions de congé maternité payé ou des programmes de retour au travail.
- Critères de recrutement et de promotion : Dans certains cas, et toujours dans un cadre légal strict, il peut être permis de favoriser une candidate femme si cela est justifié par un déséquilibre significatif dans le secteur ou le niveau hiérarchique concerné.
NB : La discrimination positive, ou action positive, est encadrée par plusieurs textes législatifs et réglementaires, notamment au niveau européen et national.
Concrètement en termes de recrutement ça donne quoi ?
Les 4 des discriminations à l’emploi les plus citées
Dans le top 4 on retrouve donc :
- 🥇 Le sexisme,
- Les origines
- L’état de santé
- l’âge
En ce qui concerne les femmes, elles gagnent en moyenne 24 % de moins que les hommes pour un même temps de travail et un poste comparable.
Cette différence reste difficile à expliquer de manière simple.
D'après mon expérience en tant que RH, une partie de cet écart peut être liée aux congés maternité et parentaux. Les femmes sont encore majoritairement celles qui prennent ces congés, et souvent sur une durée plus longue. Cela à pour conséquence, à long terme, de créer un décalage en matière de salaire et d’évolution professionnelle.
C’est le cas également pour les immigrés et leurs descendants.
Un candidat au nom français a près de 50% de chances supplémentaires d’être rappelé par un employeur par rapport à un candidat au nom maghrébin.
Ça veut dire que si tu t’appelles Benoit, tu as plus de chances de décrocher un entretien, qu’un jeune homme qui s’appelle Sami.
Les seniors quant à eux, ont du mal à trouver des emplois stables (CDD, CDI) et sont souvent relayés à des postes en intérim. Ce qui précarise leur situation.
Pour information, en France, le taux de chômage des seniors en 2022 s’élève à 5,7%.
Quant aux travailleurs en mauvaise santé ou atteint d’un handicap, c’est 2 personnes sur 10 qui déclarent avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations au travail contre à peine 1 sur 10 pour les personnes en bonne santé.
Quid de la discrimination multiple ?
Imaginez une personne ayant une ou plusieurs de ces caractéristiques :
📌 Exemple : Une femme, d’origine maghrébine atteinte d’une maladie chronique et qui a plus de 50 ans qui postule à un poste de manager.
Cette personne a plus de chances de vivre ce qu’on appelle la discrimination intersectionnelle.
Elle peut subir à la fois une discrimination parce que c’est une femme, parce qu'elle est arabe, parce qu’elle a plus de 50 ans et parce qu'elle est atteinte d'une maladie chronique.
Une discrimination intersectionnelle se produit lorsqu'une personne est victime de deux ou plusieurs formes de discrimination qui se croisent et se renforcent.
Les différents aspects de son identité peuvent interagir pour créer des formes de discrimination uniques et complexes, qui ne peuvent être pleinement comprises en examinant chaque facteur isolément.
Je t’ai perdu ? Reste, promis, tu vas voir le jeu en vaut la chandelle.
C’est ce que porpose Sandra Fredman dans son étude sur l’intersectionnalité dans l’Union européenne.
Plus précisément elle propose trois grandes approches pour conceptualiser la discrimination fondée sur plus d’un motif :
- La discrimination multiple séquentielle : une personne est victime de discriminations sur différents motifs à des moments distincts.
Par exemple, une femme en situation de handicap peut subir une discrimination en raison de son genre à une occasion, puis de son handicap à une autre. Ce type de discrimination est plus facile à gérer, car chaque incident peut être traité et jugé séparément. - La discrimination multiple additive : une personne est discriminée en une seule occasion pour deux motifs à la fois.
Par exemple, une femme homosexuelle harcelée en raison de son genre et de son orientation sexuelle. Ce type de discrimination est qualifié d’« additif », car chaque motif peut être identifié de façon indépendante. - Et la discrimination intersectionnelle qu’on ne vous présente plus du coup.
La discrimination multiple est un concept récent, pourtant reconnu mais pas encore transposé dans le droit et la pratique juridique.
Le cadre juridique actuel de l'UE en matière de lutte contre la discrimination est principalement axé sur la dimension individuelle de la discrimination.
Des recherches dans certains domaines, notamment sur les femmes issues de communautés défavorisées, ont démontré l'existence d'expériences intersectionnelles de discrimination, soulignant ainsi la nécessité pour les politiques et pratiques de prendre en compte l'ensemble des facteurs concernés.
Le Parlement européen a appelé les institutions de l'UE à s'attaquer aux formes intersectionnelles de discrimination dans la législation et les politiques de l'Union, et à appliquer une approche intersectionnelle dans toutes les politiques pertinentes.
