Recruter des introvertis : pourquoi vos processus les excluent ?

Oriane Santhasouk
Recruter des introvertis : pourquoi vos processus les excluent ?

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... Et comment y rémédier

L’immense majorité des process de recrutement favorisent les extravertis.

Ils sont taillés pour les personnes qui adorent parler … surtout d’elles-mêmes.

Problème : inconsciemment, on valorise ceux qui parlent beaucoup et bien, au détriment des talents plus discrets.

Un candidat qui parle peu mais réfléchit beaucoup est souvent perçu comme 'moins motivé' ou 'pas assez charismatique'.

Mais est-ce qu’on recrute vraiment les bonnes personnes si on laisse ce biais s’immiscer dans nos décisions ? Évidemment : non.

Et pourtant, les introvertis sont souvent sous-estimés en entretien, et pardon d’enfoncer une porte ouverte : ils ont les mêmes compétences que les autres, même si elles sont parfois moins visibles pour les recruteurs.

Comment les évaluer à leur juste valeur ? Laisse-moi te montrer – avec quelques anecdotes tirées de ma vie de recruteuse."

Pourquoi les candidats extravertis brillent en entretien ?

Un entretien, c’est un véritable exercice de style. On est plus proche d’un show que d’une conversation.

On attend des candidats qu’ils se présentent, racontent leurs expériences, parlent de leurs réussites. En bref, qu’ils vendent leur sauce.

Et qui excelle dans cet exercice ? Les extravertis.

Pour eux, un entretien, c’est un jeu. Ils adorent parler d’eux, improviser, rebondir sur tes questions.

Résultat : leur aisance en entretien te saute aux yeux.

Et, en tant que recruteur(euse), tu te dis :

  • "Wow, ce(tte) candidat(e) est super à l’aise, elle sait ce qu’elle veut."
  • "Grosse énergie, il serait top dans l’équipe."

Et tu notes ”Belle personnalité” sur le compte-rendu. Ça te parle ?

Mais attention au piège : l’aisance n’est pas une compétence nécessaire pour tous les jobs !

Ce n’est pas parce qu’un candidat est à l’aise qu’il fera bien le job. Ce n’est pas non plus une garantie qu’il s’intégrera mieux qu’une autre personne.

Pourtant, on a souvent ce biais : un entretien fluide = un bon candidat.

Quand j’étais RH dans un magasin Leroy Merlin, j’ai eu l’un de mes premiers recrutements pour le service client. Et autant te dire que le brief pour ce poste était… succinct.

7 minutes chrono, à la pause clope avec la responsable du service - oui, c’était une autre époque ^^.

Dans la foulée, j’ai recruté une candidate ultra-extravertie, solaire, hyper sympa. Le genre de personne qui te donne le sourire même les lundis matins,  dans l’hiver Franc-Comtois. Je me suis dit : "Parfait, c’est exactement ce qu’il faut pour le service clients."

Au début, c’était génial. Les collègues et les clients l’adoraient, elle mettait une super ambiance. Mais très vite, les problèmes sont arrivés : impossible de suivre une procédure correctement, que ce soit pour gérer un retour produit ou compléter un dossier de financement.

Pourtant, la rigueur aurait dû être un critère éliminatoire dès le départ pour ce poste.

J’avais laissé son charisme et son énergie me convaincre, sans aller creuser ce point-là. Une erreur de débutante, mais qui m’a appris une chose super importante : “bien parler” ne suffit pas pour réussir dans un poste, parce qu’aucun métier ne se résume à “faire bonne impression” !

Et les candidats introvertis alors ? Pourquoi ils galèrent en entretien ?

Une personne introvertie, ce n’est pas quelqu’un de timide ou de distant. C’est quelqu’un qui recharge son énergie dans des moments calmes et solitaires.

Et soyons honnêtes, un entretien, c’est tout sauf ça.

Pour les introvertis, l’entretien peut être une épreuve :

Parler à des inconnus pendant une heure, c’est déjà épuisant.

Mais alors répondre du tac au tac à des questions ouvertes, ou improviser face au recruteur pour "se vendre" ? L’enfer sur terre !

Quand je recrutais des ingénieurs en informatique, j’ai souvent été confrontée à des profils introvertis.

Et je ne vais pas te mentir : c’était parfois vraiment difficile de les faire parler.

