Recruter pour une entreprise à mission : impact réel ou vrai défi RH ?

Anaïs
Recruter pour une entreprise à mission : impact réel ou vrai défi RH ?

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Les candidats ne cherchent plus seulement un poste. Ils cherchent une cause. Ils cherchent du sens. Ils cherchent un alignement de valeurs. Et si possible, une entreprise qui leur ressemble, sans les enfermer.

C’est un ressenti de plus en plus présent depuis la crise sanitaire de 2020. Le "pour quoi je travaille ?" a remplacé le "pour qui je travaille ?".

Une tendance confirmée par de nombreuses études dont celle de Jobs that makesense et Audencia, précisant que 92% des répondants sont en quête de sens, et parmi eux : 

  • 57% aimeraient contribuer aux enjeux de la transition écologique ou sociale,
  • 53% voudraient tout simplement se sentir utiles,
  • 42% rêvent d’appartenir à une organisation à impact positif pour la société ou la planète,
  • 32% s’attendent à partager les mêmes valeurs que leur entreprise.

Un phénomène qui ne touche plus uniquement les ONG ou l’économie sociale et solidaire. Il s’invite aussi dans la tech, s’infiltre dans les open spaces et transforme le quotidien des recruteurs.

C’est le cas de Clément Moreux, responsable recrutement chez Padam Mobility. Sa mission : recruter dans une scale-up engagée pour une mobilité plus inclusive dans les zones rurales et périurbaines.

Mais recruter pour une entreprise à mission, est-ce que c’est vraiment un avantage stratégique ? Ou une illusion de facilité ?

Car si sur le papier, tout semble réuni pour attirer des talents alignés, dans les faits, c’est une nouvelle forme de recrutement qui comporte ses propres obstacles. Concurrence accrue entre structures engagées, attentes salariales élevées et surtout, un risque bien connu des RH et des recruteurs… Celui de recruter toujours les mêmes profils.

À travers l’expérience très incarnée de Clément, on explore ici les challenges et les leviers réels du recrutement à impact. Avec nuance. Et un peu d’autodérision aussi.

Le cas Padam Mobility : quand la mission devient un moteur d’attractivité

Padam Mobility coche toutes les cases d’une entreprise à mission.

Tech for good, ancrage territorial, impact sur l’inclusion sociale. Cette entreprise française, rachetée en 2021 par Siemens, développe des solutions de transport à la demande (TàD) pour les territoires peu denses. L’objectif : permettre à chaque citoyen, y compris en zone rurale ou périurbaine, d’avoir accès à des transports en commun, sans dépendre d’infrastructures lourdes ou coûteuses. Elle intervient également sur la mise en place de solutions technologiques pour le transport des personnes à mobilités réduites (TPMR).

Bref, on peut dire que c’est un éditeur SaaS pas comme les autres, dont les solutions ont notamment permis, lors des Jeux Olympiques de Paris 2024, de transporter des personnes en fauteuil roulant jusqu’aux sites olympiques. Un exemple concret d’impact.

Et dans un contexte où une seule ligne de métro parisien est totalement accessible pour les personnes en fauteuil roulant, ces alternatives étaient indispensables.

“L’idée, c’est de permettre à un usager de commander un bus comme il commanderait un taxi ou un Uber. Et ça va généralement être inclus dans l’abonnement de transport en commun qu’il paie (et donc sans forcément de surcoût). Par exemple dans l’abonnement Navigo en région parisienne.” Clément

Il suffit de préciser que la personne est en fauteuil roulant par exemple et une navette adaptée lui est envoyée. L’itinéraire est calculé en temps réel ce qui évite des détours inutiles.

Mais Padam Mobility, ce n’est pas qu’un produit. C’est aussi une culture interne très forte et une marque employeur en béton. Les chiffres partagés par Clément sur LinkedIn parlent d’eux-mêmes :

  • Une note Glassdoor de 4,9 sur 5,
  • 18,7% de visiteurs postulants sur leur page Welcome to the Jungle,
  • Un taux d’acceptation des offres de 89 %,
  • Des bases solides avec plus de 200 clients dans une quinzaine de pays,
  • Des équipes qui continuent de grandir, tous métiers confondus (tech, produit, sales, support, conseil en mobilité...).
"On peut se dire que recruter ici, ça doit être facile, qu’il suffit juste de dire aux gens globalement ce qu'on fait. Aujourd’hui c’est un argument, il y a une appétence pour bosser dans ce type d’environnement. En réalité, ce n’est pas aussi simple et fluide que ça le semble intuitivement." Clément

Parce que oui, la mission devient un levier puissant pour attirer des candidats en quête d'alignement avec leurs valeurs. Mais justement, est-ce si simple et si idyllique que ça de recruter dans ce cadre ?