C’est donc une affaire à suivre.
Ce que je vois sur le terrain
Dans la prise du besoin
👉 Situation :
Une de mes apprenantes, Marine*, a été confrontée à un manager qui lui a explicitement demandé de recruter un candidat “jeune et dynamique”, laissant entendre qu'il recherchait une personne âgée de 25 à 35 ans.
Selon lui, les jeunes seraient plus à l’aise avec la technologie et plus motivés à évoluer rapidement.
Bien que Marine ne partageait pas cette vision, elle a tout de même suivi la consigne du manager en écartant des candidats de plus de 50 ans. Elle s'est sentie contrainte de le faire, car en tant que recruteuse, elle se devait de répondre aux attentes de son collègue.
Cette situation illustre un enchaînement classique de stéréotypes (les jeunes seraient naturellement plus à l’aise avec la tech), qui ont alimenté des préjugés du manager (les plus de 50 ans sont moins dynamiques et adaptables), menant ainsi à une discrimination basée sur l'âge.
Ce type de dilemme est fréquent dans le recrutement. Les recruteurs sont souvent les premiers à observer ces biais et à devoir jongler entre les demandes des managers et les principes d’égalité.
Alors, si ça vous arrive, comment vous pouvez réagir ?
Vous pouvez challenger le manager !
🔑 Des questions pratiques à se poser plus globalement lors du brief de poste :
- Est-ce que les compétences et qualifications demandées sont clairement liées aux exigences réelles du poste ou y a-t-il des critères superflus qui pourraient exclure certains candidats sans justification ?
- Est-ce qu’on exige des qualifications ou diplômes qui ne sont pas strictement nécessaires pour le poste et qui pourraient exclure certains groupes (milieux socio-économiques défavorisés, minorités, etc.) ?
- Est-ce qu’on a pris en compte des expériences professionnelles diversifiées (comme des parcours non linéaires ou des reconversions) qui pourraient enrichir le poste, ou est-ce qu’on se limite avec des parcours traditionnels ?
- Est-ce que la définition du besoin inclut des qualités subjectives (par exemple : "bonne présentation", "personnalité dynamique") qui pourraient être basées sur des stéréotypes ou des préjugés plutôt que sur des critères objectifs ?
En sourcing
👉 Situation :
Lors d'une séance de coaching avec un recruteur il y a quelques semaines, nous avons abordé le thème du sourcing. En analysant les différentes candidatures, nous avons découvert le CV d'une candidate qui n'avait pas travaillé depuis un an.
Le recruteur, un homme, a immédiatement conclu qu'elle avait probablement eu un bébé. Cela illustre un stéréotype de genre.
Bien qu'il n'ait pas porté de jugement, sa première réaction révèle une croyance implicite selon laquelle la naissance d'un enfant est la principale raison pour laquelle une femme peut interrompre sa carrière.
Et cela peut mener à l’élimination de candidates potentiellement qualifiées simplement en raison de leur statut parental présumé.
🔑 Des questions pratiques à se poser dans sa stratégie de sourcing :
- Les équipes de sourcing et de recrutement sont-elles sensibilisées aux biais qui peuvent influencer leur jugement lors de la recherche et du contact avec des candidats ?
- Est-ce qu’on utilise plusieurs canaux de sourcing pour atteindre un public diversifié ou est-ce qu’on reste limités à des sources qui attirent un même profil de candidats ?
- Est-ce qu’on est conscient de l’impact potentiel des biais de réseau (recrutement via recommandations personnelles, cercles professionnels restreints) sur la diversité des candidats ? Comment on l’évalue ?
- Avons-nous intégré des critères de diversité et d'inclusion dans les objectifs de performance des sourceurs pour encourager une démarche proactive ?
🔑 Des questions pratiques à se poser lors de son sourcing :
- Est-ce que je traite chaque candidat de manière équitable en me basant sur des critères objectifs plutôt que sur des suppositions ?
- Ai-je des informations factuelles sur la raison de l'interruption de carrière de ce candidat ?
- Quelles sont les compétences et l'expérience professionnelles de ce candidat, indépendamment de la période d'inactivité ?
- Quelles expériences ou compétences cette personne a-t-elle acquis avant cette pause et qui pourraient être pertinentes pour le poste ? (dans le cadre d’un trou dans le CV)
- Cette personne a-t-elle les compétences nécessaires pour le poste, ou y a-t-il des manques que je peux expliquer ?
- Qu'est-ce qui a motivé mon choix de ne pas sélectionner cette personne ?