C’est à ce moment-là que j’ai compris que les entretiens classiques – le fameux "vous vous présentez, ensuite je vous présente l’entreprise, et après on parle du poste, pendant environ 45 min”… ) – n’étaient clairement pas suffisants pour évaluer les candidats correctement.

Au départ, je voyais bien que mes collègues valorisaient les entretiens "longs".

Leur logique ? "Si ça dure, c’est que c’est intéressant, il y a forcément beaucoup à dire."

Mais moi, je commençais à me rendre compte que le temps passé en entretien n’était pas une bonne metric.

Avec certains candidats introvertis, on pouvait très bien faire le tour de leur “présentez-vous” en 5 minutes. Et moi j’étais censée faire quoi de ça ? Aucune idée.

J’ai donc commencé à préparer mes entretiens beaucoup plus, en structurant des questions spécifiques et ciblées.

Pas de place pour l’impro, ni pour des grandes généralités où seuls les extravertis s’épanouissent. C’était le début de mon chemin vers des entretiens plus structurés.

Et il y a une pratique que j’ai mise en place presque par instinct et qui a changé la donne : demander à la fin comment la personne s’est sentie, et si elle voulait ajouter quelque chose qu’elle aurait oublié de mentionner sur le coup.

Et là, magie ! Non : logique !

Beaucoup de candidats revenaient sur des sujets clés : "Ah oui, j’ai oublié de vous parler de ce projet" ou "Je voulais aussi préciser ça."

C’est une petite question, mais qui a souvent permis de débloquer des informations essentielles.

Comme quoi, il suffit parfois de tendre la perche au bon moment.

Le problème de fond : l’entretien est biaisé

Là, il faut qu’on parle du format de l’entretien lui-même.

En introduction, je disais que l’entretien classique est un exercice taillé pour les extravertis.

Parce qu’il repose sur la spontanéité, l’interaction et parfois même une dose de charisme. Tout ça, c’est des qualités qui favorisent un certain type de personnalité.

Mais est-ce que c’est vraiment ce qu’on cherche ?

  • Est-ce que tu veux un·e développeur·euse qui brille en entretien ou qui code propre ?
  • Est-ce que tu veux un·e préparateur·trice de commandes qui a un super bagout ou qui t’assure que chaque colis sorte complet et à temps ?

Si ton entretien est centré sur la performance sociale, tu risques de passer à côté de gens ultra compétents … sur les compétences vraiment nécessaires pour le poste ! C’est pour ça qu’il faut repenser la manière dont on évalue les candidats.

Comment éliminer les biais et recruter de manière plus équitable ?

Tu veux recruter des personnes compétentes, pas juste celles qui parlent bien.

Mais pour y parvenir, il faut parfois repenser la méthode.

Voilà 2 pistes concrètes pour rendre tes entretiens plus justes et inclusifs.

1. Structure tes entretiens et mets le paquet sur l’évaluation des compétences

Un entretien structuré, c’est poser les mêmes questions, dans le même ordre, à tous les candidats et évaluer leurs réponses sur des critères clairs.

Du coup, au lieu de baser ton avis sur tes impressions, tu te concentres sur des compétences mesurées.

Comment faire ?

  1. Définis ce que tu veux vraiment évaluer
    Quelles sont les compétences indispensables pour le poste ? Creuse avec des exemples concrets. Tu recrutes pour le service client ? Pense à des choses comme la gestion des retours produits, le respect des procédures ou la capacité à désamorcer une réclamation.
  2. Prépare des questions ouvertes et claires
    Par exemple :
    "Raconte-moi un moment où tu as dû gérer un client mécontent. Quelle a été ta démarche ?"
    "Comment réagirais-tu si un client demandait un remboursement pour un produit hors garantie ?"
       
    Ces questions permettent au candidat de montrer ce qu’il sait faire, au-delà du simple "je sais bien parler et me vendre".
  3. Note les réponses avec une grille
    Évalue chaque réponse avec une échelle claire. Ça te permet de comparer objectivement les candidats, même si l’un est ultra-charmant et l’autre plus réservé.
  4. Forme les intervieweurs
    Si d’autres personnes participent au recrutement, prends le temps de leur expliquer pourquoi structurer les entretiens est essentiel. Et montre-leur comment le faire correctement pour que tout le monde joue avec les mêmes règles.

