Tutoyer ou vouvoyer les candidats, telle est la question ?

Elodie Forato
Tutoyer ou vouvoyer les candidats,  telle est la question ?

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Bonjour à toi qui me lis ! 👋

A priori, il y a de fortes chances que tu sois recruteuse ou recruteur ; et si tu es là, il y a également des chances pour que tu te sois déjà posé cette question : “est-ce qu’il faut que je tutoie ou vouvoie mes candidat-es ?”

Cette question, elle revient régulièrement sur le tapis, et Silvia m’a contactée pour en traiter.

Bon alors déjà, c’est qui celle-là ? Elodie Forato, humble collaboratrice chez YAGGO depuis 5 ans, dont 1 an et demi en tant que Recruteuse en cheffe (de moi-même) ; et chez YAGGO, on se positionne comme les experts de l’expérience candidat, études à l’appui.

D’ailleurs c’est pour ça que Silvia est venue vers moi : YAGGO = experts = data et retours terrain.

Sauf qu’en fait, précisément sur le sujet tutoiement vs. vouvoiement des candidat-es, YAGGO n’a pas de data... Oopsie.

Du coup, comme l’idée c’était quand même de faire un truc un peu sérieux, j’ai cherché ailleurs, et j’ai trouvé des infos. Charge à moi maintenant d’en faire quelque chose de bancalement objectif (ben oui, du coup j’ai choisi mon camp, tu l’auras remarqué).

Disclaimer : on ne va en aucun cas ici asséner de vérité absolue, et ce billet n’est pas exempt de biais (t’as capté la finesse du jeu de mots ?).

Postulation, entretiens et prises de tête : plongée dans les tréfonds du tutoiement en recrutement, c’est maintenant, dans Enquête pas exclusive du tout puisque plein de monde a déjà écrit sur le sujet mais je vais essayer de rendre ça un peu marrant, voire, soyons fols, un peu instructif aussi (spoiler : à la fin, y a pas de réponse à la question).

Inventaire (non exhaustif et très choisi) des lieux communs sur le vous et le tu

A- Le respect

Le vouvoiement est vu traditionnellement comme un signe de politesse ; l’utiliser contribuerait à instaurer une atmosphère formelle où les échanges se dérouleraient de manière respectueuse et centrée sur les compétences. Ce serait une marque de considération envers son interlocuteur-ice, montrer à la personne candidate qu’on reconnaît sa valeur et son statut de professionnel-le digne d’attention. 

À l’inverse, le tutoiement serait perçu comme une forme d’infériorisation (remise en question du statut professionnel de la personne candidate) ou d’intrusion dans l’intimité ; il peut caractériser une forme de discourtoisie pour l’interlocuteur-ice.

L’avis de la rédac : a priori, il n’y a pas de stats sur l’utilisation du tutoiement vs vouvoiement en entretien ; ceci étant, on a des chiffres sur leur utilisation au sein des offres d’emploi : l’étude Indeed de février dernier nous apprend que le tutoiement est utilisé dans 3,2% des cas (donc le vouvoiement dans 96,8% des cas - yes j’ai fait option maths). On peut légitimement extrapoler et se dire que le vouvoiement est très majoritairement encore utilisé en recrutement (comment ça ce que je raconte n’a aucune validité ?) ; pour autant, il suffit de faire un tour sur des threads comme celui-ci (et il en existe pléthore) pour se rendre compte que le respect est mort à de nombreuses reprises.

B - Le sérieux

Le vouvoiement enverrait un signe de sérieux de la part de l’entreprise, qui accorderait de l’importance aux protocoles professionnels, à une atmosphère de travail rigoureuse et structurée, une organisation et un cadre bien définis ; ce qui rassurerait les candidat-es et leur permettrait de se positionner plus facilement dans ce cadre.

À l’inverse, le tutoiement serait perçu comme un signe de désinvolture ; en l’adoptant, on risque de donner l’impression d’une approche moins appliquée, ce qui pourrait pousser les candidat-es à se demander si l’entreprise prend réellement le processus de recrutement au sérieux, et affecter sa crédibilité. 