Dans la rédaction des offres d’emploi
👉 Situation :
Lorsque je travaillais en cabinet de recrutement, toutes nos annonces étaient minutieusement examinées par une experte pour éviter toute forme de discrimination. Bien que cela puisse sembler rigide, cette démarche assure en réalité que nous ne faisons de discrimination envers aucun candidat et que nous nous concentrons uniquement sur les compétences requises pour le poste.
Mais comment une annonce peut-elle discriminer ?
Par des mots qui semblent anodins, comme “vous êtes jeune et dynamique”, jusqu'à des formulations plus inattendues, telles que “si vous ne souhaitez pas changer de banque, alors vous n'êtes pas fait pour travailler chez nous.”
Vous pensez que c’est une blague, n'est-ce pas ?
Et pourtant, ce genre d’annonce existe bel et bien. Une licorne française a même fait la une des journaux et des réseaux sociaux l’année dernière en raison d'une annonce truffée de discriminations, s'adressant uniquement à des candidats jugés “dociles, disciplinés, acharnés de travail, résilients, et prêts à rester dans l’entreprise pour 20 ans (au moins).”
83% des offres d’emploi recueillies et analysées par À compétences égales comportent au moins 1 motif de discrimination, avec le sexe comme tout premier critère.
Cela soulève de vraies questions sur la manière dont nous rédigeons nos annonces et sur l’impact que cela peut avoir sur la diversité et l’inclusion.
🔑 Des questions pratiques à se poser lors de sa rédaction de l'offre :
- Est-ce qu’on donne des informations précises sur les responsabilités et les attentes liées au poste, plutôt que des descriptions trop larges qui laissent place à l’interprétation personnelle et à l’influence des préjugés ?
- Ai-je bien inclus le H/F dans mon annonce ? (À mon avis, le X/NB devrait se répandre bientôt).
Pour info :
X : C'est une manière neutre de désigner les genres dans les intitulés de poste.
NB : Il signifie quant à lui "non-binaire" et fait référence aux personnes qui ne s'identifient pas exclusivement comme homme ou femme. Lorsqu'une annonce indique "NB inclus," cela signifie que l'entreprise est ouverte aux candidatures de personnes non-binaires et qu'elle promeut un environnement de travail inclusif.
- Est-ce qu’on utilise des termes techniques ou spécifiques à l’entreprise qui pourraient décourager certains candidats qui ne connaissent pas cette terminologie, même s’ils sont compétents ?
- Est-ce que l’offre contient des phrases qui pourraient perpétuer des stéréotypes sur ce qu’est un bon candidat pour ce poste (par exemple "personne jeune et dynamique") ?
- Est-ce que nous avons inclus des détails sur l’accessibilité des bureaux ou d'autres aménagements possibles pour les personnes en situation de handicap ?
- Est-ce que les informations sur les politiques d’égalité salariale, d’accessibilité, de flexibilité sont mises en avant dans les annonces pour attirer des candidats divers ?
La discrimination se prolonge également dans le processus de tri des candidatures. En effet, les biais qui peuvent se glisser dans nos annonces ont souvent un écho dans la manière dont nous évaluons les candidats.
Dans le tri des CV/ des candidatures
👉 Situation :
Lorsque je prospectais dans le cadre de mon activité de consultante en recrutement, il m'est arrivé de croiser des clients ayant des préjugés. Un jour, j’avais réussi à avoir au bout du fil un directeur financier qui recherchait un comptable auxiliaire. En me parlant du profil recherché, j’ai pensé à lui envoyer dans l’instant le CV d’une candidate rencontrée quelques jours avant et qui correspondait parfaitement à son besoin.
À la lecture du CV (anonyme), le prospect a remarqué que Naima avait fait ses études en Guadeloupe.
Et il n’a pas manqué de me faire savoir que “ces personnes sont un peu molles”.
Je n’ai jamais travaillé avec ce client.
Naima n’a jamais passé l’étape de l’entretien parce qu’elle a étudié de l’autre côté de l’Atlantique.
🔑 Des questions pratiques à se poser :
- Est-ce qu’on a défini des critères de sélection clairs, précis et objectifs avant de commencer à trier les CV pour éviter des décisions basées sur des impressions subjectives ou des stéréotypes ?
- Comment réagissons-nous à des éléments comme un trou dans le CV ? Est-ce que cela suscite des jugements négatifs sans analyse approfondie des raisons derrière ces éléments ?
- Quelles sont les informations que je retiens quand je lis le CV d’un candidat ? Est-ce qu’elles sont en lien direct avec les exigences réelles attendues pour le poste ?