Recruter pour une entreprise à mission : 2 défis sous-estimés

Recruter pour une entreprise à mission semble, à première vue, un sacré privilège. L’offre est engageante, le produit utile, les candidats attirés par les valeurs. Dans les faits, comme le résume Clément, ce n’est pas la même guerre. 2 limites sont à surveiller.

1. Quand l’engagement ne suffit plus à faire la différence

Attirer des candidats engagés ne garantit pas qu'ils rejoindront votre entreprise.

Et oui. Quand l’engagement devient un critère de sélection pour les candidats, l’entreprise ne joue plus seule sur le terrain. Ces profils “alignés” sont aussi très sollicités, ils ont le choix entre plusieurs entreprises vertueuses et donc le luxe de comparer.

Une concurrence féroce entre entreprises à mission apparaît alors. Face à des entreprises comme Phenix, qui lutte contre le gaspillage alimentaire, ou Back Market, les rois du reconditionnement tech, Clément attire des profils passionnés par des causes similaires.

“C’est un peu ça ma réalité. Sur un poste je vais parfois recevoir 250 candidatures, avec des profils solides. Mais il y a aussi beaucoup de cas de figure où ils ont le choix. La guerre des talents a beaucoup évolué. Ma problématique, ça va être à la fois d’attirer les meilleurs… mais aussi que ce soit moi qu’ils signent ! Ce n’est pas forcément plus simple." Clément

C’est ainsi que la mission n’est plus un différenciateur en soi. Elle devient une condition d’entrée dans un nouvel espace concurrentiel, celui des entreprises à impact.

2. Quand le sens ne suffit pas face aux réalités salariales

Deuxième frein que l’on ne voit pas venir : les attentes en matière de rémunération. 

Clément l’admet sans détour. Même avec un projet porteur de sens, certains candidats choisiront des entreprises offrant de meilleurs salaires.

Les candidats veulent du sens, oui, mais d’autres aspects ne doivent pas être négligés, comme :

  • La flexibilité,
  • Les perspectives d’évolution,
  • Un bon environnement de travail.

Ils ne font plus aucun compromis, encore moins sur la rémunération, qui constitue le tout 1er critère que les candidats regardent encore aujourd’hui selon une étude 2025 de PageGroup.

La mission ne suffit donc pas : elle doit idéalement s’accompagner d’un package cohérent avec les attentes actuelles du marché.

L’entre-soi : le risque silencieux du recrutement à impact

Quand on recrute dans une entreprise à mission, on attire naturellement des candidats “alignés”. Et c’est bien. Mais c’est aussi là que le piège de l’entre-soi se referme, doucement, sans que personne ne s’en rende compte.

Culture forte = Culture excluante ?

La culture d’entreprise est passionnée au sein de Padam Mobility, avec une véritable fierté d’appartenance.

“On a une culture qui nous est propre. Au-delà des valeurs, au quotidien il y a une grosse passion pour tout ce qui va être lié aux transports en commun, la mobilité, l’urbanisme, l’aménagement du territoire. C’est le genre de boîte où on va lancer des concours de qui connaît le mieux les stations de métro de telle ou telle ligne.” Clément

Une culture qui fait le bonheur des candidats, des profils “type Padam”, mais qui pourrait en dissuader d’autres, tout aussi compétents. C’est pourquoi Clément insiste sur la vigilance nécessaire à ne pas recruter des clones ou des caricatures, bien que cela puisse être inconscient.

“D’un autre côté, si tu recrutes que des gens qui sont des nerds de SNCF, RATP.. ou autre, tu finis dans une bulle de pensée. Et tu n’encourages pas l'innovation, tu n’ouvres pas les esprits. Or, ce n’est pas ce que l’on recherche dans l’absolu.” Clément

Voilà qui interroge sur le danger de recruter encore et toujours dans le même écosystème ou comment ne pas tomber dans ce piège du biais de similarité.

3 méthodes pour élargir les horizons du recrutement

Plusieurs approches sont déployées chez Padam Mobility, sous l’impulsion de Clément, afin d’élargir les profils sans renier les valeurs. Un exercice d’équilibriste.

1.  L’intégration de questions sur les valeurs

Les valeurs affichées sur le site carrière de Padam Mobility

À l’étape candidature, et sans en faire pour autant des critères d’exclusion, des questions sont proposées, comme : 

- Citez 2/3 structures (entreprises, associations) que vous admirez.

- Citez une personnalité réelle ou fictive qui représente pour vous la bienveillance.

- En une ou deux phrases, décrivez comment vous concevez la notion de partage en entreprise.

- Quelle est l'innovation dont vous admirez le plus l'impact ?

- Pourquoi avez-vous postulé à cette offre ?

Plus rarement, une candidature pourra toutefois être écartée en cas de non-réponse ou de références manifestement incompatibles avec les valeurs portées par Padam Mobility.