Par ailleurs, il est également vu comme une porte ouverte à la discrimination : en brouillant les frontières du cadre professionnel avec le “tu”, on glisserait plus facilement sur le terrain des questions personnelles, voire illégales ; aussi, il n’est pas apprécié par les seniors, qui voient en lui une forme d’agisme (cf. étude Indeed).

L’avis de la rédac : d’une part, 77% des DRH font confiance à leur intuition pour prendre une décision lors d’un recrutement (aka entretiens au feeling) ; d’autre part, les discriminations à l’embauche ont encore de beaux jours devant elles… Le vouvoiement ne garantit en rien le sérieux et le respect du cadre par les entreprises ; les vraies méthodes d’évaluation et le care candidat, si. Qu’on tutoie ou qu’on vouvoie.

C - La distanciation

Le vouvoiement aurait pour vocation de mettre une distance avec son interlocuteur-ice, lui rappeler le formalisme des échanges et une certaine verticalité dans la relation (moi, recruteur-se, j’ai le pouvoir sur toi, candidat-e). 

À l’inverse, le tutoiement favoriserait une plus grande accessibilité de la personne qui l’utilise et une relation horizontale. Il permettrait d’atténuer le rapport de force et de mettre les candidat-es plus à l’aise en situation d’entretien, donc de dédramatiser un moment déjà très stressant en soi.

Par ailleurs, en cas de décision négative, le vouvoiement rendrait plus facile l’annonce du refus, là où le tutoiement, à cause de l’implication émotionnelle créée par la proximité induite, rendrait cet acte plus compliqué.

L’avis de la rédac : bon là, pas d’étude, mais une certaine évidence : on peut tout à fait vouvoyer et être très chaleureux-se, tout comme on peut tutoyer et être parfaitement condescendant-e. Et puis, ok le “tu” est plus convivial sur le principe, mais dans les faits ça ne fonctionne que s’il y a symétrie des attentions. Et là encore, ce sont les process et le comportement du futur employeur qui vont surtout permettre aux candidat-es de se sentir à l’aise ou non. Enfin, sur les refus : si on pratique les entretiens structurés basés sur des critères objectifs liés au poste, c’est facile d’expliquer à quelqu’un pourquoi il ou elle ne convient pas aux attentes, que ce soit en vouvoyant ou en tutoyant.

D - La sincérité

Le vouvoiement peut créer une barrière qui rend plus difficile l'établissement d'une relation de confiance entre les recruteur-ses et les candidat-es. Dans certains cas, les candidat-es peuvent même se sentir dans l'obligation de jouer un rôle social et de se conformer à une norme attendue plutôt que d'être eux-mêmes ; en outre, en cherchant à être dans la norme, les candidat-es peuvent se retenir de partager des idées innovantes ou de se démarquer.

À l’inverse, le tutoiement peut favoriser un rapport plus direct et sincère. En créant une atmosphère informelle et conviviale, le tutoiement peut encourager les candidats à se livrer davantage, à partager leurs expériences et à exprimer leurs opinions de manière authentique.

L’avis de la rédac : on sait que dans le contexte actuel de guerre ou autre pénurie des talents, le rapport de force joue plutôt en faveur des candidat-es depuis quelque temps ; donc au final, que ce soit tu ou vous, les candidat-es hésitent moins à s’exprimer, ayant le choix, et donc (globalement) moins besoin de plaire à tout prix et de se conformer à des attentes réelles ou supposées des entreprises. De fait on peut se dire que dans un tel cadre, employer le vouvoiement n’empêchera pas les gens de se montrer honnêtes.

Mais qu’en pensent les candidat-es ?

En vrai, c’est ça qui importe non ?

Du coup on va essayer de voir ce que nous apprennent les études et les réseaux sociaux sur la question, qui revient régulièrement dans nos fils d’actu.

