Occuper des fonctions RH à l’international, c’est bien plus qu’un changement de décor. Ça bouscule les pratiques, les codes et les convictions.
Charlotte Bentaberry, qui a passé 15 ans dans les Ressources Humaines à l’international, dont une grande partie au Royaume-Uni, nous partage sa vision affûtée et son retour d’expérience.
De l’Écosse au Canada, en passant par l’Allemagne, elle a testé différents modèles, différentes postures, différentes cultures, différentes ressources humaines.
L’objectif de cet article ?
C’est de vous donner des clés de lecture comparatives aux RH français, sans idéalisme ni dénigrement. Tout en nuance. Comme on aime. Avec de temps en temps, un focus volontairement tourné vers les pratiques anglo-saxonnes.
4 pratiques RH qui varient à l’international
Certaines pratiques RH semblent “aller de soi” jusqu’à ce qu’on les confronte à d’autres cultures. Charlotte, avec son regard international, dessine et diffuse 4 écarts marquants relevés au fil de ses missions.
1. La temporalité des processus, le poids du formalisme.
En France, le recrutement apparaît comme un processus long, formel, hiérarchisé, avec plusieurs étapes et un temps de réponse étiré. Au Royaume-Uni ou aux États-Unis, Charlotte a observé des temporalités plus courtes, une logique plus “business oriented”. Moins d’étapes, plus de réactivité. Et surtout, un enjeu de rapidité perçu tel un marqueur de professionnalisme.
2. La logique CV, ici et ailleurs.
Le CV est bien plus qu’un simple support de candidature. C’est un reflet de la culture professionnelle locale. Par exemple, en Allemagne, on attend une photo formelle, parfois prise en studio, avec une rigueur presque notariale. Au Royaume-Uni, la photo est proscrite. Le contenu doit être factuel, synthétique, axé sur les résultats (ROI, KPIs, réalisations concrètes). Très en opposition au CV français, dont le design visuel peut prendre le dessus. Et quid de la forme ? Certains pays valorisent les périodes de “trou” comme des moments de vie assumés. Là où en France, l’invisibilisation est souvent la règle.
3. L’entretien inversé, ou le renversement des pouvoirs.
Charlotte se souvient d’un moment marquant. Un entretien avec un candidat basé à Montréal, un profil expérimenté, qui pendant 1h30, a mené l’échange. Posant les questions. Challengeant le poste. Explorant la culture d’entreprise. Plutôt que de reprendre la main, Charlotte a accepté ce renversement. C’est une posture qui peut déstabiliser, qui révèle aussi un sens aigu de l’évaluation réciproque. Et si on autorisait systématiquement cette inversion des rôles ? Charlotte, elle, estime que c’est une leçon de recrutement.
4. Le feedback en temps (presque) réel.
En Amérique du Nord, les candidats attendent un retour immédiat après un entretien. Pas forcément une réponse définitive, mais une lecture sincère de leur performance. Charlotte, alors DRH, avait choisi d’adopter cette habitude, avec un feedback sous 48h, même en cas de refus. Une pratique encore rare en France, où l’on reste sur des formules creuses et des délais à rallonge. Pourtant, dire vite, c’est respecter.
📌 Le mot de Charlotte à retenir : Les pratiques RH ne sont pas universelles et c’est tant mieux. C'est une richesse que de les confronter à d'autres cultures. L'exemple du recrutement anglo-saxon, plus rapide et axé sur les résultats, ou la proscription de la photo sur les CV au Royaume-Uni, nous montre que les usages français peuvent être déstabilisés et questionnés.
International ou personnel : ce qui façonne vraiment la posture RH
Travailler à l’international, c’est découvrir de nouveaux codes RH.
Mais est-ce que ces différences s’expliquent uniquement par la culture du pays ? Pas si simple.
Charlotte en est convaincue. Au-delà des repères locaux, ce sont les individus, leur posture et leur formation qui influencent profondément la façon de recruter.
Elle précise 5 nuances…
- Le manque de formation au recrutement : tous logés à la même enseigne !
D’après Charlotte, quand un recruteur est formé, il sait poser les bonnes questions et comprendre un parcours. Qu’il soit en France, au Canada ou peu importe le pays, c’est sa posture professionnelle qui fait la différence. Et oui, ça ne serait donc pas qu’une affaire de culture nationale.
- Les dirigeants qui parlent plus qu’ils n’écoutent : ce n’est pas que français !
Charlotte a remarqué qu’en France, beaucoup d’entretiens menés par des managers non formés deviennent des monologues. Sauf que, ce n’est pas une exclusivité nationale. Le manque de curiosité envers le candidat est avant tout un problème de posture, pas de passeport.
- L'expérience personnelle qui impacte : et ça, où que l’on soit !
Charlotte le dit très clairement : “on recrute souvent comme on aimerait être recruté.” Ce biais personnel, inconscient ou assumé, influence énormément la pratique du recruteur, quelle que soit la culture dans laquelle il évolue.
- La culture RH qui prime : quel que soit le pays !
Charlotte a travaillé dans des groupes très structurés et dans des PME très souples, en France ou à l’étranger. Certaines entreprises françaises ont une culture des ressources humaines plus innovante ou inclusive que des organisations anglo-saxonnes. Et inversement. Comme quoi…
- Le syndrome de : “l’herbe est plus verte ailleurs” !
Enfin, oui, des pratiques étrangères peuvent inspirer. Mais non, tout n’est pas à jeter en France. L’idée, ce n’est pas de copier, mais d’interroger et d’adapter.