- Quelles ont été les raisons de refus de mes 20 derniers CV lus ? Est-ce qu’on est capable de justifier ce refus pour des raisons en lien direct avec les exigences réelles attendues pour le poste ?
- Utilisons-nous des filtres automatiques (algorithmes, IA) pour trier les CV ou les candidatures ? Si oui, est-ce que le paramétrage des différents filtres est régulièrement testé et mis à jour si nécessaire ?
On l'a vu, les préjugés peuvent influencer la perception des candidats, les amenant à être jugés sur des stéréotypes qui n'ont rien à voir avec leur potentiel. Passons donc à la question cruciale de la discrimination lors des entretiens, où ces biais peuvent avoir des conséquences encore plus marquées.
En entretien
👉 Exemple de situation :
Une de mes apprenantes, recruteuse dans un cabinet de conseil, m'a confié que le style vestimentaire faisait partie des critères de sélection.
L'année dernière, pendant la période estivale, alors qu'elle était en charge des entretiens, un de ses candidats s'est présenté en tee-shirt.
Quelques jours plus tard, elle a dû lui annoncer son refus. Avec franchise, elle lui a expliqué qu'il n'avait pas obtenu le poste simplement parce qu'il portait un tee-shirt blanc au lieu d'une chemise, un choix considéré comme inacceptable pour leur culture d'entreprise.
Il est important de comprendre le raisonnement derrière ce choix avant d'émettre un jugement. Dans ce type de structure, les consultants sont souvent amenés à se déplacer chez les clients, et leur présentation joue un rôle crucial. La posture du consultant est très codifiée, et les clients sont souvent attentifs à l'apparence et au professionnalisme. Dans ce contexte, le costume est souvent perçu comme un symbole de sérieux et de compétence.
Mon apprenante cherchait surtout à se rassurer sur le fait que le port du costume était la norme en clientèle. Au lieu de se focaliser sur l’apparence du candidat, elle aurait pu lui demander si le port d’un costume (la norme en clientèle chez nous) était ok pour lui.
Mais surtout, la question à se poser était : Est-ce qu’il est indiqué sur l'offre d'emploi qu’une tenue vestimentaire spécifique est imposée au travail ?
Le fait d’évoquer avec un candidat l’existence d’un code vestimentaire dans l’entreprise ne constitue pas une discrimination en tant que telle. Le recruteur peut, dans le cadre de son devoir de conseil, suggérer à un candidat de se présenter auprès d’un futur employeur en costume/cravate ou tailleur, ou sans piercing par exemple.
🔑 Des questions pratiques à se poser :
- Est-ce que les personnes qui font passer les entretiens connaissent les questions qu’il est interdit de poser en entretien ?
- Est-ce que les questions posées lors des entretiens sont standardisées et alignées sur les exigences du poste pour garantir l’équité de traitement entre les candidats ?
- Est-ce qu’on utilise une grille d’évaluation avec des critères objectifs et précis pour tous les candidats, afin d'éviter des jugements subjectifs basés sur des premières impressions ?
- Utilisons-nous des feedbacks multi-évaluateurs (plusieurs recruteurs ou managers) pour croiser les évaluations et limiter l’impact des biais individuels, en s’assurant que les évaluations soient aussi objectives que possible ?
- L’entretien permet-il d’évaluer les compétences du candidat de manière concrète et équitable pour tous ? Par exemple, avons-nous mis en place des mises en situation ou des cas pratiques pour éviter de nous baser uniquement sur des réponses verbales ?
Après avoir vu comment nos biais nous influencent de la prise du besoin jusqu'à l'entretien, il est aussi intéressant de voir comment les critères personnels des candidats peuvent impacter les propales.
En closing :
👉 Exemple de situation :
Je n'ai jamais vu de recruteur proposer des offres inégales à deux personnes pour des postes similaires et avec la même expérience. Cependant, je sais que cela se produit encore, et les chiffres le confirment.
C'est particulièrement vrai pour les femmes, qui sont souvent perçues comme moins exigeantes que leurs homologues masculins ou comme privilégiant un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Cette perception peut conduire à une sous-estimation de leurs compétences et de leur potentiel. En conséquence, les femmes sont encore moins bien rémunérées que les hommes, malgré des compétences et des expériences équivalentes.
🔑 Des questions pratiques à se poser :
- Est-ce que nous sommes capables d’expliquer concrètement et de manière objective la proposition d’offre présentée au candidat ?
- Est-ce que nous utilisons des critères objectifs pour déterminer le salaire et les autres éléments de l’offre, afin d’éviter des inégalités de traitement entre candidats avec des profils similaires ?