A - L’étude Indeed de février 2023 (encore elle)

En résumé : en 3 ans, le tutoiement dans les offres publiées sur Indeed a quasiment doublé (+91%), et ces offres génèrent a priori plus de clics.

On pourrait donc se dire que le tutoiement est plébiscité par les candidat-es.

Méfiance toutefois : 

  • La moyenne globale des offres écrites en “tu” n’est que de 3,2% ;
  • Le plébiscite varie beaucoup en fonction des secteurs d’activité, et c’est dans les secteurs plutôt récents qu’il est sollicité, pas dans les secteurs “traditionnels” ;
  • Le plébiscite varie également beaucoup en fonction de l’âge : on l’a vu, les seniors ne sont pas fans, mais plus étonnamment peut-être, les moins seniors (la fameuse “génération Z”) ne le voient pas forcément d’un très bon œil non plus (entre 60 et 70%).

Le tutoiement prend donc des parts de marché, mais reste encore marginalement voulu par les candidat-es.

B - L’enquête Hellowork “Le recrutement en 2022”

L’enquête Hellowork “Le recrutement en 2022”

Ici, le constat est plus mitigé, même si le vouvoiement semble l’emporter.

C - Le sondage de RH Partners, mené fin 2022

En résumé : une grande majorité de sondés se sont prononcés en faveur du vouvoiement, à 63%, contre 18% pour le tutoiement ; les 19% restants pensent que “ça dépend”.

Ici, pas de débat sur les préférences des candidat-es : le “vous” l’emporte haut la main.

D - Les commentaires sous les posts qui abordent ce sujet épineux

On l’a dit, ce sujet revient régulièrement hanter nos feeds LinkedIn et autres newsletters, n’ayant à ce jour pas trouvé la paix à travers un consensus général ; tout comme “La pizza à l’ananas est-elle une hérésie ?” (oui) ou “Breaking Bad est-elle une série vraiment surcotée ?” (oui).

Ceci étant, si on analyse les commentaires présents sous ce post, celui-ci, ou encore celui-là (analyse vite fait empirique de ma part), il semblerait que bien que le “tu” gagne du terrain, la tendance générale se positionne du côté du “vous”.

La messe est dite.

Après, il y a quand même un élément certain : au final, comme pour les goûts culinaires ou la vibe de Bryan Cranston, tout cela est éminemment subjectif ; et en l’occurrence, notre avis sur le sujet va dépendre, entre autres, de notre âge, notre genre, notre CSP… 

Le débat est donc sans fin.

Bon mais du coup concrètement, on fait quoi ?

A - On définit et on formalise sa culture d’entreprise

Waow, tu ne t’y attendais pas hein ? 

Bon très clairement je ne vais pas refaire un laïus sur la construction d’une culture d’entreprise, il y des tas d’articles produits par mes paires, et de bien bonne qualité, que tu peux retrouver sur le blog : celui d’Oriane, celui de Bérangère, celui d’Anaïs, pour ne citer qu’elles. 

Après tmtc : “Si cela va sans dire, cela ira encore mieux en le disant.”

Donc disons-le : c’est la base. Définir qui on est vraiment et comment on se présente au monde. 

Et, sur ce sujet tu/vous comme sur les autres points de culture, on lance une enquête (ou assimilé) dans toute la boîte, pour que la décision finale colle au max à la réalité terrain ; par exemple, chez YAGGO, on a fait une Blanquette sur la manière de communiquer d’une part avec nos client-es et d’autre part avec nos candidat-es. 

Ensuite, il faut surtout que l’ensemble du process de recrutement présente une cohérence du début à la fin (si on emploie le tutoiement dans les annonces mais que la prise de contact se fait en vouvoyant, bonjour la douche froide et les questionnements pour les candidat-es). 

B - Pour autant, on ne force pas la main

En définissant notre culture d'entreprise, on aura défini une ligne de conduite générale ; mais il faut permettre à chacun-e de s’approprier cette culture, et s’y fondre en se sentant en accord avec sa personnalité et sa manière de fonctionner.