2. Donne tes questions à l’avance

Si tu veux vraiment évaluer les compétences de tes candidats, partage tes questions ou les thématiques de l’entretien avant la rencontre.

Oui, c’est contre-intuitif pour beaucoup de recruteurs, mais les bénéfices sont immenses, et pas seulement pour les introvertis.

Parce que tu mets les candidats en confiance : Tu élimines une grande partie du stress en leur permettant d’arriver préparés. Ils savent à quoi s’attendre, ce qui les aide à structurer leurs réponses et à être plus à l’aise.

Parce que tu évalues les choses qui comptent vraiment : Tu ne testes plus leur capacité à improviser sous pression - de toute façon, c’est rarement une compétence-clé pour la plupart des postes, mais bien leur capacité à parler des compétences qui sont importantes pour le job.

Parce que tu crées les conditions pour des échanges de qualité : L’entretien devient plus fluide et centré sur l’essentiel : moins de blabla, plus de fond.

Et si tu as peur qu’ils préparent trop leurs réponses ?

En fait, ce n’est pas un problème.

Au contraire, tu veux qu’ils préparent !

Parce que ton objectif n’est pas de piéger les candidats ou de tester leur capacité à improviser sous pression. C’est de leur donner une chance de montrer ce qu’ils ont vraiment dans la tête, avec des réponses réfléchies et pertinentes.

Pose-toi la question : tu préfères un·e collaborateur·trice qui arrive avec des solutions claires et bien pensées, ou quelqu’un qui improvise parce que “sur un malentendu, ça paaaasse” ?

Un entretien structuré, c’est justement ça : un cadre clair, des attentes précises et une opportunité pour les candidats de démontrer leurs meilleures compétences

Mon expérience en tant que candidate introvertie

En tant que recruteuse, je suis maintenant convaincue que c’est une bonne chose d’envoyer les questions à l’avance. Et ça vient aussi de ma propre expérience… côté candidate !

Quand j’étais candidate, et surtout quand j’étais plus jeune… je me souviens d’entretiens où je me sentais complètement prise au dépourvu. Les recruteurs posaient des questions ouvertes, parfois floues :

  • "Parlez-moi de vous ?"
  • “De quoi êtes-vous fière ?”
  • "Pourquoi vous pensez être la meilleure personne pour ce poste ?"

Pour quelqu’un d’introverti comme moi, c’était une grosse galère. Je savais que j’avais des compétences, des projets intéressants à raconter, mais sous le coup de la pression et du stress, rien ne sortait comme je voulais. Résultat : je repartais frustrée, convaincue que je n’avais pas montré mon véritable potentiel.

Et ce sentiment, il est terrible. Quand on a l’impression de ne pas avoir pu prouver ses compétences, ça nuit gravement à l’expérience candidat.

Tu te demandes si tu es à la hauteur, si tu aurais pu mieux faire, et parfois, tu ressors de l’entretien avec une image négative, non seulement de toi-même, mais aussi de l’entreprise.

À L’Ecole du Recrutement, j’ai eu les questions 1 heure avant l’entretien.

Ça a changé ma manière d’aborder l’échange. Je suis arrivée préparée, et j’ai pu parler de mes expériences avec clarté. Avec le recul, je suis convaincue que cette méthode serait bénéfique pour TOUS les candidats, quel que soit leur tempérament.

Oui, ça demande un vrai effort - mais ça vaut le coup !

Mettre en place des entretiens structurés, ça semble complexe. Et je ne vais pas te mentir : ça l’est. Ça demande du temps, de la préparation et de l’accompagnement au changement. Ce n’est pas quelque chose qui se fait en un claquement de doigts.

Mais si tu veux un processus de recrutement plus juste, plus équitable et surtout… plus prédictif, c’est l’investissement nécessaire.

Un entretien structuré, c’est l’assurance d’évaluer tous les candidats sur des bases solides et comparables. C’est aussi la meilleure façon de limiter les biais et de te concentrer sur l’essentiel : leurs compétences réelles, pas leur capacité à briller en entretien.

Et au final, cette méthode te permettra de recruter des personnes qui excelleront dans leur poste, quelles que soient leur personnalité ou leur aisance à l’oral.

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