📌 Le mot de Charlotte à retenir : La culture d’entreprise et la posture individuelle pèsent parfois plus que la culture du pays. Finalement, le manque de formation des recruteurs, le biais de l'expérience personnelle ou la tendance à ne pas écouter les candidats ne sont pas des spécificités nationales, mais bel et bien des problèmes de posture qui peuvent se retrouver partout.
Quand la diversité règne, mais hors de France
Il existe des royaumes RH, où la diversité s'affiche fièrement en haut des armoiries. En France, le sceptre de l’inclusion a l’air encore bien lourd à porter.
Côté UK, la diversité est une norme, notamment avec le dispositif “Equality Act 2010” (Loi sur l’égalité 2010). Concrètement, les candidats sont soumis à un formulaire, à chaque fin de candidature. Il est obligatoire dans tout process de recrutement et vise à “monitorer” l’égalité des chances.
Des questions, telles que “Quelle est votre religion ? Votre orientation sexuelle ? Ou bien, votre origine ethnique ?” sont posées, de manière volontaire et anonymisées.
Elles peuvent choquer la première fois. Mais en fait, cette démarche a pour but non pas de trier les candidatures, mais de mesurer collectivement si un processus de recrutement est équitable. C’est un outil de diagnostic.
L’entreprise ne voit jamais les données nominatives des candidats, mais toutes les statistiques agrégées. Ces résultats servent alors à identifier des biais ou déséquilibres dans les candidatures reçues, shortlistées, puis recrutées. Puis, à ajuster le process ou la communication si certaines populations sont sous-représentées. À respecter les obligations légales, tout simplement.
La diversité au UK, passe aussi par le fait de laisser le choix du pronom d’usage dans les formulaires (“preferred pronouns: He/Him, She/Her, They/Them, Prefer not to say”), quand en France, en revanche, c’est encore très marginal, voire tabou.
Selon Charlotte, la France se revendique “neutre” ou “universaliste” sur les questions de genre et de diversité. Dans les faits, ce principe pourrait au contraire invisibiliser les différences. L’approche anglo-saxonne, plus pragmatique, cherche davantage à considérer chaque individu, en questionnant directement : comment vous nommer ? Comment vous reconnaître ?
Elle fait part d’une expérience très parlante d’un de ses étudiants. D’abord sceptique face à ces sujets, il s’est retrouvé devant ce fameux formulaire lorsqu’il a recherché un emploi à Londres.
Il a alors eu un déclic. Ce qu’il pensait être une “mode” ou un phénomène isolé s’est avéré être une réalité bien ancrée au Royaume-Uni. Un simple champ à remplir, et c’est tout un prisme qui s’est ouvert pour lui. Une nouvelle grille de lecture.
📌 Le mot de Charlotte à retenir : La diversité ne se décrète pas, elle s'apprend. L'approche anglo-saxonne, avec ses formulaires d'égalité des chances et la prise en compte des pronoms, invite à considérer chaque individu et permet de dépasser le principe "universaliste" français qui pourrait, au contraire, invisibiliser les différences.
RH structurée ou RH agile ? Le choix du roi
Les Ressources Humaines à la française ont pour elles la rigueur, les outils, le cadre. Mais cette richesse se transforme parfois en fardeau. Trop de process, trop de complexité. On parle de suradministration.
De l’autre côté de la Manche, la tendance va plutôt à la simplification et à l’essentiel. Avec plus d’autonomie.
Nous voilà finalement face à un défi d’équilibre. Charlotte évoque l’approche “utile, utilisé, utilisable”.
Effectivement, elle défend une RH hybride, structurée, mais pas rigide. Et chaque dispositif RH doit cocher ces trois cases. Sinon, il reste théorique.
Il demeure une dernière interrogation : est-ce que les RH sont mieux considérés ailleurs ?
En un mot : différemment.
En Angleterre, la fonction est moins perçue comme gestionnaire. Elle intervient de façon plus transverse, plus orientée vers les compétences. Une posture plus stratégique, sans doute. Mais qui s’accompagne parfois d’un flou sur le rôle exact, sur la ligne entre support et pilotage, qui peut insécuriser les salariés.
Ce n’est pas “mieux” à tous les coups. C’est une autre manière d’exister dans l’organisation, avec une dimension plus agile, plus “business partner”.
Une piste de réflexion pour les RH français ?
📌 Le mot de Charlotte à retenir : La structuration protège, l’agilité libère. L’un sans l’autre, c’est l’impasse. Les RH françaises sont réputées pour leur rigueur, mais elles peuvent aussi devenir trop lourdes. S'inspirer de la posture plus stratégique et agile des RH anglaises permettrait de trouver un équilibre pour créer des dispositifs qui soient à la fois utiles, utilisés et utilisables.
Keep calm et ouvre ton regard RH sur le monde
Travailler à l’international, c’est se confronter à d’autres procédés, à d’autres visions RH.
Mais l’ouverture n’est pas automatique. Charlotte insiste sur le fait qu’il faut un certain câblage personnel pour apprendre de la différence.
Un câblage ? De quoi parle-t-on ?
C’est une capacité à se remettre en question. À identifier ce qui relève de la culture, de l’individu, ou des habitudes. À sortir du réflexe “c’est mieux” ou “c’est pire”, pour adopter le réflexe “c’est différent, qu’est-ce que j’en fais ?”
En résumé, ce n’est pas mieux ailleurs. C’est autrement. Et s’en inspirer, c’est déjà progresser.