“C’est important en dehors du CV ou de la lettre de motivation d’obtenir des débuts de réponses sur l’alignement des candidats et des candidates vis-à-vis de notre philosophie et de nos valeurs. Pour autant, cela ne veut pas dire que l’on va filtrer. La démarche, c’est surtout de se centrer sur les individus, car ce sont eux que l’on recrute, pas les lignes sur leur CV.” Clément

2. Un travail actif pour challenger les critères des managers.

Clément joue un rôle clé dans la remise en question des critères de sélection initiaux. Il part d’un constat lucide : l’écosystème mobilité est homogène et on recrute trop régulièrement dans le même vivier.

Des candidats passés par Keolis, Transdev, la RATP, des profils très “transport”, c’est vrai que c’est un peu (trop) tentant.

Mais, plutôt que d’écarter un profil "hors cadre", Clément adopte une stratégie directe :

-Il défend activement ses candidats auprès des managers.

-Il propose systématiquement un entretien, sans engagement, mais pour ouvrir le champ.

“La démarche c’est d’éviter de faire comme si nous étions dans un supermarché. Donc j’invite les managers à prendre le temps de rencontrer le candidat ou la candidate, et à la fin de cette heure on débriefe. Si ce n’est pas ça qu’il leur faut c’est ok, et je réajusterai la recherche. Mais ce qu’il se passe très souvent, les managers ressortent de là en me disant que c’était intéressant, ça m’a permis d’ouvrir mes chakras, j’avais pas vu ce recrutement comme ça, je vais y réfléchir. Ce n’est pas qu’une question de lignes sur le CV, mais de : est-ce que j’en ai vraiment besoin de ces lignes-là finalement ? En règle générale, la réponse c’est, pas systématiquement.” Clément

Un travail de conviction pas toujours évident. Mais Clément cherche à faire bouger les lignes. Il évite de recruter “par automatisme”. Il cherche à enrichir les équipes de profils aux parcours variés.

3. Une logique de contribution, pas seulement d’adéquation

Clément défend une vision fine du “fit culturel”. Dans cette vision, on ne cherche pas juste des candidats qui “matchent”, mais des personnes qui complètent, avec des perspectives différentes. Une démarche plus proche du “culture add” que du “culture fit”.

“Le fit avec l'entreprise c'est trouver des personnes qui vont être en adéquation avec les valeurs de l'entreprise, mais l’idée n’est pas non plus de chercher des clones, mais de trouver des personnes qui vont t'apporter des choses différentes pour enrichir la culture.” Clément

De quoi étendre l’éventail d’idées, croiser les expériences, sortir de l’entre-soi pour construire des équipes plus créatives, plus diverses et donc plus intelligentes collectivement.

Comment valoriser sa mission… sans bullshit

Avoir une belle mission est un atout. Mais pour qu’il joue favorablement pour le recrutement, encore faut-il savoir en parler. Sans idéaliser. Ni instrumentaliser. 

Clément livre plusieurs principes clés, applicables à toute entreprise engagée.

Ne pas se reposer uniquement sur la mission

Clément le rappelle : la mission attire, mais elle ne suffit pas. Les talents attendent aussi une culture d’entreprise saine et vivante, des meilleures conditions de travail (équilibre, rémunération, accompagnement) et des possibilités d’évolution.

Être authentique dans la communication employeur

Pas question ici de mauvaise posture marketing : l’authenticité prime et cela commence par ne pas masquer les failles. Oui, l’engagement est fort. Non, tout n’est pas parfait (et ce n’est pas grave).

“La mission, ce n’est pas juste le discours, on la vit au quotidien. Rien ne nous fait plus plaisir dans notre entreprise que de voir nos bus rouler. On l’a vu pendant les JO. Il y a une dimension impact super forte. Elle transparaît dans les produits, les décisions, la manière dont les gens interagissent entre eux. C’est ça qui fait rester les gens.” Clément

Ce qu’on peut retenir pour recruter (vraiment) avec impact

  • La mission attire, c’est un levier puissant, mais elle ne suffit pas à convaincre à elle seule les meilleurs talents.
  • L’alignement de valeurs est précieux, mais attention à ne pas le transformer en filtre rigide ou en biais de recrutement.
  • La diversité de parcours est une richesse, même (surtout) dans un univers très engagé et c’est en confrontant les points de vue qu’on évite de tourner en rond.
  • L’authenticité est une priorité : mieux vaut dire les choses honnêtement, que surjouer l’engagement.
  • Une mission sincère se reconnaît dans les actes plus que dans les slogans.
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À propos de l'auteur·e
Anaïs
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Rédactrice & Créatrice de contenus RH - Ex-Recruteuse | Passionnée par la Culture d'Entreprise, le Recrutement, la Diversité & l’Inclusion, le bien-être au travail |📍Entre UK & France