Pour cela, une fois la culture formalisée et affichée, on peut par exemple fournir des guidelines aux collaborateur-ices (notamment les managers) pour leur indiquer de quelle manière aborder le sujet quand ils ou elles communiquent avec les candidat-es ; ou encore, on peut déterminer que c’est au recrutement de prévenir les candidat-es en amont (“Durant le process on va échanger en se tutoyant, mais tel-le manager emploie le vouvoiement pour telle(s) raison(s), ne sois donc pas surpris lorsqu’elle prendra contact avec toi”).

En cherchant à imposer, on risque de créer des dissonances cognitives, et ça, ça ne tient pas sur la durée. 

Et puis l’inclusion, ça passe avant tout par prendre les gens pour leurs compétences et la plus-value qu’elles et ils vont apporter à l’entreprise, pas par des afterworks ou un tutoiement obligatoires. 

C - On définit son public cible

Là encore, tu ne tombes pas de ta chaise (normalement).

C’est l’autre base : à qui je m’adresse ? Quelles sont les pratiques en vogue dans mon secteur d’activité ? Quels sont les types de profils qu’on va recruter ? Sur quel niveau hiérarchique ?

Etc.

Et pour chaque type de population, on adapte.

Car oui, même en start-up, où tout le monde tutoie globalement tout le monde, on ne va pas s’adresser de la même manière à une Directrice financière qui a 20 ans d’expérience qu’à un Content Manager dont c’est le premier CDI.

ET, si dans le volume et/ou la longueur, ou encore avec l’évolution de la boîte et le culture add des profils recrutés, on s’aperçoit que ce qu’on avait acté en première instance ne colle plus avec le terrain : ben on change.

La culture n’est pas un truc immuable, bien au contraire, elle doit être vivante.

D - On applique le principe de la symétrie des attentions

Interroger les concerné-es

On sonde ses candidat-es : je vais faire la boomer linkedinienne en citant Orelsan mais “la meilleure façon d’sortir d’une embrouille c’est d’poser des questions”. 

Tu te prends la tête à essayer de savoir s’il faut tutoyer ou vouvoyer tes candidat-es ?

Ben demande-leur directement ce qu’ils et elles en pensent. Simple, basique.

Et si t’as pas ce qu’il faut pour gérer ça, je connais des gens qui peuvent t’aider - j’en place une pour Caask, coucou Inès 😇

Laisser le choix

Et même quand on a réussi à déterminer comment on veut s’adresser à ses candidat-es après avoir traversé (avec application bien sûr) toutes les étapes précédentes : on reste flex. 

Autrement dit : 

  • on prévient les candidat-es qu’on contacte, 
  • on leur demande leur avis, et on s’assure régulièrement du fait qu’ils ou elles soient à l’aise avec cette communication (à chaque nouvelle étape, chaque nouvel-le interlocuteur-ice),
  • on leur propose bien évidemment d’accorder les violons.

Exemple : dans mon premier mail de prise de contact avec nos candidat-es, j’ai ajouté un PS qui dit “sauf avis contraire de ta part, je communique en tutoyant, et je t’invite évidemment à me tutoyer en retour dans nos échanges”. Et je repose la question quand je les ai en call “c’est bien ok de se tutoyer ?”. Ça coûte rien, et ça rapporte beaucoup en expérience candidat.

Conclusion

Bon c’était très long ; déjà merci d’avoir lu jusque là !

Au final, j’ai envie de te dire que tous ces questionnements c’est bien beau. 

Mais quand on sait qu’aujourd’hui encore 57% des candidat-es ne reçoivent pas de réponse à leur candidature, ou ont droit à des réponses configurées en mode robot via un outil d’automatisation (35%, ce qui fait un total de non-considération de tout de même 92%), on peut réfléchir à la pertinence de se faire des nœuds au cerveau à se demander si on tutoie ou on vouvoie dans sa communication, et peut-être envisager de plutôt repartir de la base : avoir la politesse de communiquer, déjà…

baromètre 2022 de l'expérience candidat - Yaggo
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Elodie Forato
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