- Les avantages et bonus proposés (par exemple, mutuelle, congés payés, options de télétravail) sont-ils présentés de manière cohérente pour tous les candidats, sans favoriser ou défavoriser certaines catégories de personnes ?
- Avons-nous des outils pour évaluer l’équité des offres faites à l’ensemble des candidats, et pour identifier si des disparités existent en fonction de l’âge, du genre, de l’origine ethnique ou d’autres caractéristiques personnelles ?
Des billes, des pistes, des conseils
Questions pratiques pour les entreprises
Liste non exhaustive bien sûr.
- Sommes-nous prêts à remettre en question nos pratiques actuelles pour aller plus loin dans l’équité ?
- Est-ce que les parties prenantes des recrutements (Managers, RH, recruteurs) sont formées aux biais cognitifs et à la discrimination à l’embauche ?
- Avons-nous des espaces de réflexion ou des ateliers réguliers pour revoir et ajuster nos processus de recrutement, en tenant compte des retours des candidats et des employés ?
- Les politiques de recrutement sont-elles facilement compréhensibles par les candidats ? Savent-ils sur quels critères ils sont évalués ?
- Favorisons-nous une culture d’inclusion où chaque employé, quel que soit son parcours ou son profil, se sent à l’aise et valorisé ?
- Nos pratiques internes (mobilité interne, augmentations) sont-elles régulièrement analysées pour détecter d'éventuels biais ou inégalités systématiques ?
- Recherchons-nous activement des candidats issus de groupes sous-représentés dans notre organisation, sans tomber dans des pratiques de discrimination positive non justifiée ?
- Nos canaux de recrutement (sites, réseaux, agences) permettent-ils d’atteindre un éventail diversifié de candidats, ou sont-ils limités à des cercles restreints ?
- Quels indicateurs ou mesures mettons-nous en place pour évaluer l'impact de nos actions en faveur de l’inclusion ?
- Comment les résultats de nos recrutements reflètent-ils notre engagement en matière de diversité ?
Mon conseil de fin
Il est essentiel de garder à l'esprit que chaque étape du processus de recrutement peut être teintée de préjugés, souvent sans que nous en soyons conscients.
Et si déjà vous retenez ça, j’aurai gagné :)
En tant que recruteurs, notre responsabilité est d'agir de manière proactive pour créer un environnement inclusif et équitable.
Gardez en tête que le chemin peut-être long, mais chaque pas contribue à construire une fondation solide.
Pour s’améliorer, je vous conseille de suivre ces 5 étapes :
- Identifiez vos biais : Prenez le temps de réfléchir à vos propres préjugés et stéréotypes. Quelles croyances inconscientes pourriez-vous avoir qui pourraient influencer vos décisions ?
- Formez-vous : Participez à des formations sur la diversité et l'inclusion. Ces sessions peuvent vous aider à reconnaître les biais, à mieux comprendre les enjeux de discrimination et échanger avec des pairs qui rencontrent certainement les mêmes situations que vous.
- Standardisez le processus de recrutement : Utilisez des critères clairs et objectifs pour évaluer les candidats. Cela peut inclure des grilles d'évaluation basées sur les compétences et les expériences, afin de minimiser l'impact des préjugés personnels. Je vous conseille aussi d'impliquer vos managers dans cette standardisation. Les avoir à vos côtés est une force.
- Posez des questions ouvertes : Lors des entretiens, posez des questions qui permettent aux candidats de démontrer leurs compétences et leur potentiel, n’induisez pas vos réponses. Pour ça, entraînez-vous, et demandez-vous si vos questions sont biaisées.
- Remettez en question vos pratiques : Si vous constatez des incohérences dans les décisions de recrutement,n'hésitez pas à en discuter avec vos collègues ou votre directeur/rice du recrutement.
Si vous souhaitez qu’on en discute, c’est avec grand plaisir
*les prénoms ont été changés
Des ressources pratiques (dont les sources de cet article)
- Psychologie de la discrimination et des préjugés, Kléa Faniko (2022)
- Vie-publique.fr - Discriminations au travail : sexisme, origines et état de santé sont les motifs les plus cités (2024)
- Statista - Les discriminations en France - Faits et chiffres
- À compétences égales - Les ressources À compétence égales.
- Le Chatbot À Compétence égale
- Service Public - Discrimination au travail
- Comic Science
- Site du Conseil de l'Europe - L’intersectionnalité et la discrimination multiple
- Egal’Actu - Bienvenue au 26ème critère de discrimination reconnu par le Défenseur des Droits, la qualité de lanceur·se d’alerte !
- Observatoire des inégalités - Les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes : état des lieux
- Post d'Elie Toupart sur les candidat(e)s non-binaires